Pour Béatrice Brault-Scaillet, en hommage affectueux

   Trois acteurs interviennent dans ce texte : Moïse, qui le destine à Israël, et Yahvé dont le texte parle. Celui qui est appelé à écouter est défini par son nom propre. C’est Israël, l’adversaire de Dieu, celui qui « lutta contre Dieu » (Gn 32, 29 ; Os 12, 4). Israël est requis pour une écoute et invité à l’obéissance. Celui qui parle, c’est Moïse, interlocuteur et législateur d’israël, et ce qui l’amène à déclarer, annoncer et commander c’est le nom d’un dieu auquel Moïse se réfère lui-même. C’est cette référence que Moïse désire inculquer à son interlocuteur pour former avec lui un peuple, une société, qui va dès lors s’adresser à « notre Dieu ».

Le message qu’émet Moïse et que reçoit Israël intéresse donc son nom propre d’ Isra-El. Ce message porte sur l’identité de Dieu dont Israël va se réclamer, et qui porte lui-même un nom qui lui est propre : « Yahvé », autrement dit : « Il est ». Mais Yahvé ayant lui-même un nom propre échappe, par son unicité même, à toute classification, à toute prise. Le concept même de Dieu éclate dès que ce nom est prononcé. Saint Thomas d’Aquin disait de Dieu qu’il est « la suréminence inobjectivable ». 

L’intimation de Moïse porte sur la nécessité de faire éclater toute représentation de Dieu. Yahvé ne peut "appartenir" à Israël. L’enjeu de l’ordre donné est, à l’inverse, de se constituer en une société avec Moïse, qui appartienne à Yahvé. Ne pouvant posséder Dieu, Israël ne peut que désirer Dieu. « Tu aimeras Yahvé ton Dieu ». Cette intimation fait appel à toute l’énergie dont Israël est capable, cœur et âme. L’unique requiert toute la force dont Israël a fait preuve dans la lutte. Ainsi la communication entre Moïse et Israël se réalise, non par la possession d’un même dieu, mais du fait de leur commune appartenance à un même Dieu, appartenance elle-même conséquente des mêmes paroles, du même Nom, par lequel chacun se reconnaît en relation de communion avec l’autre, dans une même société.

On peut en conclure que ce Nom a force de loi et que l’individu accède à son identité de sujet, d’acteur, qui entend l’appel à écouter, en s’intégrant à la même société que son interlocuteur, en se consumant lui-même dans un amour qui le requiert tout Entier. De sorte qu’une seule attitude est requise : devenir Israël, ainsi que l’a bien perçu Lévinas : « chaque homme est appelé à devenir Israël ». 

« Écoute Israël, deviens ce que tu es » peut-on comprendre. Cet appel gravé sur le cœur doit se déployer dans la vie tout Entière. Les directives de l’existence sont marquées de leur rapport à Yahvé. L’existence est rythmée, et le monde, humanisé, n’est pas qu’humain.

Ainsi « écouter » le message, la loi de Moïse, est une attitude qui se déploie dans la totalité de l’existence terrestre, au point de former une société où tout est frappé par la limitation la finitude, où tout est marque de sa différence  au Nom de Yahvé Unique.

Le champ de l’écoute est ainsi l’ensemble discontinu, différencié, de l’existence humaine dans le monde. Israël advient comme peuple et promeut des sujets dans la mesure où il s’engage dans ce monothéisme éthique.

 

Gérard LEROY, le 30 janvier 2018