Xavier Larère est Président du Mouvement pour la Réinsertion Sociale (MRS). Nous avons déjà eu plaisir à le lire ici. Il nous fait l'amitié de nous livrer son témoignage sur sa redécouverte de l'Église.

  Quel regard sur l'Eglise peut porter celui qui, pendant quelques décennies, n'a suivi le Christ que de loin ?

En guise d'introduction, je propose un rappel de quelques évidences, du moins apparaissant comme telles à mes yeux. On peut retenir :
-    une grande admiration pour l'aptitude de l'Eglise à durer, à rebondir et par là, la conviction qu'elle est appelée à durer. Très longtemps;
-    la chance d'avoir une autorité unique à la tête de l'Eglise;
-    une vive conscience de ce que notre civilisation occidentale doit, directement ou par quelques détours, au message  transmis par l'Eglise : création artistique, progrès scientifique, droits de l'homme, sans oublier la construction européenne.

Je vous propose de traiter successivement la redécouverte du message, puis, dans le prochain article je décrirai la découverte de celle qui était pour moi une célèbre inconnue; j’en terminerai par quelques vœux que je forme pour elle.

Pour un laïc à la culture religieuse balbutiante, il faut une certaine audace pour traiter ce sujet; les difficultés commencent lorsqu'il faut dire ce qu'on entend par « Église ». Je sais qu'elle est née d'une volonté de Jésus, qu'elle en tire la plus haute légitimité. Je sais aussi qu'il en existe de fort belles définitions, Corps mystique du Christ, Epouse du Christ, mais j'avoue qu'elles restent pour moi des images, des concepts. En revanche l'expression Peuple de Dieu, Peuple des fidèles, avec ce que cela implique de pasteurs, de conducteurs à sa tête, me parait correspondre à une réalité. Celle des clercs d'une part et de laïcs de l'autre. Pour mon propos, sauf indication contraire, le vocable Église désignera l'institution et le plus souvent la partie de l'institution qui, véritablement, gouverne cette Eglise romaine si fortement centralisée, autrement dit le Vatican et la haute hiérarchie.

I - La redécouverte du message

Je n'avais jamais lu la bible….dans les années 50, ce n'était ni suggéré, ni conseillé. J'y ai beaucoup trouvé :
- un Dieu d'amour….quelle audace ! Cette révélation est une révolution par rapport à toutes les conceptions du divin
- un Dieu qui nous dit que : on ne retient bien que les bras ouverts
- un Dieu qui n'a peur de rien. Il touche le lépreux, guérit le jour du sabbat, fréquente les pécheurs notoires et les réprouvés, mais surtout, il nous dit : “soyez comme des enfants”. « La religion ne sera jamais comprise si le croyant ne garde pas un cœur d'enfant » (Dr Nagaï (1) “soyez comme des serviteurs” (pourquoi est-on si discret sur le lavement des pieds?), ou encore “Soyez mes amis et ayez confiance”. Avec de vrais amis, même après un longue période où on s'est perdu de vue, on se parle et on se confie comme si on s'était vu la veille. Le Dr Nagaï nous dit encore: « Voilà la situation, toi, Seigneur, qu'en penses-tu, qu'est-ce que je dois faire ». Jolie synthèse de la confiance et de l'exigence.
      
Mais la plus formidable parole de tous les temps est bien celle-ci : "Aime ton prochain comme toi-même", qui rend inutile ou presque, tous les autres commandements, les lois, les décrets, etc

Je me suis aussi heurté à des paroles difficiles, dures, scandaleuses même. Je pense à des textes que commentaires et homélies évitent soigneusement tels que la fin de la parabole des talents dans la version de Luc, au ch. 19, 27 : « Quant à mes ennemis, à ceux qui ne voulaient  pas que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi » (Matthieu, plus soft, se contente de menacer de la géhenne) « Sur ces mots, Jésus partit en avant... » Le règne de Dieu appelle-t-il une telle violence ?
J’ajoute à cette parole dure la version de Luc des conséquences de la répudiation, désormais proscrite : « celui qui épouse une femme répudiée par son mari est adultère ». Difficile à entendre ce qui constitue une double peine pour la femme ! (Marc lui, établit plutôt la parité).

Mais je pense surtout à cette séquence de la Passion. Comment a-t-on pu écire que Jésus à été « livré selon le plan et la volonté de Dieu " ? Un père  qui refuse qu'on tue des animaux en son honneur, peut-il planifier la mise à mort d'un fils innocent, la vouloir ?  Je suis persuadé qu'en réalité, Dieu a dit à son fils : « Les hommes que j'ai créés courent à leur perte, il faut faire quelque chose. Moi, je ne peux pas me montrer car, soit ils vont mourir (et dans quel état !), soit ils vont m'adorer, sans que ce soit une démarche libre, la seule qui m'intéresse. Si tu es d'accord, je t'envoie pour essayer de leur faire entendre raison, il y a des risques, mais tu sais que je ne te laisserai pas tomber ? ». Dommage que ceux qui ont reçu la révélation n'aient pas retenu cette formulation. Elle aurait  évité à certains d'affirmer qu'en mettant le Christ à mort, les Juifs n'ont fait que la volonté de Dieu.

Continuons d’écouter les paroles. « Ne nous soumets pas à la tentation... ». Peut-on penser que Dieu prenne la responsabilité de nous « soumettre » à la tentation ?

Et la notion de récompense : l'amour attend-t-il autre chose que l'amour en retour ?

Matthieu n’est pas en reste, qui nous livre une parole terrible, de condamnation « quiconque entraîne la chute d'un seul de ce petits qui croient en moi... »

Le scandale des clercs pédophiles, un véritable oxymore, n'est-il pas d'abord dû à un oubli de l'Evangile car, en faisant un détour pour ne pas voir les victimes, aux portes de collèges, l'Eglise ne s'est-elle pas comportée comme le prêtre ou le lévite de la célèbre parabole ?

Je n'ai pas su trouver grand-chose de vivant, de concret, dans l'enseignement contemporain de l'Eglise sur le message de son fondateur. En tout cas pas dans les publications officielles, mais je confesse que je  n'en ai pas lu beaucoup. De ce que j'ai lu, ce qui m'a frappé, c'est le formidable contraste entre
- l'enseignement de Jésus, d’une part, où cohabitent, en phrases courtes, des slogans, des idées, des maximes très  élevées et des références prises dans la vie quotidienne la plus ordinaire, et surtout quelques questions simples pour permettre à chacun de se voir tel qu'il est, et de se redresser.
- la langue compliquée, abstraite, d’autre part, qui parait trop souvent ne pas connaître les humbles réalités, même lorsqu'elle s'efforce d'en parler. Des propos pour une élite (pour une caste ?), pas pour les gens qu'on côtoie dans le métro. Pas pour la foule. Pas pour aider les petits à tenir debout.

En revanche,  comme le message se transmet aussi par le témoignage, je  tiens à dire combien je suis fasciné, émerveillé, par l'extraordinaire foisonnement d'initiatives en tous genres qui jaillissent de la base catholique. Spirituel, social, culturel, dans tous les domaines, on rencontre des groupes, des associations crées et animées par des bénévoles catholiques, la plupart sont ouvertement catholiques, d'autres ne sont pas confessionnelles. En ce cas, le témoignage porté en est parfois encore plus fort. Aujourd'hui, comme hier, les grandes évolutions vont sans doute venir de la base, se heurter au conservatisme du sommet et finir par éclore.

C'est cette vitalité à la base qui doit rendre chacun tout à fait confiant dans l'avenir du christianisme.
 

 

Xavier LARÈRE, le 12 juillet 2010

 

  • Le docteur Takashi Nagai est un célèbre médecin radiologue de Nagasaki ayant survécu au bombardement atomique d'août 45. Converti au catholicisme, sans délaisser sa profession, il n'a cessé d'œuvrer au relèvement de sa cité. Le docteur Nagaï est mort le 1er mai 1951 à Nagasaki. On peut lire quelques uns de ses esssais ou de ses nouvelles ainsi qu'un ouvrage de Marie-Renée Renoir, Prier avec le docteur Nagaï, dans la collection publiée en 2008 par Nouvelle Cité.