Pour Louis et Jackie Dolcemascolo, en souvenir d'une sympathique excursion

   On est en 1177. Le Comte de Toulouse envoie ce message au roi de France et au roi d’Angleterre : “Mes forces n’y suffisent plus, car les nobles les plus importants de ma terre sont rongés par cette maladie, entraînant avec eux une grande multitude de gens qui apostasient, en sorte que je n’ose, ni ne puis rien entreprendre.”

Ce que perçoit le comte de Toulouse comme une hérésie se développe dans tous les milieux et, à son grand regret, dans les milieux aristocratiques. Il ne faut pas oublier que le catharisme aurait été introduit dans le midi au retour de la seconde croisade par des seigneurs ayant guerroyé au Moyen-Orient.

En Languedoc, au XIe siècle, toutes sortes de désordres continuaient de sévir, à commencer par la simonie qui avait été abolie au nord.

La simonie est une des formes de décadence de la société ecclésiastique sous les premiers capétiens. Le mot, en référence à Simon le Magicien qui  voulut acheter à l'apôtre Pierre son pouvoir de faire des miracles (Actes 8, 9-21), désigne un trafic généralisé autour des charges épiscopales. Les princes laïques s’emparent progressivement des biens des Églises, et exercent leur tutelle. Les propriétaires d’églises devenues privées trafiquent les charges épiscopales. Le prêtre verse à l’archevêque une somme d’argent pour obtenir la charge d’évêque, et reçoit ensuite des versements des prêtres qu’il ordonne et des diacres qu’il consacre. Les évêques en ce XIe siècle ne développent guère de souci pastoral. Quant aux chevaliers, leurs nouvelles quêtes spirituelles et morales trouvent dans les hérésies du temps de quoi satisfaire leur marché spirituel.

On a donc affaire à un engouement pour la doctrine des “Purs”. Le catharisme n’est pas à considérer comme une réaction de gens asservis par l’aristocratie laïque et ecclésiastique et qui tenteraient de s’émanciper par rapport à leur tutelle sans compromettre leur salut. Des cathares, on en trouve partout, chez les paysans mais aussi parmi les milieux aisés, chez les usuriers, notamment à Toulouse. Les croyants se recrutent dans toutes les classes et les parfaits proviennent de toutes les corporations. Il faut dire que les métiers manuels sont prisés par les cathares car ils traduisent, selon eux, l’esprit d’humilité prêché par l’Évangile plus que tout autre métier.

Le succès du catharisme est brutal. Sa doctrine de base nous la connaissons; nous l’avons déjà décrite dans un article de ce site : dualisme, emprunté au manichéisme oriental, vie communautaire à deux niveaux exercée par les parfaits et les fidèles. C’est en Allemagne, en Italie et en France que la catharisme se propage rapidement, plus particulièrement dans le sud est de la Gaule. Si l’on évoque souvent le catharisme albigeois, c’est non seulement parce que le premier évêque cathare prend place à Albi, mais parce que, à Albi, les fidèles y sont nombreux. C’est à Albi que s’organise une véritable église secrète, tandis qu’à Montpellier ou à Narbonne on est bien en peine d’y trouver le moindre fidèle, contrairement à Toulouse où cependant  l’hérésie  est confidentiellement prêchée par une minorité de petites gens.

C’est dans le Lauragais que se situe l’épicentre, entre Toulouse et Carcassonne.  Les parfaits installés dans cette région se donnent d’instruire les fidèles, en se déplaçant, de la même manière qu’on a organisé plus tard des missions pastorales dans les campagnes.

Certains parfaits se regroupent en communautés religieuses. C’est le cas à Fanjeaux, où saint Dominique fut curé en 1214 et où l’on pense pouvoir situer la célèbre disputatio qui l'opposa aux militants cathares. Fanjeaux constitue à l’époque le centre d’un grand rayonnement actif du mouvement dualiste, de même que Montréal, tout près, ou encore Laurac. C’est dans ces villes que l’on rencontre des diacres cathares, choisis parmi les médecins acquis à l’hérésie, ou parmi la noblesse.

Une communauté de parfaites, que la châtelaine Blanche de Laurac accueille, siége au château. Les prédicateurs y ont eux aussi leur espace pour initier les enfants. Blanche fait des émules et la noblesse du Lauragais est vite gagnée au catharisme. Et si le Comte de Foix ne participe pas directement aux activités, il est présent dans les cérémonies, surtout à celle qui est organisée en 1205 pour accueillir solennellement sa sœur Esclarmonde.

N’oublions pas que les hérésies qui se sont développées aux XIIe et XIIIe siècles, qu’elles aient abouti au mouvement vaudois, au catharisme, ou à d’autres hérésies mineures, ont traduit le désir de purification du peuple chrétien, une avidité dans la recherche de formes meilleures d’assurer leur salut, exprimées par un zèle sans doute peu éclairé. Mais on peut dire que d’authentiques exigences spirituelles furent à l’origine de ces mouvements contestataires, comme protestation et quête d’un retour à l’essentiel évangélique, à contre-courant des frasques d’une Église qui en était arrivé à mener grand train.

 

 

Gérard LEROY