Pour Véronique Schürr, en hommage amical

   Au départ de l’évangélisation il n’y a pas un individu habité d’un grand enthousiasme religieux qui s’en irait sur les routes pour faire du recrutement et grossir les rangs de son parti religieux. Pourtant tout a commencé un peu de cette manière, à partir de la Pentecôte. Des communautés croyantes, rassemblées autour du collège des apôtres, sont allées porter l’Évangile autour d’elles. Elles l’ont fait de façon consciente et actuelle.

Qui peut nous assurer que nous ne sommes pas bernés par une initiative tenant d’un ego individuel ou d’une illumination ? Qui peut répondre à cela sinon les communautés croyantes qui, siècle après siècle, répandues dans l’espace et dans le temps, conservent la mémoire de Jésus-Christ et de son Événement fondateur.

L’Église continue à porter en elle la conscience de qui est Jésus-Christ. Chaque fois qu’elle célèbre l’Eucharistie, au milieu même de ses faiblesses, elle fait mémoire de ce qui la fait exister : l’Événement qui est à l’origine. En dépit des éclatements et des infidélités, c’est dans l’Église que continue à jaillir cette source. Car l’Église demeure le lieu où l’Évangile est reconnu, accueilli, interprété, et, autant que possible, vécu.

C’est à l’intérieur des communautés chrétiennes que se trouvent la mémoire, la conscience, qui actualisent, siècle après siècle, dans différentes cultures, la réalité fondatrice de l’Évangile. 

L’Évangile, dont il faut rappeler qu’il s’agit de tout autre chose qu’une sagesse, ou une philosophie religieuse, est aussi plus qu’un message. L’Évangile, tout compte fait, est irréductible à

tout ce qui lui ressemble. S’il est vrai qu’on ne peut évangéliser qu’à partir d’une perception et d’un contact très actuel avec l’Évangile dans ce qu’il a d’irréductible, la bonne adresse ce sont les communautés croyantes, autrement dit l’Église, là où Jésus-Christ est discerné, reconnu, accueilli.

Reconnaître à l’Église d’être indispensable à l’origine de l’acte d’évangélisation, c’est, du même coup, en appeler à des exigences d’authenticité évangélique et de fidélité à l’égard de l’Église. Quiconque veut participer à l’évangélisation se doit d’être en communion. Ce n’est ni l’acceptation pure et simple de l’orthodoxie formelle —ça ne suffit pas d’ânonner le credo—, ni la réduction de la communion avec l’Église à une pure intention. Pour être en communion avec l’Église il faut partager vraiment sa foi en ce qu’elle a d’absolument fondamental et universel : la reconnaissance de Jésus-Christ comme Seigneur. Les premières communautés chrétiennes ne badinaient pas lorsqu’il s’agissait de l’identité de Jésus-Christ; elles ne se contentaient jamais d’un “Jésus-minimum”.

Être en communion avec l’Église ne coïncide pas nécessairement avec une situation ecclésiale de tout repos, parfaitement en règle. On peut même se demander si Dieu, qui pratique l’humour, ne donne pas à quelques unes de ces situations d’être marginales, et d’opérer un charisme particulier. On a pu l’observer chez des gens comme Péguy, Bergson, et l’on serait tenté d’ajouter Simone Weil. Ces gens ont exercé, de fait, une mission considérable dans leur temps et dans leur milieu, tout en demeurant aux frontières de l’institution Église. Leur situation leur a donné la possibilité de dialogue avec des chrétiens borderline.

Quelle que soit l’insuffisance de la vie de l’Église, quelles que soient les dégradations qu’elle a eu à subir, les cicatrices qu’elle porte, il n’y a pas d’autre lieu que l’Église pour accomplir la mission d’évangélisation.

L’évangélisation qui a le souci de faire advenir l’Évangile dans la réalité humaine, de le faire germer dans l’existence comme liberté, de rejoindre les attentes profondes des hommes et de les réveiller, ne peut se réaliser que dans la patience. L’évangélisation n’est donc pas une activité ponctuelle, qui prendrait sur le coup de midi certains chrétiens zélés qui décideraient d’y revenir de temps en temps. 

L’évangélisation c’est une des raisons d’être de l’Église. En retour, l’évangélisation ne cesse de rappeler l’Église à son identité véritable, de lui faire prendre conscience de ses insuffisances, de la ramener sans cesse à l’Évangile qui est sa raison d’être. Si bien que Évangélisation et rénovation de l’Église vont toujours de pair.

 

Gérard LEROY, le 24 novembre 2014