Pour Bertrand Caux, en hommage amical,

   Le christianisme demeure la première religion du monde avec plus de deux milliards de fidèles. Et si nous assistons en Europe à un certain essoufflement de nos Eglises, nous devons prendre de la distance et de la hauteur à l’échelle du monde. L’avenir du christianisme ne se joue plus en Europe ni même en Amérique du Nord mais dans ces immenses continents que sont l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie. Et quand on déplore la désertification de nos églises, nous ne pouvons oublier la vitalité démographique et spirituelle des jeunes Eglises de ce que nous appelions le Tiers-Monde. Notons l’ambiguïté des nouvelles Eglises évangéliques qui se multiplient, mais à leur manière elles témoignent de l’attrait universel de la figure du Christ et de la fraîcheur de l’Evangile. Elles font  aussi souvent la preuve d’une inculturation réussie dans des cultures étrangères à l’Occident.

    La chance de l’Eglise catholique au XXIe siècle, c’est la prise de conscience  croissante de la relativité de la culture occidentale qui fut la culture dominante de l’Eglise durant des siècles. Le message chrétien a été pensé et reformulé sous le signe de la tension entre Jérusalem et Athènes. Même si le phénomène est encore balbutiant, l’Eglise comprend qu’elle doit prendre en compte un tertium quid à savoir l’autre non occidental qui n’est ni juif ni grec. De même que le christianisme naissant a surmonté la dualité du juif et du grec, il doit dépasser la dualité de l’occidental et du non occidental. Pour la première fois, à l’âge de la mondialisation, la mission au nom de l’universalité de l’Evangile pourrait ne pas coïncider avec l’emprise d’une culture dominante. Nous sommes ainsi convaincus de la vocation catholique, c’est-à-dire mondiale de l’Evangile qui doit pouvoir devenir le bien de tout homme et  de toute femme.

    En vertu du lien indissociable entre culture et religion, il sera de plus en plus difficile de réussir une inculturation du message chrétien dans d’autres civilisations que celle de l’Occident sans évoquer la rencontre avec une grande tradition religieuse. C’est pourquoi il y a un lien étroit entre la mission et le dialogue interreligieux. Mais le problème de l’inculturation se pose déjà en Occident. Nous sommes de plus en plus conscients du fossé entre le langage chrétien officiel et le langage dominant de nos sociétés européennes à la fois post-chrétiennes et même post-religieuses. Toute la question est donc de savoir si c’est l’Evangile lui-même qui est refusé ou si nous avons affaire à un véhicule culturel complètement étranger aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui. L’Eglise ne peut être fidèle à l’actualité de l’Evangile qu’en opérant une conversion et un discernement entre les éléments fondamentaux de son message et puis des éléments plus contingents qui relèvent de la culture gréco-romaine ou humaniste et classique à laquelle il s’est trouvé longtemps associé. La culture occidentale est une abstraction. Elle comporte une diversité de sous-cultures modernes et post-modernes, sans parler de la pluralité des origines ethniques et religieuses de ceux qui ont acquis la citoyenneté française. Or la parole de l’Eglise doit rejoindre les uns et les autres au cœur même de leur existence.

 

Gérard LEROY, 20 janvier 2018