Pour ma sœur Suzanne, et pour sa Maman, calfeutrées dans la banlieue de Damas
   Facteurs de paix, les religions ? Plaisanterie de mauvais aloi pour tous ceux qui ont un contentieux avec la religion et voudraient lui régler son compte en la proclamant coupable de tous les conflits qui gangrènent la planète. Alors, fauteurs de troubles, les religions ? S'élèvent aussitôt les réactions, promptes à fustiger l'autre pour mieux se disculper. Car est-il possible que "ma" religion soit coupable d'exactions quand sa définition l'innocente ? Et plus encore : est-il possible que les religions puissent prétendre semer la paix ? Un tel projet soulève plus d'incrédulité que d'enthousiasme. Les religions n'ont-elles pas montré plus de volonté d'exclusion, de sectarisme, d'égoïsme que de sollicitude, de disposition à accueillir, à s'ouvrir ?

Ces questions embarrassent les croyants. Mais n'est-il pas préférable de s'en embarrasser, que de se jeter d'emblée sur une réponse émotionnelle ou justificatrice ?

Quittons le stade du constat, cessons de dresser un bilan comptable des responsabilités. Les croyants ont une mission, aujourd'hui, dans ce monde-ci où la paix constitue le problème n° 1. Et il est sûr qu'on ne le résoudra pas en se contentant de faire défiler les méchants à la barre du tribunal.

La réponse n'exige pas seulement une connaissance précise des faits historiques où la religion est nommée comme acteur responsable. Des religions sont au coeur de certains troubles, et bien souvent actives. En Yougoslavie ont rivalisé catholiques et orthodoxes, comme ont rivalisé les chi'ites et les sunnites dans le conflit Iran-Irak, où encore au Soudan le nord musulman et le sud, chrétien et animiste. Il reste que les forces religieuses peuvent jouer un rôle de paix. Ce fut le cas en Pologne, mais aussi en R D A, où les Églises luthériennes ont joué un grand rôle dans la chute du mur de Berlin, ou encore aux Philippines où le rôle de l'Église a été déterminant dans le rétablissement de la démocratie et de la paix.

Il s'agit de déceler quelle est la part effective de responsabilité de la (ou des) religion dans un conflit. Qu'est-ce qui se cache derrière l'identité revendiquée de protestant, de catholique, d'orthodoxe, de juif ou de musulman ? Quelle est la part prise par les usurpateurs qui se réclament d'une religion pour justifier leurs exactions ? S'il est vrai que s'afficher auprès de Dieu n'implique pas forcément Dieu Lui-même, on sait cependant ce qu'il peut en coûter à l'image de la religion.

La question exige de s'interroger sur la cohérence entre l'acte et la foi. Quelle interprétation font les acteurs dits religieux de la convocation qu'ils ont reçue de leurs textes fondateurs quand ces acteurs sont promoteurs de conflits.

De la culpabilité à la paix

Toutes les différences, qu'elles soient religieuses, ethniques, raciales, culturelles, ont été sources de mépris. A ce mépris a répondu la haine, à laquelle a répondu une haine plus forte encore. Pourtant, "si l'on répond à la haine par la haine, disait Bouddha, quand donc cessera la haine ?". Quand donc cessera cette spirale sanglante ? Les croyants peuvent-ils continuer à se réfugier douillettement dans leurs certitudes. Ne sont-ils pas mis au défi de reconnaître leur propre responsabilité d'acteur social dans la dégénérescence, comme dans la construction, d'un monde dont nous sommes tous locataires et que nous allons quitter.

Mais, si l'on décide de construire, cessons de nous tétaniser de culpabilité. L'Eglise, par exemple, a soutenu en leur temps les inquisiteurs, les Simon de Montfort, les Torquemada, reconnu les Catherine de Médicis ou les Franco et il en est aujourd'hui qu'elle reconnaît un peu vite. L'Eglise porte ses responsabilités et les chrétiens la partagent volontiers. Mais qu'ils abandonnent ce sentiment excessif d'humiliation de la faute et du péché. La culpabilité est malsaine quand elle engendre le mépris narcissique de soi. De plus elle étouffe la perception de notre potentiel d'efficacité et annihile notre conscience de responsabilité dans l'oeuvre toujours à construire.

Cessons de nous regarder le nombril et de nous battre la coulpe. Il y a plus urgent. Les croyants ont une mission. Quelques furent les responsabilités de nos traditions respectives dans les conflits antérieurs, l'important, aujourd'hui, c'est l'habitabilité de la terre, ici et au loin, maintenant et demain. Apaiser la terre n'est pas le monopole des croyants. Chacun veut habiter la terre autrement qu'en pataugeant dans le sang, autrement qu'en "la traversant comme une vallée de larmes". Chaque homme aspire naturellement à la paix. Le croyant partage cette aspiration; sa foi l'engage à prendre part à la tâche.

Nous avons, comme hommes (ce n'est pas nouveau) mais aussi comme croyants (c'est plus récent), à oeuvrer ensemble. La difficulté c'est que les religions s'estiment chacune dépositaire exclusive de la vérité qu'elles devraient imposer, à tout prix, et même au prix de vies humaines, de façon totalitaire aux récalcitrants.

Or, une vérité se vit, se propose en partage, se pense, certes, mais ne s'assène pas. Dieu lui-même s'impose t-il ?

Aux tentatives extrémistes et radicales s'oppose aujourd'hui un courant syncrétiste, courant un peu naïf qui voudrait rassembler tout le monde en étouffant les différences qui seraient causes de tous les maux. Ce courant réduit l'autre en le fondant, le confondant, de telle sorte que s'estompent et meurent l'individu, son identité, sa liberté et sa responsabilité, et donc sa dignité.

Le refus des différences, de la singularité de chaque homme, va contre l'homme, et allume la guerre.

On entendra encore longtemps dire que les religions sont fauteurs de troubles. L'important n'est pas de le contester et de passer pour un rêveur. L'important est d'accepter qu'il y a là un scandale dont les croyants seraient complices s'ils ne réagissaient pas. Et s'il est bien arrivé que des religions soient fauteurs de troubles, en acte, elles sont bien plus en puissance d'être facteurs de paix. N'est-ce pas cela qui est à prendre en considération.

Etre facteur de paix ne consiste pas à se satisfaire de ne pas faire la guerre, à se terrer dans un pacifisme mièvre et béat. C'est s'engager dans une fraternité active et féconde."À ce signe, dit Jésus dans les béatitudes, nous serons appelés fils de Dieu."

                        Gérard LEROY, le 11 octobre 2012