Pour Hervé-élie Bokobza, en hommage amical,
et pour tous les lecteurs de Questions en partage, à l'occasion de ce 300è article, avec notre toute sympathique reconnaissance
 

   “Adonaï” ! qui vient de la racine “Adoni”. En hébreu, “Adoni”, signifie littéralement “Mon Seigneur”. Adonaï c’est le titre que les juifs donnaient à Dieu et qui signifiait : “Seigneur suprême” et “Souverain Maître”.

Adonaï est un pluriel de majesté ou d’intensité. Les hébreux reconnaissaient par là la seigneurie de Dieu sur eux. Ce terme de politesse devient un nom propre de Dieu. Lorsque le texte hébreu de la Bible est lu à haute voix, ce nom remplace le nom imprononçable —qui ne doit pas, qui ne peut pas être prononcé— YHWH (Yahvé).

YHWH, ce “tétragramme”, est sacré. Cette forme archaïque du verbe “être” en hébreu signifie : “je suis celui qui suis”, ou bien : “je suis” qu’on traduit encore par “je suis celui qui est”, André Chouraqui s’en tenant à “Je suis” (1). Retenons qu'il n'y a que deux temps de conjugaisons en hébreu : l'accompli et l'inaccompli. Cette expression “Je suis” répond à la demande de Moïse au pied du buisson, au Sinaï : “Quel est ton nom ?”  (Ex 3, 13-14).  

C’est au terme de la révolte juive de 70, réprimée par Titus, qui fit détruire le temple de Jérusalem, que le tétragramme a été oublié. À compter de cette période, en Israël, le tétragramme est lu et se vocalise "Adonaï", "Mon Seigneur". Yahvé ne pouvait plus être prononcé qu’une fois l’an, par le Grand-Prêtre du sanhédrin, lorsque celui-ci franchissait, le jour du Grand-Pardon, le rideau du Temple de Jérusalem pour accéder au “Saint des Saints” (partie réservée à l'Arche de Dieu avant l'exil).

À l'époque de l’avènement de l’ère chrétienne, les Bibles en usage comportaient beaucoup d’archaïsmes et d’erreurs de copistes, ce qui ne satisfaisait pas. Comme on ne s’autorisait pas à modifier le texte, on prit alors l’habitude de le corriger oralement. Et on lut autre chose que ce qui était écrit.

Au lieu de la leçon écrite ("écrit" se dit ketîb en araméen) on retint une leçon lue (qerè, de la racine qara, crier, appeler, lire, pas très loin du syro-araméen du VIe s de notre ère qoran, "récitation", qui a donné "Coran"). C’est la leçon lue que les scribes professionnels se transmirent par tradition orale. Et c’est ainsi que chaque fois que l’on rencontrait le ketîb “Yahvé”, le nom divin ineffable (cf Ex 20, 7), on lisait Adonaï.

Parfois, et à l'occasion de la rencontre du nom d' Elohim, dénomination de Dieu par la tradition du nord,le mot Adonaï précède le mot Elohim. On lit ainsi Adonaï Elohim. Elohim est le pluriel de El qui, en Palestine, et 5 à 6 siècles av J.C désignait la nature commune à tous les dieux (omniprésence, omniscience, miséricorde, toute-puissance etc.). Cette dénomination a la même signification que Il, utilisé en Babylonie et en Assyrie 6 siècles av J.C., qui a donné Ilah (divinité), puis al-Ilah (la divinité), puis al-lah (le dieu, semblable à l’ho-theos des Grecs), enfin allah et pour finir Allah pour désigner la Transcendance, le Dieu unique, Dieu Un (al-tawhid) en islam.

De même, chaque fois que l’on rencontre le mot écrit (ketîb) Yerusalem on lit Yerusalayim, forme plus récente.

Au cours des premiers siècles de notre ère, ces variantes de lecture (qerè) se transmirent oralement sans s’introduire dans le texte écrit qui ne bougea donc pas.

Vers le VIIe siècle, pour faciliter la lecture des non initiés on entreprit d’écrire les voyelles sans les attribuer aux mots qui ne devaient pas être lus (YHWH par exemple resta ainsi). Peu de temps plus tard les massorètes, ces spécialistes qui avaient ajouté les signes indiquant les voyelles, inscrivirent en marge du texte les consonnes du qerè qui devait être lu. Ainsi le déchiffrement put se faire correctement.

Seront alors retenus deux qerè perpétuels : YHWH et Jérusalem.

 

Gérard LEROY, le 14 septembre 2012

  1. cf. André Chouraqui, La pensée juive, PUF, coll Que sais-je ?