pour Marie-France Cals, en hommage amical

   L'exercice de la théologie consiste à dire la parole de Dieu dans l'aujourd'hui que l'on vit. Ce qui implique une certaine connaissance de la parole de Dieu, et une étude de cette parole ; ce qui suppose d'autre part une connaissance du monde, de la société, une écoute permanente de ses aspirations, de ses cris, de ses battements de cœur.

Ni Dieu ni l'homme ne peuvent être exprimés de façon définitive, ni complètement cernés par les autres sciences. Dans la perspective de rejoindre l’intimité accueillante de Dieu qui lui est offerte par grâce, l’homme reconnaît la situation surnaturelle de son existence. Il est conscience transcendantale.

L’homme est en interdépendance avec son milieu naturel, le milieu qu’il reçoit et qu’il crée, et sa culture ; il est son histoire en tant que personne, associée à Dieu ; cette histoire est l’agent qui rend objectif l’auto-accomplissement. Il subsiste donc en partie sous l'influence de son histoire. Mais en même temps il tend à conquérir sa propre nature en changeant le monde dont il fait partie. Cette tâche, au fur et à mesure de son accomplissement, n’en finira jamais d’exprimer le besoin d’un salut que les croyants situent hors de portée de la propre dynamique historique de l’homme.

Le salut connote une libération, un sauvetage, une délivrance de l’esclavage, de la mort. On sait que pour les Hébreux, auxquels on pense ici, l’expérience originaire en matière de salut revêtait un aspect politique, la soustraction à une forme d’exploitation qui les symbolise toutes. La théologie s'est attachée à décrypter le dessein divin de salut. 

La philosophie, de son côté, prétendait, elle aussi, libérer un message sur l'existence humaine. Présentée comme une rivale de la théologie, on comprend mieux pourquoi la théologie s'est heurtée très tôt à la philosophie. C'est à cause de cette tension que Paul eut maille à partir avec les païens qui préféraient leurs évidences philosophiques à la "folie de la croix".

On repère deux réactions opposées du christianisme à l'égard de la philosophie. Au sein du premier courant se retrouvent des hommes d'une profonde spiritualité. Ils refusent de reconnaître la possibilité d'aller à la vérité par la philosophie, au seul motif qu'il n'y a que Jésus-Christ à connaître. Ce fut la position de saint Bonaventure. Toute la vérité étant dans l'Évangile, il ne pouvait y avoir, ne serait-ce qu’une parcelle de vérité en dehors de l'Évangile. Il faut donc abandonner les chemins incertains de la philosophie. Cette tradition a été perpétuée et se rencontre encore aujourd'hui chez de grands théologiens, tel Karl Barth, qui, dans le sillage de Luther, maintint une certaine distance à l'égard de la philosophie. Kant lui-même, sous l'influence conjuguée du positivisme et du piétisme a formulé sa réserve vis à vis de la philosophie. Kierkegaard voulait "fermer la bouche à la raison", et Pascal était tout aussi intransigeant.

Il faut pourtant reconnaître que la raison philosophique a servi les premiers théologiens à un approfondissement de la foi commune qui, dans les grands systèmes, de Clément d'Alexandrie et d'Origène, rencontre l'héritage de l'apocalyptique judéo-chrétienne et apporte une réponse au problème posé par la gnose. 

Le philosophe du IIè siècle, Justin, converti au christianisme, a mis toute son talent philosophique au service de la foi chrétienne. Plus tard, c'est saint Augustin qui baptisait Platon, et surtout Thomas d'Aquin dont les grands principes développés dans la somme renvoient au stagirite. Descartes, Kant, et plus récemment Heidegger font partie de ces philosophes que la théologie a nourris.

Reste le fidéisme. Il a été condamné par une encyclique qui déclare haut et clair que Dieu peut être connu et démontré, grâce à ses œuvres, par la raison naturelle. La démarche philosophique reçoit du coup un sérieux coup de pouce de Vatican I qui la place servante de la foi. Servante utile. Servante aussi parfois rebelle.

 

Gérard LEROY, le 13 octobre 2017