Pour Véronique Schürr, en hommage amical

   L’entrée en scène de Jésus a été précédée par l’activité de Jean le Baptiste, lequel est appelé pour inviter à la pénitence en baptisant ceux qui se repentaient.

Passons sur les divergences complexes à propos du baptême de Jean qu’on est tenté de rapprocher du culte essénien. La proximité de Qumrân appuierait cette hypothèse, en dépit du courant rapide du Jourdain qui ne permet pas l’activité baptismale, sauf à l’un de ses gués que désigne Origène (Comm. sur Jn) et que Jean l’évangéliste confirme, près de Bethabara, au sud est de Jéricho (Jn 1, 28). Cependant le rite essénien se répétait sans cesse alors que le baptême de Jean ne s’administrait qu’une fois. 

Quoiqu’il en soit de l’emplacement et des influences qui se rapportent à ce rite d’eau ancien en Orient, on place l’inauguration du ministère de Jésus à son baptême reçu de Jean. C’est dès cet instant que Jésus a perçu sa mission de faire participer les hommes à la connaissance qu’il avait lui-même reçue de son Père. Jésus se sait placé dans la lignée des messagers de Dieu, mais la conscience qu’il a de son autorité dépasse chez lui la catégorie du prophétisme.

En effet, lorsque Jésus annonce que sa venue inaugure le temps du Salut et la victoire sur le mal, lorsque Jésus fait dépendre l’engagement pour ou contre Dieu et le salut de l’obéissance respectueuse de sa Parole, lorsqu’il proclame que la vraie vie consiste à le suivre, lorsqu’il oppose à la Torah un nouveau droit qu’il présente comme divin, bref, lorsque Jésus désigne sa prédication et ses œuvres comme des événements de salut eschatologiques, une telle conscience de sa mission ne peut s’inscrire dans la catégorie du prophétisme.

Tout ceci indique que Jésus avait, à partir de son baptême, la conscience d’être le Sauveur.

Pour définir son pouvoir et sa fonction d’envoyé, Jésus recourt volontiers aux images qui servent de désignation symbolique pour le Sauveur, images qui sont en corrélation avec les usages symboliques de la communauté. Jésus se désigne comme messager de Dieu qui invite au festin (Mc 2, 17), médecin des malades, pasteur, bâtisseur du Temple de Dieu (Mc 14, 58 ; Mt 16, 18), ou encore père de famille qui rassemble autour de sa table (Mt 10, 24 s).

Tout cela désigne le Sauveur. 

La conscience qu’a Jésus de sa dignité s’exprime par les images du langage symbolique qui débouche dans ce que Joachim Jérémias appelle l’egô emphatique, qui affirme s’exprimer avec l’autorité de Dieu. Jésus revendique le droit de pouvoir amnistier et le pouvoir de légiférer. Il supplante la Torah quand il dit : quiconque entend mes paroles (Mt 7, 24-27) ; quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille mais celui qui m’a envoyé (Mc 9, 37 ; Lc 9, 48 ; Jn 12, 44 etc.). Autrement dit Jésus justifie son comportement par le comportement même de Dieu en en étant le représentant qui, toujours, maintient sa subordination à la volonté de Dieu (Mc 14, 36). C’est cet egô emphatique qui, souligne Jérémias (1), traverse toute la tradition des paroles de Jésus.

 

Gérard LEROY, le 4 septembre 2017

(1) Joachim Jeremias, Théologie du Nouveau Testament, Cerf, Coll. Lectio Divina, 1971.