Pour Andrée et Jean-Michel Canovas, avec mon affection

Athanase, avait été l’un des grands personnages de ce début du IVe siècle. L’un de ses successeurs sur le siège d’Alexandrie, Théophile, n’aura de cesse de renforcer et développer sa cité face à la puissante Constantinople. Théophile est un personnage “haut en couleurs, véritable “pharaon chrétien” (1). Sa lutte contre les cultes païens ne se privera pas de coups d’éclats, détruisant leurs temples, comme ceux de Serapis, de Mithra et de Dionysos.

 

Théophile se montra déterminé à régir toute l’Égypte. Il prit des positions qu’il reniera par la suite, admirant Origène avant de rejoindre ceux qui le combattaient. Il fut d’ailleurs l’un des responsables de l’exil imposé à Jean Chrysostome.

 

C’est le propre neveu de Théophile qui lui succède : Cyrille d’Alexandrie. 

 

Cyrille a sur son oncle un avantage non négligeable : il sait sa théologie, alors que Théophile n’y était nullement entré, même sur la pointe des pieds. Élu en 412, Cyrille commence son épiscopat par critiquer l’arianisme, polémiquer contre les ariens, à la manière qu’avait montré Athanase, c’est-à-dire la manière forte ! Et en lui empruntant le pas, puisque le volumineux Trésor de la Trinité sainte et consubstantielle se compose pour plus d’un tiers d’extraits de l’œuvre d’Athanase.

 

Cyrille ne se contente pas de produire une grosse œuvre théologique. C’est un pasteur. Mais un pasteur au gant de velours et à la main de fer. 

 

Ses premières Lettres festales (2) nous révèlent les premières années de sa vie épiscopale marquées par les moines du désert de Nitrie et par son oncle Théophile. La présentation du diocèse d’Égypte, dont l’influence va grandissant, aide à comprendre les événements qui marquent cette période de l’épiscopat de Cyrille : l’expulsion des Novatiens (3), tolérés jusque là à Alexandrie; un pogrom contre les juifs de la ville, avec tout ce que cela laisse supposer d’actions violentes, de pillage et de meurtres; un attentat manqué contre le préfet (4)... On accuse également Cyrille de connivence dans l’assassinat d’une philosophe (5) qui rassemblait autour d’elle l’élite intellectuelle de la cité... C’est enfin contre le paganisme persistant que Cyrille rédige le Contre Julien, cet empereur resté fidèle aux anciens dieux dont Cyrille ne supporte ni l’adoration ni les adorateurs.

 

 

Le vocabulaire de l’époque rendait difficile la compréhension de la double nature dans la personne unique du Christ. Il est d’ailleurs arrivé à Cyrille d’employer des expressions malheureuses pour évoquer l’unité physique du Christ. En même temps qu’il reconnaît l’incarnation du Logos, il reprend une formule d’Apollinaire, évêque hérétique de Laodicée qui ne reconnaissait que la nature divine du Christ et refusait que le Christ ait eu un esprit humain. Cyrille emboîte un moment le pas de cet évêque, rejoignant ainsi le courant monophysite qui prétend que la nature humaine du Christ s’est dissoute dans sa nature divine, “comme une goutte de miel se dissout dans la mer”.

 

Tout appelle à une clarification. C’est d’autres difficultés qui viennent s’ajouter. Il y avait à cette époque un moine à Antioche (futur évêque de Constantinople) qui fit beaucoup de remue-ménage; il s’agit de Nestorius. Celui-ci remet en cause le titre de Theotokos qui désigne Marie Mère de Dieu. Le titre avait déjà été évoqué par l’évêque Alexandre d’Alexandrie, à Nicée. Il fut repris au concile de Constantinople en 381, et inclus au credo  “Jésus, par l’Esprit Saint, a pris chair de la Vierge Marie”. Nestorius refuse de voir un Dieu formé dans le sein d’une femme, proclamant que Marie est mère d’un homme, et non Mère du Verbe éternel. Nestorius remettait en cause ici la réalité de l’Incarnation.

 

Cyrille demande à Nestorius de se rétracter. L’affaire est portée devant le pape, Innocent I. On organise alors un synode. Rome menace de déposer Nestorius s’il maintient sa position. Cyrille, qui ne fait pas les choses à moitié, se fait le porte-parole de la sentence romaine et dans son élan prononce douze anathématisations de son cru !

 

L’empereur Théodose II s’oppose à Cyrille, convoque un concile à Éphèse. On se rassemble. Sans attendre l’arrivée des évêques syriens Cyrille condamne Nestorius. Quand les évêques syriens arrivent, à la fumée des cierges, doublés, médusés ils dénoncent une décision prise sans qu’ils aient été consultés. Ils s’empressent alors d’excommunier Cyrille ! Les légats romains arrivent, puis l’empereur, qui met tout le monde d’accord en confirmant la mise à l’écart et de Nestorius et de Cyrille ! 

 

On entame des négociations. Cyrille est assez diplomate pour retrouver son siège d’Alexandrie tandis que Nestorius est exilé dans un monastère d’Antioche, d’où il est originaire. Cyrille saisit alors l’opportunité pour revenir sur ses anathématisations. L’union se refait.

 

“Nous confessons donc notre Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Dieu parfait et homme parfait, composé d’une âme raisonnable et d’un corps, engendré du Père avant les siècles selon la divinité, né en ces derniers jours pour nous et pour notre salut, de la Vierge Marie selon l’humanité. Car de deux natures l’union s’est faite. C’est pourquoi nous affirmons un Christ, un Fils, un Seigneur. En raison de cette union sans confusion, nous confessons la sainte Vierge Marie Mère de Dieu, parce que Dieu Verbe s’est incarné et s’est fait homme et que, dès l’instant de sa conception, il s’est uni le temple qu’il avait pris d’elle. Les paroles des Évangiles et des apôtres sur le Seigneur, nous savons que les théologiens les ont tantôt groupées comme dites d’une seule personne, tantôt séparées comme dites de deux natures, les unes convenant à Dieu, selon la divinité du Christ, les autres humbles, selon l’humanité.”

 

Trad. G. Dumeige, La foi catholique, Orante, Paris 1961, pp. 193-194.

 

Gérard LEROY, le 29 octobre 2013

  1. Adalbert-G. Hamman, Pour lire les Pères de l'Église, nouvelle édition revue et augmentée par Guillaume Bady, Cerf, p. 67
  2. Nous possédons vingt-neuf Lettres festales de Cyrille, numérotées de I à XXX, le numéro III ayant été égaré par le copiste, dont le but était de fixer et annoncer la date de Pâques, de 414 à 442. L'étude des questions plus générales, comme le remarque le spécialiste Joseph Wolinski dans un numéro de la Revue d"Études byzantines, est rapporté au dernier volume et concerne les questions trinitaires ou de christologie
  3. Novatien est un prêtre "antipape" qui avait espéré monter sur le trône pontifical à la place de Corneille, lequel lui accorda l'indulgence
  4. Le préfet augustale Oreste. cf. Pierre Évieux, Cyrille d'Alexandrie, Lettres festales, I-VI
  5. Hypatie