Pour Valentine de Braquilanges, ce clin d'œil amical

Ce Jérusalémite probablement de souche, dut recevoir une bonne formation si l’on en juge par ses talents oratoires. Il est ordonné prêtre à vingt ans par l’évêque de Jérusalem, un certain Maxime. Cyrille lui succédera vers 350, ordonné évêque par un dénommé Acacius, archevêque métropolitain influent de Césarée de Palestine, philo-arien, convaincu d'avoir trouvé en Cyrille un allié. Cyrille fut aussitôt soupçonné d'avoir obtenu la nomination épiscopale grâce à des concessions à l'arianisme qu’Acacius protégeait.

 

Mais Cyrille se heurte dès la première année de son mandat à ce métropolitain de Palestine, qui reproche à Cyrille d’avoir vendu des objets sacrés pour apaiser les besoins en temps de famine. L’alibi marque l’opposition tant sur le terrain doctrinal —Acacius pactisait avec les ariens— que sur le terrain juridictionnel. Cyrille, dans son désir de s’émanciper, en vient à revendiquer l'autonomie de son siège par rapport à l'Eglise métropolitaine de Palestine (le métropolite est un archevêque qui a pour fonction de coordonner les évêques des diocèses de sa province ecclésiastique). La réaction du métropolitain ne se fait pas attendre. À son initiative un synode est organisé à Jérusalem, qui dépose Cyrille, lequel résiste... jusqu’à ce qu’une escouade vienne l’expulser manu militari. Un prélat arien remplace Cyrille, lequel connaît son premier exil qui va durer deux ans, de 357 à 359. Ses positions vaudront à Cyrille deux autres exils : en 360, sur décision de l’ennemi Acacius et, enfin, le plus long, à partir de 367, qui durera onze ans, à l'initiative cette fois de l'empereur sympathisant arien Valens. Sur trente-huit ans d’épiscopat Cyrille en aura vécu seize en exil ! 

 

Ce n'est qu'en 378, après la mort de l’empereur Valens qui l’avait combattu, que Cyrille de Jérusalem peut reprendre définitivement possession de son siège. Il commence par panser les plaies, puis déploie toute son énergie pour reconquérir la frange arienne importante de Jérusalem et rétablir l’unité des chrétiens.

 

Notre évêque reste fidèle, malgré toutes les vicissitudes qu’il lui faut endurer, au concile de Nicée. Moins batailleur qu’Athanase, moins théologien qu’un Hilaire à Poitiers, Cyrille, écrit Guillaume Bady, “avait la force tranquille de la foi, la constance dans l’épreuve, le souci de la charité et de l’unité, dans la vérité ” (1).

 

Il nous aura laissé vingt-quatre catéchèses célèbres. Les cinq premières traitent des dispositions préalables au Baptême, du sacrement du Baptême lui-même, de la conversion des coutumes païennes, des vérités contenues dans le Credo. Les cinq suivantes constituent une catéchèse anti-arienne. Les dernières, appelées "mystagogiques", sont une initiation aux mystères de la foi. Elles portent sur le Corps et le Sang du Christ et sur la liturgie eucharistique. On y trouve une explication du Notre Père qui établit un chemin d'initiation à la prière, un commentaire sur les rites du baptême, sur la préparation à la Confirmation et à l'Eucharistie. 

 

Toute l'instruction que prodiguait Cyrille sur la foi chrétienne s’organisait, comme ce fut le cas chez bien des Pères qu’on appelle à juste titre des “apologistes” dans le but de contrer les païens, les ariens, les manichéens et tous ces courants qui foisonnaient, en même temps que la foi chrétienne parvenait à se préciser. L'argumentation, imagée chez Cyrille, était fondée sur la réalisation des promesses de l'Ancien Testament. Il a décrit les grandes étapes qui annoncent le Christ. Après avoir présenté les vérités de la foi contenues dans le credo, Cyrille a expliqué point par point Dieu le Père, le Fils unique, la Passion, la Résurrection, le Saint-Esprit, l’Église universelle, la résurrection de la chair et la vie éternelle. 

 

La catéchèse était alors un moment important de la communauté chrétienne, dans le sein maternel de laquelle avait lieu la gestation du futur fidèle, accompagnée par la prière et le témoignage des proches. Cyrille prononçait ses homélies aux catéchumènes près du tombeau de Jésus, dans la grande basilique constantinienne, pas très loin du Calvaire. 

 

Il disait aux catéchumènes :  "Tu es tombé dans les filets de l'Eglise (cf. Mt 13, 47). Laisse-toi donc prendre vivant; ne t'enfuis pas, car c'est Jésus qui te prend à son hameçon, non pour te donner la mort mais la résurrection après la mort. Tu dois en effet mourir et ressusciter (cf. Rm 6, 11.14). Meurs au péché, et vis pour la justice dès aujourd'hui".

 

Il est heureux que nous possédions ses homélies, grâce auxquelles nous avons accès à la connaissance de la liturgie de Jérusalem de l’époque, à la catéchèse baptismale et à la théologie mystagogique.

 

Grâce à Cyrille de Jérusalem, future émule d’Ambroise de Milan, de Jean Chrysostome et d’Augustin (2) le IVe siècle aura été l’âge d’or de la catéchèse baptismale. 

 

Catéchèse mystagogique de Cyrille

 

Pour les nouveaux baptisés. On lit la première épître catholique de saint Pierre depuis “Soyez sobres et veillez...” (1 P 5, 8) jusqu’à la fin de l’épître.

1. Je voulais depuis longtemps, enfants légitimes et très désirés de l’Église, vous entretenir de ces mystères spirituels et célestes. Mais sachant qu’on se fie bien plus sûrement aux yeux qu’aux oreilles, j’attends le moment présent pour vous trouver plus dociles à mes paroles, à la suite de votre expérience, et pour vous guider vers les prairies plus lumineuses et plus odorantes de ce paradis. 

D’autre part, vous êtes devenus capables d’accueillir des mystères plus divins maintenant qu’on vous a jugés dignes du baptême divin et vivifiant. Donc puisqu’il faut dorénavant dresser la table pour vous nourrir d’enseignements plus parfaits, allons, je vais vous les donner avec soin pour que vous sachiez bien ce qui s’est passé en vous le soir de votre baptême.

2. Vous êtes entrés pour commencer dans la pièce qui précède le baptistère, et debout, attentifs, tournés vers l’Occident, vous avez reçu l’ordre d’étendre la main, et vous avez renoncé à Satan comme s’il était présent.

Or, vous devez savoir que cela se trouve préfiguré dans l’histoire ancienne. Lorsque Pharaon, le plus dur et le plus cruel des tyrans, opprimait le peuple libre et noble des Hébreux, Dieu envoya Moïse pour le soustraire à la dure servitude des Égyptiens. Et ils frottèrent les montants de leurs portes avec le sang de l’agneau pour que l’exterminateur évitât les maisons marquées du sang; et de façon miraculeuse, le peuple Hébreu fut libéré (Ex 12, 12-13; Ex 12, 29-30).

Puis, comme après sa libération, l’ennemi se lançait à sa poursuite et voyait la mer s’ouvrir miraculeusement devant lui, il continua à suivre ses traces et il fut englouti sur-le-champ dans le mer Rouge (Ex 14, 22-30).

 3. Passez maintenant de l’histoire ancienne à la nouvelle, de la figure à la vérité. Là, Moïse est envoyé par Dieu en Égypte : ici, le Christ est envoyé dans le monde par le Père. Là, Moïse doit emmener d’Égypte le peuple opprimé; ici le Christ doit délivrer ceux qui peinent dans le monde sous le poids du péché.

Là, le sang de l’agneau détournait l’exterminateur; ici le sang de l’agneau sans tache, Jésus-Christ, met en fuite l’antique peuple hébreu; toi le démon effronté, impudent, malfaisant, te suivait jusqu’aux sources salutaires. Le tyran fut englouti par la mer; le démon disparaît dans les eaux du salut. 

 

Trad. H. Delanne, dans L’Initiation chrétienne, Ichtus 7, Grasset, Paris 1963, pp. 35-36. 

 

 

Voici la deuxième catéchèse mystagogique qui explique le mystère du Baptême:  

"A trois reprises vous avez été immergés dans l'eau et à chaque fois vous en êtes ressortis, pour symboliser les trois jours de la sépulture du Christ, c'est-à-dire imitant à travers ce rite notre Sauveur, qui passa trois jours et trois nuits dans le sein de la terre (cf. Mt 12, 40). Lors de la première émersion de l'eau, vous avez célébré le souvenir du premier jour passé par le Christ dans le sépulcre, de même qu'avec la première immersion vous en avez confessé la première nuit passée dans le sépulcre :  vous avez été vous aussi comme celui qui est dans la nuit et qui ne voit pas, et celui qui, en revanche, est au jour et jouit de la lumière. Alors qu'auparavant vous étiez plongés dans la nuit et ne pouviez rien voir, en émergeant, en revanche, vous vous êtes trouvés en plein jour. Mystère de la mort et de la naissance, cette eau du salut a été pour vous une tombe et une mère... Pour vous... le moment pour mourir coïncida avec le moment pour naître :  un seul et même moment a réalisé les deux événements".

 

Gérard LEROY, le 21 novembre 2013

  1. Guillaume Bady, Lire les Pères, éd. du Cerf, p. 70
  2. id,  p. 70