La guerre au Proche-Orient nous recommande de savoir, dans une démarche exigeante, critique et salutaire, découpler les conduites de résistances légitimes face à l’occupation et à l’oppression, des questions proprement internes au contreprojet de société islamiste voulu par le Hamas. Convaincus que nous sommes du caractère encombrant et contre productif du parrainage incommodant de la cause palestinienne par un mouvement fondamentaliste radical. Mais il se trouve qu’il fait corps avec la détresse de tout un peuple qui souffre d’un véritable déni de droit et de justice depuis longtemps. Il se consolide aussi à cause de la pusillanimité et du louvoiement de la communauté internationale. Et, l’instabilité du monde et le désordre qui y prévaut, perdurent à cause de l’iniquité et de l’abus.

A ce propos, bien que le caractère " naturel " de la solidarité soit compréhensible de prime abord chez ceux qui laissent place à l’émotion et à la passion, il ne doit pas cautionner, dans la froideur d’esprit et la distanciation nécessaire, une conception d’une ligue par alliance viscérale, exclusive et partiale, fondée sur l’interdépendance ethnique ou confessionnelle. L’ardeur chauvine manifestée dans les situations de conflits pour soutenir les siens, coûte que coûte, altère le principe même de solidarité. L’aide véritable prodiguée a pour vocation de dirimer les raisons de l’injustice et de détruire les causes nourricières de la révolte. Elle doit viser le rétablissement de l’ordre et de la paix, sans plus. La constante et indéfectible assistance au frère ne recouvre son sens que dans la mesure où l’on court effectivement à son secours lorsqu’il est injustement battu et humilié et on l’inhibe sérieusement à commettre son forfait lorsqu’il est arbitrairement inique et oppresseur.

Alors, par hypothèse, eût-ce été le peuple israélien qui souffrît en subissant les affres de l’occupation, de l’oppression et de l’humiliation nous en eussions été spontanément solidaires, naturellement compatissants. C’est une position morale de principe qui ne souffre aucune tergiversation.

A cet égard, nous devons à la vérité d’attester que des rabbins et des intellectuels juifs en Israël même, adoptent cette posture juste, honnête et digne. Ils affichent, non sans grand courage exemplaire, dans une solitude pesante, leur aversion contre la politique répressive de l’Etat d’Israël. Ils ne peuvent cautionner la stratégie " anti-cité " de destruction massive et systématique. Conscients qu’ils sont du caractère inhumain de ce qui est considéré par toutes les conventions internationales comme crimes de guerre, perpétrés à la connaissance immédiate du reste du monde. Ces hommes et ces femmes d’une grande valeur morale, humanistes épris de paix, militants accomplis pour le respect absolu des droits de la personne humaine, agissent de la sorte au nom de la Torah et au nom de la Démocratie. Ils savent très bien que la première, référence scripturaire sacrée, n’autorise pas la vengeance aveugle ni les ripostes démesurément disproportionnées, ils expliquent aussi que même dans la lecture la plus littéraliste, personne ne peut justifier sérieusement et décemment, que pour un œil ce sont les deux yeux, que pour une dent c’est la mâchoire et que pour un homme c’est la tribu… Comme ils réalisent clairement que l’idéal de la seconde est tragiquement altéré par les punitions collectives… Si au moins le tracé et la construction du mur, dit de séparation, ne devaient pas empiéter largement sur les territoires occupés, avec les conséquences désastreuses d’oliviers arrachés et de maisons dynamitées. Enfin, ces hommes et ces femmes probes, intègres et dévoués à Israël ne comprennent pas pourquoi certaines résolutions des Nations Unies sont appliquées avec un empressement sidérant dans un déluge de feu et de fer alors que d’autres bien antérieures, astreignant leur Etat à se conformer à la légalité internationale, sont ignorées. Pourquoi croupissent-elles, avec cynisme, dans les tiroirs des bureaux de l’Organisation sans que personne n’ose appeler à leur application ? Pourquoi le pays qu’ils aiment tant se singularise-t-il dans le concert des nations ? Pourquoi s’assigne-t-il ce rôle de grand geôlier ? La chaîne des pourquoi peut être longue. Ni eux ni personne d’autre, ne peuvent avancer une réponse autre que l’interminable litanie sur les peurs, les haines et les accusations mutuelles du désordre dans une régression à l’infini.

De l’autre côté, une lutte déterminée mais non violente sera beaucoup plus efficace. Son travail de sape mine le moral de la puissance occupante. La réprobation sera unanime des exactions commises à l’encontre de résistants décidés et courageux mais toujours non-violents. Elle réussira à désarmer la plus grande des armées. En l’occurrence, cette forme de révolte et d’opposition à l’oppression devra être un choix stratégique délibéré. Quiconque est voué à la justice et à la liberté devra saisir la force et les promesses de cette forme de combat par la pression morale qu’elle exercera sur l’antagoniste. En définitive, quand la lutte décide de célébrer la vie pour consacrer la liberté, elle offre plus d’espoir que l’infernale spirale qui s’enfonce dans la mort et l’annihilation.

Entre temps, nous adjurons les ordonnateurs du monde d’assumer leur responsabilité en agissant expressément. Qu’attendent-ils pour extraire du formol et " réanimer " les différents plans de paix qui se trouvent pour certains d’entre eux dans un état comateux grave, depuis celui d’Oslo jusqu’à la plate forme de Genève, en passant par les understandings Mitchell via le projet Tenet et les accords de Taba sans oublier les propositions du roi Abdallah ? Il faut agir pendant qu’il est encore temps. Il paraît que la feuille de route n’en est qu’à sa première phase depuis la rencontre d’Annapolis.

  

Ghaleb BENCHEIKH, Président de la Conférence Mondiale des religions pour la Paix, Section française, le 19 janvier 2009