Pour Louis Dolcemascolo, ce retour à son ancêtre...

 

 

 

 

 

 

On se souvient de Roberto Benigni. Ce Toscan intarissable, avait reçu le César 1999 avec une touchante exubérance pour son interprétation dans le poignant film "La vie est belle".

 

 

Benigni a récemment remporté un franc succès à Florence en interprétant, au pied de la statue de Dante Alighieri, treize chants de ce colosse de la littérature italienne, la "Divina Commedia".

 

 

Fort de ce succès Roberto Benigni décide alors de prendre la route du saltimbanque et de dresser ses tréteaux ça et là dans quelques grandes villes d’Europe. À travers le one man show de Roberto Benigni, les Parisiens  découvrent, au Grand Rex, les tombeaux enflammés des hérétiques, rencontrent le Comte Ugolino ou écoutent le récit du dernier voyage d'Ulysse. Benigni déclame son "Tutto Dante", sur le ton mi-badin, mi-mélancolique, qui le caractérise et qui séduit l’auditoire.

 

 

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qui est ce Dante Alighieri, dont le volume de l’œuvre a de quoi effrayer quelque peu.   

 

 

La place et l’œuvre de Dante se situent dans le confluent des débats du Moyen-Âge. Si l’œuvre est d’exception, l’homme ne l’est-il pas ? Né à Florence en 1265, Dante Alighieri a participé à la vie politique de sa ville aux prises avec les haines locales les plus féroces, faisant écho aux querelles à n’en plus finir entre le pape et l’empereur. Dante avait assez de théologie, inspirée de Joachim de Flore (1), de Bonaventure ou de Thomas d’Aquin, pour se mouvoir à l’aise dans la vie intellectuelle et spirituelle du Moyen-Âge. Et surtout, Dante est un parangon de la poésie, qui sait conjuguer passion amoureuse et raison dans une œuvre qui fait sens.

 

 

À son époque la haine fait rage à Florence. Elle anime les aristocrates gibelins dont le chef est l’empereur, contre les princes de Florence, les Guelfes, dont le chef spirituel est le pape et le chef militaire le roi de Sicile. Les rivalités sévissent partout, y compris dans les familles où se forment des clans qui s’entre-déchirent. Le monde, quoi !

 

 

Dante est guelfe. C’est pourtant à cause de guelfes, plus radicaux que lui, qu’il ne peut rentrer au pays après une ambassade qu’il a menée auprès du pape. De Bologne à Lucques, de Lucques à Ravenne, Dante va devoir passer le reste de sa vie à errer de refuge en refuge. C’est donc en exil qu’il meurt en 1321.

 

 

La sécurité des papes n’est pas moins menacée que celle de Dante. Benoît XI, le successeur de Boniface VIII auprès duquel Dante avait tenté une ambassade, est chassé de Rome par une famille, celle des Colonna. Le pape se réfugie à Pérouse en Ombrie, où il meurt, cédant sa place à Clément V, couronné à Lyon, et qui ne peut rejoindre Rome en proie à la guerre civile. Voilà pourquoi, pour une bonne soixantaine d’années, les papes s’installent à Avignon, où la vie est plus sereine.

 

 

Dante n’a pas donné son titre de Divine Comédie à son œuvre qui l’a reçue de commentateurs ayant estimé que la beauté d’une tel texte méritait un tel adjectif. Dante nous emmène en trois cantiques de cent chants dans l’autre monde, celui de l’Enfer, du Purgatoire, du Paradis. La symbolique des chiffres, si prisée au Moyen-Âge, est frappante dans la composition de cette œuvre. Les renvois au chiffre 3, symbole de la Trinité, sont nombreux, autant que les renvois au chiffre 9, celui de Béatrice, son indéfectible amour, emportée par la maladie, en 1290. L’Enfer est composé de 9 cercles, le Paradis de 9 cieux, le Purgatoire de 9 zones. Tout dans la Divine comédie, le monde, les facultés humaines, les vertus morales, s’organise selon une savante disposition dans un ordre parfois subtil, toujours cohérent.

 

 

La cosmologie de Dante s’inspire du système de Ptolémée, qui situe la terre au centre du monde. En son noyau crépitent les demeures infernales. Seul l’hémisphère nord est habité. Autour de la terre s’étagent des cieux concentriques portant 7 planètes. Au-delà, la vision d’un monde extraordinaire est promise à celui qui pourrait les franchir, à la manière du Prophète Mahomet traversant au cours de son voyage céleste les cieux qui l’amènent à Abraham, lequel l'attend au septième !

 

Dans une perspective morale Dante situe ses personnages par rapport à Dieu, afin de replacer chacun devant son destin final. Les rancuniers de toutes sortes reçoivent ici une leçon. L’Enfer ouvre ses portes réfractaires aux luxurieux, aux gourmands, aux avares, aux prodigues et aux coléreux, bref aux pécheurs ayant commis les cinq premiers péchés capitaux de ce comprimé de dogmatisme qu’est le catéchisme. Dante ne manque pas de faire l’éloge des vertus civiques traditionnelles et de condamner les mœurs de son temps qu’il rend responsables de la décadence des familles. Il s’attaque violemment au capétien Philippe IV le Bel, et au pape Clément V. Pour un peu, on entendrait les citations du templier Jacques de Molay sur son bûcher.

 

 

La vision de Dieu est à l’horizon de la vie de tout chrétien. Ce bonheur mystique l’emporte sans conteste sur tous les conforts et les privilèges convoités ici-bas. C’est dire que la morale et la personne ont une autre dimension que celle que leur octroie la politique italienne en ces temps ombrageux.

 

 

Le Florentin n’a pas laissé une philosophie qui lui soit propre. Encore que !... Y a t-il quelque part une place pour l’érudition dont la réflexion raffinée s’est exprimée dans le génie de la poésie ?

 

 

 

Gérard LEROY

 

 

  • (1) Mystique calabrais cistercien de la fin du XIIe siècle qui annonçait le règne de l’Esprit-Saint et voulait donner aux plus humbles un rôle privilégié.