Pour Bernard Schurr, avec mon amitié

   La naissance du premier mouvement doctrinaire islamiste coïncide avec la période de la montée du nazisme. L’idéologie de ce mouvement devenu totalitaire, nourrit la perspective de faire de l’islam un système global, réorganisant la société dans toutes ses composantes en se fondant sur les principes de l’islam. Ce mouvement, né d’un courant politique radical au début du XXe siècle, ne relève pas de la tradition musulmane, mais s’inspire plutôt d’une volonté réformiste de la seconde moitié du XIXe siècle, en Égypte (1).

Deux courants de pensée émergent alors. L’un s’efforçant de construire un État moderne emmené par Gamal Abdel Nasser, tandis que l’autre fomente le projet d’une communauté, une oumma sans frontière. Ce projet est porté par la famille saoudienne des Ibn Saoud. L’opposition de ces deux concepts survit encore aujourd’hui.  

Contrairement à ce qu’on a tendance à croire, le premier fondateur de la confrérie des Frères musulmans, l’Égyptien Hassan al-Banna (†1949), qui entend éduquer le peuple et

l’amener à être “fort, fier, efficace”, n’entend pas y parvenir par la force, à l'opposé de son successeur, l’Égyptien Sayyid Qutb, auquel se réfèrent les chefs  terroristes. Cet Égyptien, poète à ses heures, est considéré par beaucoup comme l’inventeur du concept de djihad mondial prôné par al-Qaïda. Morten Storm le confirme dans son ouvrage “Agent au cœur d’Al-Qaïda (Éd. Cherche-midi). Ce Danois converti à l’islam, d’abord disciple d’Anwar Al-Awlaki, au Yemen, raconte qu’Ayman Al-Zaouahiri, bras droit d’Oussama Ben Laden, se référait à Sayyd Qutb dont les ouvrages passionnaient aussi Al-Awlaki. 

Sayyd Qutb s’oppose à tout, au capitalisme, à l’individualisme, au matérialisme, à la mixité, à l’émancipation de la femme, celle-ci étant par nature inférieure à l’homme, selon lui. Qutb fustige les influences occidentales qu’il considère comme nuisibles. Il prêche l'idée d'une "lutte contre les Juifs"; il dénie le qualificatif de "civilisation" aussi bien à l'est socialiste qu’à l'ouest capitaliste, deux blocs qui incarnent selon lui la "jahiliya", autrement dit l'ignorance, dans laquelle se serait trouvée la société anté islamique. “La société de l’ignorance anté-islamique, dit-il, c’est toute société autre que la société islamique (...) nous faisons entrer dans la catégorie d’ignorance anté-islamique toutes les sociétés qui existent de nos jours sur terre : les sociétés communistes (...), les polythéistes (Inde, Japon, Philippines, Afrique), les sociétés juives et chrétiennes...” (2). Le Pakistanais Abul A'ala Al-Mawdûdî, mort en 1978, martèlera à son tour  que la jahiliyya, ce “temps de l’ignorance”, antérieur à l’islam, doit être combattu.

Jugeant l’incapacité des gens à comprendre réellement l’islam, Qutb condamne et la société égyptienne contemporaine, et le nassérisme qu’il combat en vue de réislamiser la société. 

Si Sayyid Qutb accorde la souveraineté exclusive à Dieu, cette souveraineté inclut le domaine judiciaire et politique (hakimiyya), lequel domaine doit se placer au service de Dieu (ubidiyya). La grande nouveauté apportée par ce leader des Frères Musulmans réside cependant dans la justification du recours à la violence. Sayyid Qutb ouvre la porte à la lutte armée qui se revêtira bientôt du terme de “jihad” (3), puisqu'en 1980, les Frères Musulmans se dotent de ce bras armé clandestin, le Jihad, infiltrant les institutions. De cette branche palestinienne naîtra le Hamas.

Nasser le fait exécuter par pendaison le 29 mai 1966.

Ceux qui suivent ces doctrinaires, et plus encore ceux qu’ils enrôlent, ne savent pas grand-chose du Coran, ni même de la Tradition, à laquelle ils font dire ce qu’ils ont envie qu’elle dise. Les intégristes entrent dans la Tradition comme dans une auberge espagnole où l’on vient avec ce qu’on a et où l’on y trouve ce qu’on veut. Les intégristes ne sont jamais d’anciens pratiquants. Ils se convertissent directement à l’intégrisme. Ce qui les caractérise c’est le degré d’aliénation mentale qui règne au sein du groupe. Les islamistes, ce sont en fait des analphabètes religieux, que seule intéresse l’action directe.

Gérard LEROY, le 4 juin 2015

1. Le courant réformiste prône l’effort personnel de recherche d’interprétation de la religion (= ijtihad). Ces représentants sont:

-  Al-Afghani (1839-1897) qui n’oppose l’islam ni à la science, ni au progrès.

 Muhammad Abduh (1849-1905), mufti d’Égypte, qui affirme la permanence de l’islam. Il affirme que :
     - Dieu Un, sait, veut, peut
     - L’homme est responsable de ses actes et sa vie future en dépend
     - L’essentiel est constitué du Coran et des hadiths
     - Dieu veut la satisfaction des besoins de l’homme

2. cf. Jacques Rollet, Religion et politique, Grasset, 2001, pp. 158-159.

3. Le jihad (jhd), étymologiquement, traduit l’effort fourni, tendu vers un but. L’effort peut être physique, verbal, financier, militaire pendant les croisades, pas sacré. Le petit effort est quotidien (travailler, cultiver ses pommes de terre, faire ses gammes au piano etc.) Le grand effort est continuel, fondé sur une éthique de vie. Alors que l’ijtihad, c’est l’effort  intellectuel. cf. Ghaleb Bencheikh, Alors, c’est quoi l’islam ? Presses de la Renaissance 2001, pp 69-71.