Pour Florin Dumitrescu, en hommage amical 

 Le mouvement charismatique, aujourd’hui, se déploie et attire. On porte sur le phénomène un regard intrigué. Sur quoi se fonde-t-il ? De quelles dérives se méfie-t-on ? 

 

Examinons les choses à l’origine. Le mot charisme vient du grec charisma, lequel se rattache au mot charis que l’on traduit par grâce. Dans la langue spécifiquement théologique le terme charisme désigne l’ensemble des dons conférés par Dieu. Ces dons n’ont pas pour objectif le développement personnel de chacun, mais ils sont offerts dans la perspective du bien de la communauté. Dans le Nouveau Testament, c’est Paul qui en parle le plus. Et dans le vocabulaire de Paul, charisma met en relief l’aspect concret du don reçu. Chacun a son (ou parfois ses) charisme (cf. 1 Co 7, 7; 1 Co 12, 4-11; Rm 12, 4-10). Paul ne manque pas d’insister sur la liberté de l’Esprit-Saint dans l’octroi de ses dons, ainsi que sur l’orientation communautaire dont ils sont chargés. Les Corinthiens auxquels s’adresse Paul en les entretenant des dons de l’Esprit-Saint, sont des gens friands de phénomènes extraordinaires. Ainsi la glossolalie (le don de parler en langues non apprises). Paul procède carrément à une réévaluation de la considération des dons en prenant pour critère le bien commun. Aussi les fonctions de gouvernement peuvent-elles être touchées par les dons de l’Esprit (1 Co 12, 28; Rm 12, 8).

 

À qui sont diffusés ces dons ? Ils ne s’adressent pas seulement aux pasteurs, et Paul insiste là-dessus dans la première aux Corinthiens, au chapitre 12, montrant que ces charismes s’adressent à tous les chrétiens, et ceci en vue du bien commun. Autant dire que sans les charismes, le ministère ecclésiastique serait bien pauvre, voire stérile. C’est bien d’ailleurs ce qu’a repris la constitution conciliaire Lumen gentium, au n° 12 : “Ces charismes, qu’ils soient extraordinaires, ou plus simples et plus répandus, sont ordonnés et adaptés aux besoins de l’Église”.

 

 

Le renouveau charismatique et né, dans l’Église catholique, un jour précis de février 1967, lorsqu’un groupe de professeurs et d’étudiants d’une université de Pittsburg (Pennsylvanie) vécurent ensemble une expérience intense, où tout ce qui compose le phénomène charismatique y est passé : imposition des mains, glossolalie, pleurs de joie, bref un moment où la dimension émotionnelle l’emporta sur tout autre aspect.

 

On observait là une réponse aux élites intellectuelles en proie à la modernité —des théologiens protestants américains venaient d’inaugurer la théorie de la mort de Dieu—. Certains chrétiens étaient, à cette période, passablement dérangés par les sciences humaines, et abandonnaient l’intelligence de leur foi. 

 

Le mouvement charismatique a très tôt exprimé la conscience des écueils ou des déviations à éviter, comme le fondamentalisme dans la lecture des Textes, ou le piétisme dans le vie quotidienne, à l’instar du protestantisme libéral allemand de Schleiermacher. 

 

Le renouveau charismatique a été encouragé, non seulement par les évêques américains, mais aussi par le pape Paul VI. Tout en recommandant le discernement, préalable indispensable, fondé sur trois principes : la fidélité au Credo, la gratitude et l’amour, Paul VI notait, lors d’un congrès de groupes charismatiques qui se tenait en Italie en 1973, que le renouveau charismatique développait ”le goût d’une prière profonde, personnelle et communautaire, un retour à la contemplation, et un accent mis sur la louange de Dieu, le désir de se livrer totalement au Christ, une grande disponibilité aux appels de l’Esprit-Saint, un  fréquentation plus assidue de l’Écriture...”

 

Depuis le dernier quart du XXe siècle se sont développées de nombreuses communautés charismatiques, telle la Sainte Croix, les Pauvres du Seigneur, le Lion de Juda, le Chemin neuf, l’Emmanuel, le Pain de vie etc. Quelques uns peuvent paraître parfois insolites, mais tous incarnent en quelque sorte une nouvelle forme de vie chrétienne communautaire, pas très éloignée de la vie monastique.

 

Le mouvement a gagné l’Europe puis le monde entier. L’Esprit-Saint est aujourd’hui une réalité vécue de la même façon et avec la même foi que les chrétiens de l’Église primitive.

 

Si aujourd’hui les chrétiens sont si souvent en proie à l’incertitude, à la sècheresse évangélique, aux soupçons souvent stupides et toujours réducteurs, qu’ils retournent à l’Évangile. Qu’ils manifestent la vitalité de leur foi en attendant de Dieu l’essentiel (à retrouver), dans un monde prométhéen qui prétend l’avoir remplacé. Qu’ils œuvrent jusqu’à la réconciliation fraternelle, la joie partagée, l’attrait pour la louange et la contemplation, qu’ils élargissent enfin l’intelligence de leur cœur au souffle de l’Esprit de Dieu. 

 

 

Gérard LEROY, le 20 septembre 2013