Pour Béatrice, en prolongement de l'évocation de ce film

   L’affiche de ce film nous invite à retrouver cette philosophe, connue pour être parmi les grands spécialistes du totalitarisme tels que Raymond Aron ou Claude Lefort. Il eut été néanmoins utile d’accoler au nom de Hannah Arendt qui fait titre, une période, celle qui coïncide avec le procès d’Adolph Eichmann, ouvert en 1961 à Jérusalem. La réalisatrice de ce film, Margarethe von Trotta, a en effet pris le parti de se concentrer sur ces quelques mois de la vie de la philosophe allemande, alors exilée aux États-Unis, durant lesquels se tient le procès d’Adolf Eichmann. 

 

Hannah Arendt a elle-même proposé au New Yorker de couvrir le procès de ce responsable nazi. Le journal pouvait s’attendre à une suite d’articles. C’est une étude majeure qu’elle présentera, voyant en Adolph Eichmann l’incarnation de la “banalité du mal”, expression tout à fait originale qui ne manquera pas d'interpeller. Ses articles sont rassemblés pour être publiés en 1963 dans un ouvrage qui s’intitule précisément "Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. "

 

Le spectateur perçoit d’entrée le souci pédagogique de la réalisatrice. Il ne serait d’ailleurs pas erroné d’assimiler le film à un long documentaire (le film dure 1 h 50). Nous revenons cinquante ans en arrière pour assister à une réelle incarnation d’Arendt, interprétée avec justesse et sobriété par Barbara Sukowa, notamment à travers la langue et la voix. 

 

Arendt vit en exil aux États-Unis. Son anglais est chargé des rocailles de l’allemand, et les insertions d’autres langues, comme l’hébreu mais aussi le français, traduisent les déchirures profondes qu’a connues cette génération souvent brinquebalée par l’histoire. 

 

Le premier intérêt du film est de redonner du poids à la notion de banalité du mal, largement discutée d’un point de vue philosophique, mais qui souffre aussi d’être souvent utilisée de manière inconsidérée. Eichmann est présenté par Arendt comme un “insignifiant” qui a obéi à ses supérieurs, n’exécutant que son devoir. L’on est saisi par la dialectique organisée par Arendt entre la conscience et le devoir en amont de l’acte. De sorte que l’insignifiance qualifiant Eichmann le déleste de la part de responsabilité qu’il aurait endossée s’il avait été conscient de ce qu’il commettait. Voilà qui ne manquera pas de heurter les coreligionnaires proches d'Hannah Arendt. Pour ce faire, von Trotta montre comment s’élabore, non sans frictions, la pensée d’Arendt, depuis les discussions rugueuses avec les amis exilés (Hans Jonas en particulier) ou son mari, jusqu’aux souvenirs de sa proximité —charnelle ou intellectuelle, allez savoir !— avec son maître Martin Heidegger. 

 

La réussite de ce film tient à l’invitation qui nous est faite d’inventorier la complexité en amont de nos actes. Ce qui est loin d'être négligeable. 

 

Gérard LEROY, le 15 mai 2013