Dimanche 1er juillet 2018, la foule s’est rassemblée autour du Frère François pour une messe d’action de grâce avant son départ pour Lourdes. Tous les choristes se sont unis pour doter cette célébration d’une beauté unique. Par sa présence, un demi millier de personnes a pu exprimer avec ferveur sa reconnaissance au Frère François dont le frère Charles a inscrit le départ dans les mouvements présents du mercato, déclenchant l’hilarité générale. 

Nous reproduisons ici, à la demande d’un grand nombre de personnes qui ont souhaité se procurer le texte, l’hommage rendu par Gérard Leroy, au nom de la communauté, au Frère François.  

   Quand d’ordinaire je viens vers ce lutrin, c’est pour rendre hommage à un ami ou un parent, qui s’est allongé ; mais toi, Frère François, tu es là, debout, bien vivant, et moi parce que nous avons une énorme dette envers toi et qu’on m’a demandé d’être le porte-parole de tous, ici et dehors, qui désirent t’exprimer leur immense gratitude. 

Je ne veux être ni discourtois et encore moins inexact  en parlant de ce « jeune homme » puisqu'il n’a pas encore 50 ans, tenant sans doute de son père, militaire de carrière, le talent de conduire les hommes ! Et de prendre des décisions aussi fortes que rapides puisqu’à 17 ans, il entre en noviciat, aussitôt après l’obtention du bac. Il était déjà brillant. Il fait sa théologie à Padoue, puis à Toulouse. Depuis plus de 10 ans notre vicaire épiscopal est aussi Provincial de son ordre.

Tu t’en vas à Lourdes François. C’est pour ajouter des miles à ton compteur ? Pour l’heure, François, nous partageons tous l’impression bizarre d’être mêlés à ta communauté franciscaine comme si nous étions membres d’une famille qu’on voudrait immuable, et qui pourtant, à chaque départ de l’un d’entre vous, nous renvoie à nous-mêmes. Nos vies sont des histoires, qui s’effilochent, à mesure que les brins s’en détachent, comme du rafia.

Tout au long de ta mission narbonnaise, tu as beaucoup semé, en bon franciscain, convaincu que tout ce qui n’est pas donné est perdu. Avec une liberté presque désinvolte, tu as exprimé toute ta sollicitude.

Tu as été parmi nous, avec nous, et même parfois au-devant de nous, depuis 24 ans. Un quart de siècle. Le temps file décidément trop vite. On a 20 ans un dimanche et 80 le lendemain. On vient d’un commencement dont on n’est pas maître, et l’on s’oriente avec une totale liberté vers la réalisation des possibles. Le temps est l’horizon de l’être, un espace à remplir. Et tu l’as rempli, avec talent, courage et foi. C’est ta foi libre qui t’a façonné, disais-tu récemment.

Tu auras laissé ta trace au fond de nos mémoires. Tu étais tout entier à celui qui venait vers toi. Ton écoute attentive et chaleureuse, totale, t’avait fourni ce sens étonnant de l'autre. Tu possédais toutes tes ressources jusqu’au bout, pour les appliquer au service de tous, guidé par l'Evangile dont tu as été, pour nous, un témoin apostolique. 

Pour dire les choses d’une manière appropriée, François, je dirais que tu as fait de ton existence, de ton temps, une liturgie, un service. Et pour m’en expliquer j’userai simplement du symbolisme des noces de Cana, mystère du don et mystère du partage. Le Christ à Cana fit un signe en changeant l’eau en vin, nous dit st Jean. Toi, et nous pouvons tous ici l’attester, toi aussi tu as fait signe, tu as été signe. Tu as relevé des cœurs, tu les as aidés à tenir debout, à regarder l’aube qui pointe au bout de la nuit, comme l’Esprit a changé l’eau en vin. 

Tu n’as pas pu te lancer dans cette aventure en te contentant d’une eau de citerne. Il t’a fallu un autre breuvage que celui qui était entreposé dans des jarres qu’il faut sans cesse remplir pour étancher la soif. 

Il t’a fallu un vin fort pour que ta charité aille jusqu’au bout, malgré tout. C’est alors que tout change et révèle au semeur qu’il féconde la terre. Tout est transfiguré. C’est l’orientation que tu as choisie, ta loi, une sorte de « loi de surabondance ». 

Les vocations sont diverses dans notre Église, François. Tu as été d’Église chaque fois que tu as su répondre par le pardon, l’amour et la paix, à la violence, à l’agressivité et à la volonté de domination dans ce monde. Parce que, aussi, tu crois à la réparation des choses abîmées. Beaucoup de tes frères courent le monde au service de l’Évangile, d’autres préfèrent la contemplation, d’autres sortent le chapelet-mitrailleur à tout moment, car il y a des gourmands et des coquets de la prière. Ta foi tranquille et sûre a fait de ton existence un service. 

Tu as été présent dans la diversité narbonnaise, auprès des volleyeurs, des rugbymen accoutrés en Rois mages à chaque Épiphanie. Tu as été un interlocuteur incontournable, reconnu. Tu nous as souvent recommandé de cultiver l’intelligence dont tu savais user pour confondre les sectarismes et les préjugés. Tu as su créer la communion, écouter et transmettre, « ne pas vouloir caresser les oreilles, disais-tu, mais toucher les cœurs, éclairer »… Tu as été, peut-être même sans t’en rendre compte, une de ces épiphanies vivantes de la gratuité, de l’indulgence et de l’intelligence. Tous ici reconnaissent ton incomparable intelligence diplomatique. 

Tout cela vient de la source. “La neige qui est sur les cimes paraît stérile, disait le P. Teilhard, mais sans elle, il n’y aurait pas d’eau dans nos vallées”. Ceux qui t’ont croisé, qui ne partageaient pas ta foi, mais qui venaient librement t’interroger, chercher ton conseil, ces gens ont découvert, avec toi, grâce à toi, le goût d’une existence humaine qui soit autre chose qu’une technique d’appropriation d’un dieu magique, Père Fouettard qui punit, ou papa-poule, qui cajole et qui console. Comme un sourcier qui connaît la sinuosité des chemins d’espérance et l’endurance qu’ils exigent, tu leur as montré, à tous, la source.

Votre vocation, François, la tienne, celle de Charles, celle de Pierre, vous a envoyés en mission, pour être des passeurs de ce monde à celui du Père. Pour annoncer et partager avec nous Celui qui vous a appelés, annoncer aux hommes que Dieu est venu, non pour les éblouir, mais pour les aimer, et les inviter à s’aimer les uns les autres. 

De tout cela François, de tout notre cœur, nous te disons merci. Grand merci pour nous avoir souvent convié à tes noces de Cana. Elles ne sont aujourd’hui que d’argent. Avant qu’un jour elles ne soient de diamant.

La communauté franciscaine de Lourdes a bien de la chance.

 

G.L. 1 / 7 / 2018