Pour Jacqueline et Jean-Michel Jacquier, en hommage amical

   Le climat religieux au début du IIe siècle est hostile aux chrétiens. En dépit des persécutions le christianisme continuait de s’étendre puisque Tacite, dans ses Annales écrites entre 114 et 115, parle d’une “masse considérable” (1). Mais aux IIe et IIIe siècles, le christianisme est secoué par une crise interne grave. Des chrétiens encore sous l’influence du judaïsme hellénisé sont en quête de révélations que Dieu aurait confiées à quelques uns dans le secret. L’Église se trouve menacée de l’intérieur par des hérésies diverses, et surtout par la gnose que va combattre activement Irénée de Lyon.

Au IIe siècle le christianisme est bien implanté dans l’Empire romain, surtout dans sa partie orientale, moins dans la partie occidentale où les résistances lui mènent la vie dure. L’homme de la rue marquait son hostilité pour ces chrétiens dont les principes et les pratiques sociales qui y étaient attachées ne lui convenaient guère. Sans parler des intellectuels qui refusaient catégoriquement cette doctrine qui renversait les grandes philosophies qui avaient imprégné depuis longtemps les mentalités et façonné la culture. Le pouvoir politique, lui, se contentait d’observer les choses en se tenant toujours prêt à intervenir.

Beaucoup de gens sont fascinés par des courants spirituels en provenance d’Égypte ou de Babylonie. Les légendes, les spéculations métaphysiques fumeuses, tout cela relève moins de la raison que du fantasme qui prétend que des esprits bons ou mauvais du monde invisible, influenceraient en bien ou en mal le monde visible. Dès lors, le mal dont souffre le monde trouve une explication nouvelle, ce qui n’exclut pas la mort qui continue de gâcher la vie... 

Les déracinés se tournent vers les religions à mystères, un peu comme aujourd’hui des gens dont la personnalité est encore chrysalide et qui se tournent vers le premier “Monsieur Bonneteau”  venu. À l’époque, à Rome, à Antioche, à Alexandrie, certains pensent que le salut ne peut venir que d’un savoir dont on a été privé, d’une connaissance (en grec : gnôsis) qui délivrerait à des élites le bienheureux secret libérateur. D’où le nom de gnostiques donné aux affidés de ces petites sectes de salut, d’inspiration chrétienne bien souvent, qui se multiplient et que va combattre Irénée.

Irénée est né vers 140 et mort après 203. Il est originaire d’Asie Mineure et fut le disciple de Polycarpe de Smyrne. Il vint à Rome, puis en Gaule, à Lyon vers 175. Deuxième évêque de Lyon il succéda à l’évêque Pothin de 177 à 202.

Voici la lettre d’Irénée à Florinus (2) :
 Je me souviens mieux de ce temps-là que des événements récents, car les choses apprises pendant l’enfance grandissent avec l’âme et ne font qu’un avec elle. Ainsi puis-je dire en quel endroit le bienheureux Polycarpe s’asseyait pour parler, ses entrées et ses sorties, sa manière de vivre, son aspect physique, les entretiens qu’il faisait à la communauté, comment il parlait de ses relations avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, de ses miracles et de son enseignement; comment Polycarpe avait reçu tout cela des témoins oculaires du Verbe de vie et les rapportait en conformité avec les Écritures. Ces choses alors aussi, par la miséricorde divine qui m’a été faite, je les ai écoutées avec soin en conservant la mémoire non pas sur le papyrus mais dans mon cœur. Et toujours pour l’amour de Dieu, je les ai véritablement ruminées et je puis témoigner devant Dieu que si ce presbytre (ancien) bienheureux et apostolique avait entendu quelque chose de semblable à ceci (à savoir les doctrines gnostiques), il aurait poussé des cris et se serait bouché les oreilles; il aurait dit, selon son habitude : “Ô Dieu bon, à quels temps m’avez-vous réservé pour que je supporte cela !” et il aurait quitté la place où, assis ou debout, il aurait entendu de tels discours. On peut d’ailleurs le montrer par les lettres qu’il envoyait soit à des Églises voisines pour les affermir, soit à certains frères pour les avertir et les exhorter.

L’œuvre d’Irénée présente une vue d’ensemble sur le mystère du salut. Son œuvre principale s’intitule en réalité “Mise en lumière et réfutation de la prétendue gnose”. Elle comporte cinq livres, écrits entre 180 et 185. On donne ordinairement à cette œuvre le titre “Adversus Haereses” ou “Contre les hérésies”.

Face aux gnosticismes Irénée ne choisit pas d’autre recours que le témoignage des apôtres, le donné biblique et l’enseignement de l’Évangile. À l’encontre des théories gnostiques Irénée va affirmer l’unité de Dieu, en écho à la christologie d’Ignace d’Antioche († 107), en opposition aux dualismes manichéens gnostiques dont Irénée dénoncera la fantaisie.

 

Gérard LEROY, le 19 janvier 2013

  1. Tacite, Annales, 15, 44.
  2. extrait de l'ouvrage Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique V, 20, trad. G. Bardy, Sources chrétiennes 41, Cerf, Paris 1955, p. 62.