Reconnaissant la perte de l’influence qu’elle détenait sur la société et les esprits, l’Église met son espoir dans une reprise du recrutement sacerdotal, ce qui ne la prédispose guère à envisager l’avenir autrement que comme le prolongement du passé, avec quelques modifications mineures.

Elle ne juge pas avoir à reconsidérer ses structures, ni à réviser sa doctrine, ni à modifier sa discipline, en tenant compte des connaissances et des techniques modernes, de l’univers mental général et des conditions matérielles de l’époque, des besoins concrets et des possibilités spirituelles du temps.

Ses membres, habitués à suivre l’autorité avec une docilité qui relève à la fois de la passivité et de l’indifférence, ont accepté Vatican II plus qu’ils ne s’en sont réjouis pendant que la Curie s’efforçait de réduire ce concile à n’être que le prolongement pastoral de Vatican I. La collégialité des évêques se manifeste moins par une activité créatrice que par la recherche d’une conformité collective avec les ordonnances romaines.

La décentralisation est capitale et urgente. Aux origines, l’absence de centralisation n’empêchait pas les communautés éparses de vivre une unité toute spirituelle grâce à la place prépondérante que tenaient les évêques et les prophètes. Le centralisme engendre l’autoglorification et ravive la nostalgie du pouvoir temporel.

Quand la liturgie  devient une fin en soi au lieu d’être un moyen, elle devient une mise en condition au lieu d’être une mise en marche et favorise narcissisme et  triomphalisme. Préparer l’avenir supposerait de relativiser les mystères de l’homme et de Dieu qui, au lieu d’être pour chaque croyant la source de questions sans cesse reprises, sont actuellement  épuisés par les formulations qui en sont données.

Si Jésus est le chemin, c’est moins par la doctrine d’un plan de Dieu dont il serait la pierre angulaire, que par l’exploration d’une voie où, parti de l’homme qu’il était à ses débuts, il a osé appeler Dieu son Père, tant il sentait avoir tout reçu de lui. Les dévotions ont été trop centrées sur les conditions dramatiques de la Passion, en négligeant les états intérieurs de Jésus.

Commentaire
Le salut par la reprise du recrutement des prêtres? Il faudrait d’abord s’interroger sur le bienfondé du choix de privilégier le respect d’une discipline ecclésiale tardive au détriment du service des sacrements pour les fidèles. On pourrait d’abord arrêter de considérer les prêtres qui veulent se marier comme des criminels, à arracher d’urgence à des paroissiens qui souvent aimeraient les garder et ensuite laisser le choix du célibat sans l’exiger. On peut d’ailleurs se demander si  ce blocage romain n’est pas aussi motivé par le désir de freiner un rapprochement œcuménique modérément apprécié par la Curie. Mais, manque-t-on vraiment de prêtres puisque le cardinal André Vingt-Trois déclare avec satisfaction  qu’on recense 150 000 personnes à la messe du dimanche (pour y assister ou y participer ?) ce qui ne fait que 6 % de pratiquants ? La satisfaction du cardinal viendrait-elle de ce qu’à ce modeste niveau on peut penser qu’il s’agit de fidèles qui « participent » à la messe et pas seulement qui y « assistent » ?

Et ne faudrait-il pas aussi repenser la formation des prêtres ? La durée de leur formation : 6 ans, je crois, n’est-ce pas trop long ? Jésus a formé ses disciples en trois ans et ils ont plutôt performé… Et la formation n’est-elle pas trop livresque ? La culture par les livres, c’est l’affaire d’une vie… À l’heure de la mondialisation, les futurs prêtres doivent connaître le monde…; avoir participé à une messe populaire en Afrique ou au Brésil ouvre des horizons…; et pourquoi pas un mois dans une famille philippine très pieuse, où on dort assis par manque de place.

La décentralisation, oui et oui, mais à condition qu’à la différence du modèle français, elle s’accompagne d’une vraie diminution du pouvoir des bureaux du Vatican qui, comme tous les bureaux du monde entier, ont le souci permanent de produire des textes qui justifient leur existence, ne serait-ce que par les difficultés nées de leur application, laquelle nécessite encore d’autres textes dont l’empilement est proclamé « Tradition » immuable et intangible », en oubliant que cette Tradition sacrée ne remonte guère au-delà du concile de Trente et de la Contre-réforme. Phénomène qui a permis aux responsables de la Curie, dont les 70 textes préparatoires à Vatican II ont été rejetés par une forte majorité des pères conciliaires, de rester en place alors que leur honneur imposait une démission. Peut-être avaient-ils insuffisamment prié pour que l’Esprit les prenne pour demeure.

Dans la perspective de la mission, à la recherche de la bonne terre où prendra la graine de l’Évangile, alors qu’on renonce à faire table rase des traditions culturelles et religieuses étrangères au Christianisme, Claude Geffré estime que seule une décentralisation intelligente pourra faire de celles-ci des chances pour le surgissement de figures encore inédites de l’Évangile du Christ. Qui permettraient par exemple de mettre fin à l’aberration consistant à faire apprendre par des Indiens le Credo, pur produit de la culture grecque, et ce en espagnol ou en portugais, langues qui ne sont pas les leurs.

Le besoin de collégialité est aussi évident pour tous (sauf pour la Curie ?) et, il faut le dire, pour les papes successifs qui se sont employés à vider de toute portée les timides avancées de Vatican II, les synodes nationaux étant traités comme feu les conseils d’arrondissement. Y a-t-il un espoir inavoué  qu’ils connaissent le même sort ?

Tout au contraire, on peut penser qu’il y a plus de chances que l’Esprit soit mieux entendu et compris à plusieurs que par un seul.

Xavier LARÈRE, le 8 février 2013