Pour Annette et Pierre, en hommage amical

   De quelle manière les œuvres d’Aristote sont-elles arrivées jusqu’à nous ?

Au XIIe siècle l’intérêt va croissant pour cet Islam qui a pénétré aussi bien en Languedoc que dans le marais poitevin. Or, on n’a toujours pas de version latine du Coran. On ignore donc le texte auquel l’islam se réfère.

En Bourgogne, au XIIe s., le Père abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, désire connaître le Coran. Il envoie pour ce faire son secrétaire à Tolède. Pourquoi Tolède ? Parce que Tolède est, au XIIe siècle, avec Barcelone, l’un des centres les plus importants de traductions. L’Espagne jouit à l’époque d’une main-d’œuvre de tout premier ordre, composée de musulmans arabes installés depuis le VIIIe siècle, de communautés juives, fort au fait des sciences, de “mozarabes”, chrétiens de culture arabe. Tous ces gens travaillent à la traduction en arabe puis en latin des textes venus de Bagdad ou Bassora. Pourquoi Bassora?

Il se trouve qu’au sud de l’Irak, le port de Bassora était depuis le IXe s. un grand centre commercial et intellectuel. Un calife abbasside y avait fondé, en 820, la Maison de la Sagesse, autrement dit la première grande bibliothèque, faisant venir de Constantinople les études médicales d’Hippocrate, de Galien, les traités de mathématiques d’Euclide ou de Ptolémée, des pièces du théâtre grec d’Euripide, de Sophocle, d'Eschyle, des traités philosophiques de Platon, d’Aristote etc. Toute cela est traduit et commenté par les savants de la Maison de la Sagesse.

Le secrétaire de l’abbé de Cluny arrive à Tolède entre 1141 et 1143. Il reviendra à Cluny sa mule chargée non seulement du Coran dont il aura supervisé la traduction en latin, mais de tous ces ouvrages de mathématiques, de médecine, de théâtre, etc.

De tous les auteurs qu’on débusque à Tolède, c’est Avicenne, un perse mort au XIe s. (1037), qui a la vedette. Ce savant, qui a professé la médecine et la philosophie, a aussi rédigé une somme de commentaires sur les œuvres d’Aristote. Une foison d’encyclopédies arabes, de commentaires de toutes sortes, va enrichir les intellectuels de langue latine parmi lesquels figurent l’abbé de Cluny et quelques uns de ses moines.

 La chrétienté accueille ainsi, en un demi-siècle, une somme de connaissances nouvelles, de traités, sur toutes les sciences qui prennent alors un essor sans précédent. Les copistes de Cluny, du Mont Saint-Michel et d’ailleurs ont alors du pain sur la planche !

L'œuvre de ces copistes est visible au remarquable et passionnant musée médéval d'Avranches, pas très lon des plages du débarquement.

 

Gérard LEROY