Pour Andrée et Jean-Michel, affectueusement

   À l’origine de l’arianisme

Vers 320, un prêtre nommé Arius desservait, à Alexandrie, l’église de Baucalis. Ses mœurs irréprochables, son zèle, son renom de science lui avaient valu dans sa ville de grandes sympathies. Il prêchait devant d’immenses auditoires et son enseignement donnait du mystère de la Trinité une interprétation originale et simple à la fois. Il affirmait que dans la Trinité divine, seul Dieu le Père était un, éternel, inengendré, mais que le Fils Jésus-Christ —celui que les théologiens appelaient le Verbe, λογοσ— avait été créé par Dieu et qu’ensuite, à son tour, le Verbe avait créé le Saint-Esprit. Dans cette trilogie seul le Père était Dieu, les deux autres personnes, de second ordre, étaient subordonnées à Dieu. L’arianisme sauvegardait donc l’unité divine, au prix de la divinité du Christ.

Arius était un touche-à-tout. Il composait des poèmes, des chants faciles à retenir, où il glissait habilement quelques séquences de son credo.

Les rites des ariens étaient semblables à ceux des autres chrétiens. Ils tenaient leurs assemblées liturgiques la nuit ou à l’aube, administraient les mêmes sacrements, quand bien même n’utilisaient-ils pas les mêmes termes. Par exemple, les ariens baptisaient au nom du Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit.

L’arianisme aura diffusé, grâce à la prédication d’un évêque, Ulfila, chez les Goths et les Barbares voisins cantonnés dans les Balkans. Qui est donc cet Ulfila qui a ramené tant de gens vers l’arianisme ?

Né en 312, Ulfila était un disciple d’Eusèbe de Nicomédie, monothéiste pur et dur. Ulfila avait été ordonné puis sacré évêque par Eusèbe en 341. Ulfila était l’évêque arien des Goths, lesquels étaient installés en Dacie (correspondant à la Roumanie aujourd'hui), ayant reçu au IIIe s. la première évangélisation. Ce sont précisément les Goths qui ont repris les persécutions contre les catholiques qu'avait fait suspendre le traité de Milan (331) par lequel Constantin ordonnait que soient respectées toutes les religions.

Ulfila traduisait la Bible en gothique et la commentait. Il créa son église, s’en étant fait le chef au passage, constitua un clergé, composa une liturgie, inaugura des rites, des cérémonies nocturnes, au grand air. Il maintint le baptême, l’eucharistie et l’ordination.

Quand Ulfila mourut en 383, les Goths étaient tous ariens. Les Vandales en étaient imprégnés. Saint Séverin se mit alors à prêcher le catholicisme dans la vallée du Danube entre 450 et 480, sans grand résultat. L'arianisme restait majoritaire chez les envahisseurs barbares, à l’exception des Francs, restés païens.

Au cours du IVe siècle, et en dépit de sa condamnation par le concile de Nicée, l’arianisme s’est répandu dans les Balkans où campaient les peuples barbares. Son succès tenait à la fois à la simplicité de son contenu doctrinal, à l’habileté missionnaire de ses prédicateurs et au caractère national. À la fois combattu par le pape de Rome et l’empereur de Byzance, l'arianisme se fondait sur cette triple raison qui séduisait les populations barbares, en quête de la promotion religieuse que comportait le christianisme arien et de l’indépendance qu’il impliquait par rapport aux hiérarchies politico-religieuses de la romanité.

L’arianisme était donc bien installé en Europe occidentale au IVè siècle. Les Wisigoths le professaient en effet en Espagne, en Aquitaine et en Provence, les Burgondes dans les terres de la vallée du Rhône, les Ostrogoths en Italie, les Vandales l’imposaient par la force à l’Afrique et aux îles de la Méditerranée. Seules l’Irlande et l’Armorique, géographiquement isolées, restaient entièrement catholiques. Les vieilles chrétientés de Grande-Bretagne et de Gaule du Nord subissaient les ravages des Angles et des Saxons pour l’une, et des Francs pour l’autre, peuplades qui restaient attachées au christianisme. Aucun souverain catholique en communion avec Rome ne régnait plus en Europe à la fin du IVè siècle. Les princes ariens en gouvernaient les 9/10ème, les chefs païens se disputaient le reste.

Les Romains catholiques, en dépit des persécutions, résistaient. Ils cultivaient leur mépris pour les l’ariens, assimilés à des incultes. De leur côté, les ariens, hostiles à la vie monastique, s’opposaient à l’instauration de tout clergé régulier. Leurs prêtres, peu instruits, étaient mariés, leurs théologiens médiocres, et leurs évêques en totale dépendance de leurs princes.

La foi des anciennes populations romaines subsistait cependant, mais la force politique du catholicisme semblait anéantie. Le pape Symmaque, mort à l’aube du Vè siècle, était réduit, pour survivre, à s’appuyer sur le roi des Wisigoths ariens, Théodoric I. Les évêques étaient isolés de Rome, parfois en butte à la persécution. Le peuple chrétien soumis à la pression de l’occupant risquait d’embrasser le credo unitaire et simple d’Arius. L’Europe n'allait-elle pas devenir arienne ?

Advint alors Théodose I couronné Empereur de Rome en 379. Un an plus tard, en 380, il publia un édit qui fit triompher le christianisme nicéen qui avait déclaré le Christ consubstantiel au Père (homoousios). “Tous les peuples, dit cet édit de Thessalonique, doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre, celle que reconnaissent Damase et Pierre d’Alexandrie, c’est à dire la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

 Les ariens durent subir une répression sanglante dès 383, si calamiteuse qu’elle mit à mal les relations de l’Empereur Théodose avec Ambroise, évêque de Milan, devant lequel Théodose vint finalement s’humilier publiquement pour être réintégré dans l’Église de laquelle Ambroise l’avait fait excommunier.

Après avoir triomphé dans l’Ancienne Europe romaine, comme dans son prolongement nord-africain, l’arianisme disparut alors totalement d’Orient dont il était originaire, par la répression impériale sous Théodose I, celui-ci ayant déclaré que tout l’empire était (devait être) chrétien “selon la volonté de Dieu”. Ce que Dieu veut...

 

Gérard LEROY, le 25 février 2012