De retour du Proche-Orient, notre ami Bernard Kouchner a bien voulu que sa réflexion à propos des minorités soit portée sur notre site. Nous l'en remercions vivement.

Je me suis rendu en Israël, dans les Territoires palestiniens et en Jordanie. J'en reviens le cœur rempli d'inquiétude, bien sûr à cause des négociations de paix, qui ne progressent pas en dépit de tous les efforts auxquels nous sommes nombreux à prendre part. Les conditions de vie des minorités religieuses de la région, en particulier des chrétiens d'Orient, demeurent une source de grande préoccupation.

Dans ce berceau historique du christianisme, les chrétiens ne sont en effet plus tout à fait chez eux, et leur situation, partout, se dégrade, à des degrés divers. Confrontés aux violences et aux exactions, ou encore à la marginalisation sociale, ils sont de plus en plus nombreux à quitter une terre qui est la leur depuis des siècles, dont ils sont les habitants originaires et dont ils ont, avec d'autres, façonné l'identité.

C'est en Irak que la situation des chrétiens est, de loin, la plus tragique. Assassinats et enlèvements crapuleux, conversions forcées, destructions d'églises et de commerces, leur quotidien les condamne à cet "exode mortel" dénoncé par l'évêque de Kirkourk, Mgr Sako. Ils étaient plus d'un million dans les années 1980. Ils ne sont plus que trois cent mlle aujourd'hui. Les coptes d'Égypte sont également de plus en plus menacés, en dépit des mesures de sécurité prises par le gouvernement égyptien. Au Liban, en Syrie, en Jordanie, leur situation se dégrade progressivement. Dans les Territoires palestiniens, où ils ne sont guère plus de cinquante mille, ils subissent la pression quotidienne de l'occupation.

La conséquence de cette détérioration est bien souvent, pour ceux qui le peuvent, l'émigration. L'exil est le plus grand des drames, pour ceux qui partent, contraints d'abandonner leur terre natale, mais aussi pour ceux qui restent, davantage fragilisés et isolés. Mais c'est également un drame pour des pays dont les chrétiens constituent souvent une part de la jeunesse et de l'élite intellectuelle et économique. Or la présence des chrétiens en Orient n'est pas un droit à revendiquer; elle est essentielle à l'identité de cette région et porte le témoignage vivant d'un pluralisme sans lequel aucune paix durable ne sera possible.

Je lis parfois que l'Occident reste un spectateur distant de ce drame. Ce n'est pas le cas de la France qui, fidèle à sa responsabilité historique auprès de ces communautés, est intervenue, et pas seulement par des condamnations verbales qui restent, hélas, trop souvent nécessaires.

Sollicité par le patriarche des Chaldéens, Mgr Delly, pour répondre à la dramatique dégradation de la sécurité des chrétiens d'Irak, j'ai mis en place, avec Brice Hortefeux, durant l'été 2008, et en liaison avec l'Association d'entraide aux minorités d'Orient, une opération humanitaire de grande ampleur pour accueillir sur le sol français les familles les plus menacées.

Conçue initialement pour accueillir cinq cents chrétiens, l'opération a permis finalement d'accueillir plus de mille personnes directement menacées. Elle se poursuit et devra être renouvelée et étendue. J'y veillerai personnellement, et ce en dépit d'un contexte difficile pour la prise en charge des demandeurs d'asile. Notre pays ne faillira pas à son devoir d'accueil envers ceux qui se tournent vers lui.

Le pape vient de réunir à Rome un Synode pour le Moyen-Orient, qui a rappelé à la communauté internationale l'urgence de traiter un problème trop négligé. Cette heureuse initiative fait écho aux propos du président de la République qui s'en est directement ouvert durant sa récente visite au Saint-Siège. J'en avais enfin souligné l'urgence en juillet dernier auprès des membres de l'instance de dialogue du gouvernement avec l'Église catholique, présidée par le premier ministre.

Au Moyen-Orient comme ailleurs, les droits de l'homme incluent le respect de la liberté de culte et de conviction. Si dans la plupart des pays de cette région, les libertés sont globalement garanties par les Constitutions, en pratique, de nombreuses lois, règlements ou usages et coutumes en limitent la portée. Or, partout, les chrétiens sont des acteurs de stabilité et de réconciliation, et jouent un rôle de passerelle avec l'Occident. Leur disparition serait donc une tragédie. Nous n'en sommes pas là, mais il ne tient qu'à nous d'infléchir la tendance actuelle. Il n'y a pas de fatalité au départ des chrétiens; c'est notre honneur de se battre pour que les droits des minorités, y compris religieuses, ne soient pas bafoués.

Bernard KOUCHNER

le 29 octobre 2010