"Certaines interrogations sont tellement essentielles qu’on peut les reprendre toute une vie sans risquer de s’en lasser".

C’est à propos de l’identité profonde de la Vierge Marie que le moine cistercien Jean-François de Louvencourt nous livre cette réflexion (1). Pourquoi ne pas l’appliquer à la mystérieuse équation de la sexualité  que  tant d’hommes (x) et de femmes (y) voudraient  comprendre, à défaut de la résoudre.

On peut définir une équation comme une égalité conditionnelle dont le résultat dépend de l’identification de plusieurs inconnues. Le paradoxe, c’est qu’ici, le fait de connaître le résultat n’apporte pas de réponse aux difficiles questions. Le premier résultat, c'est l’accroissement de la population. Pourquoi l’équation élémentaire  x + y = enfant peut-elle, malgré sa simplicité, poser un problème ?

Pour tenter de le comprendre, il faut partir de la théorie de l’évolution, progressivement admise par l’Église : elle nous apprend que nous sommes des primates évolués, devenus bipèdes et chez lesquels la conscience est apparue au fil des millénaires. En tant que chrétiens, nous croyons qu’il peut s’agir là d’un dessein de Dieu créateur sur la nature humaine.

En partant donc du règne animal,  regardons  la catégorie des mammifères à laquelle nous appartenons biologiquement. L’équation y est simple : la femelle émet une phéromone (2), signal olfactif à destination du mâle qui alors devient capable d’érection, de pénétration et de fécondation. Quelques secondes suffisent. En dehors de cet appel, qui peut varier d’une fois tous les deux ans (éléphants) à plusieurs fois dans l’année (rongeurs, entre autres), il n’y a pas de "désir " portant le mâle vers une femelle. Celle-ci, quand elle est grosse ou qu’elle allaite, n’émet pas de phéromones, ce qui exclut des naissances trop rapprochées.

Pour l’espèce humaine, les choses sont très différentes.

Le mâle est doté d’une sexualité qui peut être active et reproductrice de quinze à soixante-quinze ans, soit une période de soixante ans correspondant à environ 80 % de son existence. Comme si le développement du cerveau, probablement lié à l’amélioration de la nourriture avec la maîtrise du feu (du cru au cuit), l’apparition de la conscience (l’enterrement des morts), et le passage de l’instinct à la liberté, s’étaient accompagnés d’une explosion de la sexualité, en tout cas pour le mâle.

Dans la force de l’âge (de vingt à trente ans), l'homme peut avoir plusieurs rapports sexuels en vingt-quatre heures. En cas de polygamie, il peut donc être père plusieurs fois dans la même journée. Cette activité sexuelle résulte souvent de "pulsions" d’une incroyable force et bien peu peuvent dire qu’ils n’en n’ont jamais connues, sauf s’ils ont la "chance" d’appartenir à une catégorie dont la caractérologie classique (René Le Senne et Gaston Berger) nous assure qu’ils n’ont que peu de besoins sexuels : cette catégorie est celle des "flegmatiques purs" (non-émotifs, actifs et secondaires).

Nous sommes donc en présence d’une énergie, d’une puissance, d’un potentiel considérable, qui donne le vertige.  En effet, s’il s’était agi seulement de peupler la terre, cette sexualité aurait pu n’être concédée à l’homme que pour un temps (quelques dizaines ou centaines de millénaires ?), une évolution intelligente le conduisant lentement vers un potentiel plus "raisonnable". Cela se produira peut-être, mais pour le moment on ne constate aucun signe annonciateur en ce sens. Pas plus qu’on ne voit d’évolution significative vers une diminution de la dureté, voire de la cruauté des hommes envers leurs compagnes, phénomène inconnu dans le règne animal.

Et la femme ?

Elle est faite pour être reproductrice de douze à quarante et quelques années. Soit une période de vie de trente ans environ. La moitié  de celle de l’homme. Compte tenu de la puissance sexuelle de l’homme, et de son désir, la femme ne semble plus avoir besoin d’émettre quelque phéromone que ce soit pour être fécondée. L’évolution aurait-elle fait disparaître une fonction obsolète ?

L’espèce humaine ne connaîtrait donc aujourd’hui de limites à son activité  sexuelle qu’au moment des menstrues et quelques jours avant et après l’accouchement.

Les femmes ont certes des pulsions sexuelles, mais moins fréquentes, semble-t-il, et moins intenses que celles de l’homme. On y attache d’autant moins d’importance que leur satisfaction déclenche très rarement agression et crime. On nous dit qu’elles doivent souvent attendre la trentaine pour connaître l’orgasme, soit dix ans après l’homme. Leur "droit" à la jouissance a d’ailleurs été longtemps jugé suspect, sinon condamné. Il y a donc asymétrie entre l’homme et la femme, que ce soit au niveau des facultés ou des besoins. La femme ne parait pas être programmée pour fonctionner, sur la durée, au même rythme sexuel que l’homme.

Fonctionnellement, une femme peut néanmoins mettre au monde vingt et quelques enfants. Avec le progrès sanitaire, tous peuvent atteindre l’âge adulte et reproducteur. Et, à la clé, une augmentation exponentielle de la population, généralement subie, mais parfois voulue délibérément. Le plus célèbre exemple historique de l’utilisation consciente de cette dernière possibilité est celui des colons français du Canada (Acadie, Gaspésie, Québec) : environ 75 000 au moment de leur abandon définitif par la France en 1763, ils sont huit millions 250 ans plus tard (dont leur diaspora, importante aux États-Unis). S’ils avaient connu le même accroissement que la population mondiale, ils seraient au mieux un million au lieu de huit !

Passons à l’échelle mondiale. En 1700, la population de la terre était estimée à 500 millions. Trois siècles plus tard elle a dépassé 7 milliards. Elle a donc été multipliée par quatorze. A ce rythme, elle sera de 98 milliards en 2300. C’est-à-dire demain ! Et de 1 372 milliards en 2600. Après-demain. Et de 19 208 milliards en l’an 2900…..

Question : le dessein de Dieu est-il la multiplication à l’infini de l’homme ?

 

Xavier LARÈRE, le 3 février 2012

 

  1. Jean-François de Louvencourt, Prier quinze jours avec le Père Kolbe, Nouvelle Cité, 2000
  2. Les phéromones sont des sécrétions (présentes dans la sueur par exemple) qui transmettent aux individus de même espèce des informations qui jouent un rôle dans l'attraction sexuelle.

 

Prochain article : La  sexualité au risque du péché et de la délinquance. Surtout pour l'homme?