Pour le frère Bernard Cerlès, en hommage amical

    Dieu révélé en Jésus-Christ nous fait connaître en même temps la grandeur de notre vocation. Pas facile d’entrer dans le sens profond de ce credo. Athanase va nous servir de guide. 

“Quant à nous, c’est en toute liberté de cœur que, partant des divines Écritures, nous nous exprimons sur la foi conforme à la piété et que nous plaçons, comme une lampe sur le chandelier, ces paroles : “Il est du Père le Fils, véritable, par nature, et authentique, le propre (Fils) de sa substance, la sagesse unique-engendrée, le Verbe véritable et unique de Dieu. Il n’est pas une créature ou une chose faite, mais le propre (fruit) engendré de la substance du Père. C’est pourquoi il est Dieu véritable puisqu’il est consubstantiel (ομοούσιος) au Père véritable. Quant aux autres, dont il est dit : “Vous êtes des dieux” (Ps 81,6), c’est seulement par participation au Verbe, par le moyen de l’Esprit, qu’ils possèdent cette grâce, à partir du Père. Le Fils est en effet “l’empreinte de la substance du Père” (Hb 1, 3), “lumière de la lumière”, Puissance et Image de la substance du Père. C’est cela que le Seigneur a dit lui-même : “Qui me voit voit le Père” (Jn 14, 9). Toujours il était et il est, et il n’y eut jamais un temps où il n’était pas. Car puisqu’éternel est le Père il faut qu’éternel soit aussi son Verbe et Sagesse.”

Discours contre les ariens, I, 9, sur la divinité du Fils.

 

 

Dans ce Discours contre les ariens, Athanase réfléchit au problème posé par la distinction des trois personnes divines. La raison se heurte à un blocage quasi instinctif. Notre expérience nous conduit en effet à la certitude que chaque personne va de pair avec un être concret. C’est ce qui a amené Origène à présenter les trois personnes divines comme trois hypostases —trois subsistants— qui se distinguent entre eux par leur degré de perfection, avec toute la difficulté qu’a rencontrée Origène de sauvegarder l’unité de ces trois.

 

L’unité n’est pas celle de l’unité de l’atome insécable, mais une unité riche incluant le dialogue, ainsi que le faisait remarquer le cardinal Ratzinger dans un ouvrage paru à la fin des années soixante .

 

Ce qui est déterminant dans la formule d’Athanase una essentia tres personae, c’est le mot personae, qui ouvre une possibilité de relations. En Dieu la personne est purement et simplement relation. Nous découvrons que “la relation est une force originelle de l’être au même titre que la substance”, écrivait J. Ratzinger.

 

 

Ceci étant, que dire du paradoxe suivant : ce en quoi se vérifie l’existence en Dieu de la multiplicité —à savoir les trois personnes distinctes— est en même temps ce par quoi est réalisé en Dieu la plus authentique unité.

 

“Le Fils, en tant que Fils, et dans la mesure où il est Fils, n’existe absolument pas de lui-même, et, de ce fait, il est totalement un avec le Père; n’étant rien à côté de lui, ne prétendant à rien qui lui soit propre, qui ne soit que lui, n’opposant rien au Père qui lui appartienne exclusivement, ne se réservant absolument rien qui soit purement à lui, il est pleinement égal au Père. La logique s’impose : puisqu’il n’y a rien par quoi il serait purement lui, puisqu’il n’existe aucun domaine privé délimité, il coïncide donc avec le Père, il est un avec Lui. C’est exactement cette totale compénétration que le mot “Fils” veut exprimer.

Joseph Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd’hui, Mame, 1967, p. 118.

 

En quoi consiste le mode filial d’existence ? Là est le prolongement de la question qu’ouvre Athanase. S’appuyant sur Jn 14, 10, Athanase inaugure une réflexion inattendue. Chacun aurait le caractère de ce qui a son principe en soi, un principe qui le constitue en quelque sorte, et dont l'activité n'est pas séparable de ce sur quoi il agit. Il y a, selon Athanase, immanence réciproque du Père et du Fils. L’un est en l’autre.

 

Cette notion d’immanence réciproque, tirée de l’Écriture, nous permet d’entrer plus avant dans le mystère de la Trinité, et trouve son analogie dans l’ordre des êtres créées.

 

Pour mieux comprendre l’immanence réciproque prenons la comparaison de l’amour. L’amour tend à faire que deux êtres soient “un” tout en restant “deux”. L’amour est en quête de transparence, en quête de l’interpénétration, de la fusion des deux êtres pour se réaliser, se heurtant toujours à cette limite du corps, qui indivise. L’amour trouve sa joie suprême à donner la joie à l’autre. L’amour a vocation à donner, et à donner la joie, et à puiser dans la joie de l’autre sa propre joie. Mais là encore le corps limite la quête, en empêchant de rejoindre parfaitement l’autre et sa joie. Le franchissement de la limite imposée par le corps, l’unité dans la dualité respectée, tout cela que le chrétien ne peut réaliser, constitue cependant ce vers quoi il tend de toutes ses forces. C’est déjà un bonheur pour lui de découvrir en contemplant le mystère du Dieu-Amour (cf. 1 Jn 3, 8 et 1 Jn 3, 16) qu’il existe un cas au moins où l’amour parfait a réussi. Le chrétien peut déjà se réjouir de ce qu’en Dieu est souverainement réalisé ce qu’il voudrait que fût pour lui-même l’amour. Cette joie culmine quand la foi fait naître en l’homme l’espérance d’être pris un jour lui aussi, avec tous ses frères, dans cet amour. L’un qui est en l’autre nous invite à le rejoindre pour être avec l’autre. L’intelligence de la foi se nourrit de l’intelligence de l’amour.

 

“Les corps qui sont semblables entre eux peuvent d’une manière ou d’une autre se séparer et exister loin les uns des autres, comme c’est le cas pour les fils des hommes par rapport à leurs pères. Il en allait ainsi d’Adam et de son fils Seth, dont il est écrit qu’il “était semblable à l’apparence de son père” (Gn 5, 3).

Mais la génération du Fils à partir du Père est, par nature, autre que celle des hommes; lui est non seulement semblable au Père, mais aussi indivisible (αδιαίρετos) d’avec sa substance; lui et le Père sont un, comme il a dit (cf. Jn 10, 30) et d’autre part, de toute éternité, le Verbe est dans le Père et le Père dans le Verbe, comme c’est le cas pour le rayonnement par rapport à la lumière : pour toutes ces raisons le concile, qui pensait (lui aussi) de cette façon a bien fait d’écrire : consubstantiel (ομοούσιος).

De decr. Sur les décrets du concile de Nicée, 20, 4.

 

 

Gérard LEROY, le 4 octobre 2013