Pour Pierre et Annette Jany, chaleureusement

   Trois grandes œuvres d’Augustin sont à retenir qui expriment sa théologie, en suivant leur histoire.

En 397 Augustin remplace Valère, évêque d’Hippone dont il était le coadjuteur et qui vient de mourir. Il écrit une lettre ouverte à Dieu. Ce sont des Confessions, qui ne sont ni plus ni moins qu’une autobiographie, sans narcissisme aucun, où Augustin met en présence deux thèmes qui lui tiennent à cœur : la liberté et la grâce. Ce document nous dévoile le personnage. Il veut marquer sa petitesse face à  la grandeur de Celui auquel il doit tout et auquel il s’adresse. Du point de vue du style, c’est une œuvre singulière car pour la première fois un auteur parle à la première personne du singulier : “je”.

C’est vraisemblablement vers 410  qu’Augustin écrit La Cité de Dieu, alors que Rome vient d’être mise à sac par les Goths. “Ce fut un vrai désastre", dit Augustin dans ses Révisions (XLIII). “Les adorateurs d’une foule de faux dieux, poursuit-il, les païens, firent tout pour que la responsabilité en retombe sur la religion chrétienne, et ils commencèrent à blasphémer le vrai Dieu. C’est pourquoi, brûlant du zèle de la maison de Dieu j’ai décidé, contre les blasphèmes et les erreurs, d’écrire les livres de la Cité de Dieu”. Augustin s’est d’abord demandé comment Dieu avait pu permettre la chute de Rome. Mais les cités meurent, reconnaît-il, toutes, à l’exception de la cité d’en-haut, fondée et régie par l’amour divin. “Deux amours ont fait deux cités. L’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu a fait la cité terrestre; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi a fait la cité céleste.” Pas d’affolement donc. Le chrétien sait que “la vie terrestre est le noviciat de l’éternité.”

Augustin est confronté à la dialectique où s’opposent la prédestination et le libre-arbitre. La liberté de l’homme lui donne-t-elle, comme l’avance Pélage, d’être seul responsable de sa destinée ? Augustin défend farouchement la souveraineté de la grâce. Pour lui l’homme libre est celui qui accède au libre-arbitre, i.e. qui passe du statut de ne pas pouvoir pécher à celui de pouvoir ne pas pécher. Augustin a bien tenté de conjuguer grâce et liberté. Ses positions pas toujours convaincantes ont parfois été radicalisées. Luther et Calvin, niant que les œuvres aient quelque efficience dans le salut, justifient celui-ci par la seule grâce, ce que les jansénistes renforceront en lui donnant un caractère prédestiné.

 

Le péché originel

Le prestige et la fonction d’Augustin l’amènent à participer à tous les conciles locaux dont les débats sont nourris par un florilège d’hérésies.

Augustin est préoccupé par les rapports de la nature pécheresse et de la grâce rédemptrice. Il expose là-dessus une longue réflexion dans Les Confessions, où il livre le récit d’une jeunesse parsemée de dérives et d’erreurs. Il ressort de cet examen convaincu que sans le secours de la grâce divine la liberté humaine dérive inévitablement vers le mal. Dieu, tel un guide, a remis Augustin sur les rails. Et Augustin se sent le devoir d’annoncer cette assistance, qu’il reconnaît et exalte dans Les Confessions. Augustin juge tous les actes humains à l’aune du péché et de la grâce. Tous les actes orientés vers le bien ne sont pas, pour lui, du fait de l’homme mais de la grâce divine. C’est à cet endroit qu’Augustin se fait le théologien du péché originel. Augustin conçoit la nature de l’homme comme souillée, par héritage d’une faute qui n’en est pas restée à Adam. En cela il s’oppose à Pélage qui envoie promener la grâce pour ne retenir que la raison et la liberté.

On a fait d’Augustin le père du péché originel transmis depuis Adam jusqu’à nous. Tout part d’un décentrement d’une lecture de la Genèse, qui va de l’homme-roi de la création, vers une lecture de l’interdit transgressé par Adam.

Sa thèse de la transmission du péché originel est établie sur le parallèle que fait Paul entre Adam et le Christ. Personne n’échappe au péché, pas même l’innocent nouveau-né, à baptiser donc au plus vite. Si bien que l’enfant ne peut être sauvé que s’il est libéré d’un péché transmis. Le baptême est pour Augustin “l’indispensable condition d’une régénération qui permet d’échapper au supplice de la mort éternelle et qui efface la culpabilité”. On se souvient de la révolte d’un Dostojevski, dans les Frères Karamazov, contre une damnation des enfants sans baptême.

Ce péché transmis jusqu’à nous depuis Adam serait-il l’aune de la sélection entre les élus et les damnés ? La liberté des hommes peut-elle se passer de la grâce du Dieu incarné mort sur la croix pour la rédemption des fautes des hommes? Le débat sur la grâce et la liberté n’a jamais cessé d’animer la réflexion philosophique occidentale et la théologie chrétienne jusqu’à nos jours. La théologie chrétienne d’Occident, à la suite de Paul et d’Augustin, a toujours accordé à ce sujet une considération quasi dogmatique.

 

Gérard LEROY

Le 30 juin 2011