Article de Xavier Larère

   Reconnaissons d'abord que celui de l'occident chrétien n'a été ni facile, ni rapide. Système politique récent —moins de trois siècles—, la démocratie s'est pensée et construite par rapport à une religion chrétienne dominante, 

- en reconnaissant très progressivement des droits égaux à chaque personne de sexe masculin. Un électeur français de 1820 valait environ 150 voix, toutes masculines; 

 - en admettant la liberté de conscience et en pratiquant la tolérance religieuse. N'oublions pas que c'est l'intolérance de l'Église anglicane qui a peuplé l'Amérique du nord, comme celle de Louis XIV avait enrichi la Prusse et les Pays-Bas d'une élite civile et militaire; 

- en établissant les lois de l'État sans référence à celles de la religion. 

- en pratiquant, s'agissant des rapports à la religion, une gamme de formule allant de la religion officielle de l'Angleterre au laïcisme de la République Française en passant par l'Allemagne qui se charge de recouvrer un impôt au profit des religions.

 

Si l'on met à part le colonialisme particulier des croisades et le royaume Franc de Jérusalem, les premiers rapports des pays d'Islam avec la démocratie ont eu lieu au 19e siècle avec des États démocratiques mais colonisateurs. Ils ont donc constaté que leurs valeurs, notamment les droits de l'homme, étaient ouvertement violées par ceux-là mêmes qui les proclamaient.

 

Il est vrai que plusieurs postulats de la démocratie: l'autonomie de la personne, avec le corollaire de la liberté de conscience, l'autonomie de la sphère politique, posaient de sérieux problèmes aux pays d'Islam, pays de "soumission" à Dieu et où l'apostasie est un crime puni de mort.

 

Il n'est donc pas surprenant que, lors de la création des Frères musulmans, leur fondateur, Hassan al Banna, ait affirmé en 1921: " Le Coran et la Sunna appellent à la mobilisation de toute l'Oumma en un seul corps et le peuple au Jihad, à la guerre, à toutes les formes de combat sur terre et sur mer, pour suivre l'exemple laissé par les premières générations de musulmans".

 

De telles proclamations, accompagnées du rappel de la splendeur et de la puissance de l'Oumma, reçus par des populations frustrées, trouvent un terrain favorable lorsqu'elles sont reçues de nos jours par des jeunes, immigrés ou pas, mais en même quête d'identité, et que s'y ajoutent des règles religieuses simples, très favorables aux hommes et une prise en charge matérielle. Ajoutons que dans beaucoup de cités, cet islam est la seule offre religieuse active.

 

On voit donc apparaître un courant, sans doute minoritaire mais fort visible, de refus de la modernité, du débat, du recours à la raison critique, du doute et une volonté, parfois affichée de façon insistante, d'islamiser la laïcité, l'espace public, la vie quotidienne et même la loi.

 

Ce qui se passe actuellement en Turquie, État officiellement laïque, est inquiétant : on voit le gouvernement représentant d'un islam modéré, violer par touches successives la laïcité et réintroduire des pratiques islamiques. Et l'armée, théoriquement garante de la laïcité reste silencieuse.

 

De même, on peut s'interroger quand on voit le comité constitutionnel égyptien abandonner l'expression “État civil”, maintenir l'article 2 qui dispose que "L'islam est la religion de l'État, l'arabe est sa langue officielle et les principes de la loi islamique la source principale de sa législation" et envisager de conditionner les droits des femmes au respect dû à l'Islam.

 

 

Xavier LARERE, le 12 février 2014