Pour Marie, Bruno, Edwige, Bertrand, avec affection

   Sous le soleil montant, deux hommes devisent à propos des événements récents à Jérusalem. Ils éprouvent le même désappointement et tentent de comprendre, non seulement ce qui s’est passé la semaine précédente, mais aussi la rumeur qui commence à se répandre : il se dit en effet que ce Jésus de Nazareth, qui avait étonné, fasciné, agacé, de son vivant, puis crucifié, serait ressuscité. C’est de cela que parlent les deux compagnons en s’approchant du bourg d’Emmaüs, de ce qui leur paraît pour le moins invraisemblable.  

Un inconnu vient se mêler à leur conversation. Discrètement.  Dans une belle page de son livre « Avance en eau profonde », Xavier Thévenot souligne dans cette rencontre la délicatesse de Dieu à l’égard des hommes.

Car en effet, Jésus qui a rejoint les deux compères, ne les devance pas, ne leur assène pas la vérité toute crue. La crue des vérités vient de ceux qui vous inondent de leurs opinions. Ici nous ne sommes pas dans une réunion syndicale où s’affrontent les arguties contraires. Jésus n’interrompt pas. Il écoute. Et entend leur consternation doublée d’amertume. Leur espérance est cassée. Jésus l’entend. Il les invite alors à se tourner vers leurs Écritures, en leur ouvrant l’esprit à ce qu’ils ont toujours su, sans vraiment comprendre.

Au moment de se séparer, Jésus continue sa route. « Reste avec nous, le soir approche ».

Un simple morceau de pain, rompu et partagé suffit à ouvrir les yeux des deux compagnons. Et là encore Jésus n’impose pas l’évidence de sa présence. Inconnu, il se mettait à leur pas. Reconnu, il les quitte.

En définitive, le dieu discret qui se révèle près d’Emmaüs, c’est un Dieu qui marche avec nous, loin d’exiger qu’on exécute des tours de souplesse dorsale, d’ « avoir une peau qui, plus vite, à l’endroit des genoux devient sale », Jésus écoute, comprend ce que nous éprouvons. Il attend que nous nous entretenions avec lui, plutôt que de se laisser sottement envoûtés, que nous le remettions en questions pour nous maintenir authentiques dans notre foi. L’on attend qu’il nous explique sa Parole au lieu de nous murer dans un silence hautain, qu’il nous ouvre les yeux au lieu de nous laisser aveugler pas son éclat, qu’il nous renvoie à autrui, au lieu de s’asseoir sur notre suffisance. 

Ce Dieu-là, qui arpente le sentier sablonneux, raviné et fendu par le soleil, ce Dieu-là fait vivre.

 

Gérard LEROY, le 7 avril 2018