Le premier de cordée, celui qu’on appelle Pierre, s’est d’abord appelé Simon, Simon Bariôna. C'est le fils d’un nommé Jona (ou Jean, ce prénom hébreu est usuel) et le frère d’Andréas (l’apôtre André). Il est originaire de la bourgade de Bethsaïde, en Galilée, à un kilomètre de l’estuaire du Jourdain sur le Lac de Tibériade, et à deux kilomètres de Capharnaüm, juste en face. Simon est marié. A-t-il des enfants ? C’est ce qu’avancent des écrits apocryphes. Son lieu d'habitation l'invite naturellement à la pêche. Il est l’un des tout premiers apôtres à avoir vu Jésus, lequel le surnommera Pierre. Simon —prononcez “Shimon”—, vient de “Shame” qui, en hébreu, signifie “Dieu a entendu”. Cette force tranquille, on l’imagine destinée à tenir un jour une boutique d’articles de pêche près du Lac. “Tu t’appelleras “Kefa”, lui dit Jésus. Pourquoi Kefa ? Kefa c’est le roc, la pierre, en araméen, qu’on traduit en grec par “Petros”, qui donne “Pierre”. Pierre doit être un costaud, généreux, courageux, et droit; un homme à qui on peut faire confiance. Ce n’est pas un confit en dévotion. Il n’a guère de culture, et la culture en ce temps est exclusivement religieuse. Jésus en fait son homme de confiance, son délégué auprès du groupe.

Après la résurrection du Christ, Pierre se met à la fois à l’annoncer et à organiser la diffusion de l’annonce. À Jérusalem, à Antioche, à Corinthe, et pour finir à Rome. C’est là qu’il meurt martyr, crucifié, autour de l’an 64. Son tombeau est situé exactement sous l’autel de la basilique Saint-Pierre de Rome.

Le frère de Pierre, Andréas, est fils de Jona Bariôna, et frère de Simon-Pierre. Son nom est grec, et comme tous les autres noms à cette époque et dans cette contrée, il traduit quelque chose de cet homme, sa virilité, son courage. Est-il l’aîné de Simon ? On peut le penser. L’évangéliste Jean raconte qu’André s’en va trouver son frère Simon pour lui dire : "Nous avons trouvé le Messie" et qu'il l’amene à Jésus (Jn 1, 40-43), démontrant immédiatement un esprit apostolique peu commun.

Après l’envoi des disciples par Jésus ressuscité, André s’en va évangéliser les Scythes, un peuple de nomades évoluant dans un large espace compris entre ce qu’on appelle aujourd’hui l’Ukraine et la Turquie. Lui aussi serait mort crucifié, sur une croix dont les branches forment un “X”. D’où le nom de “croix de Saint-André” attribué à des panneaux signalétiques routiers ou ferroviaires, ou comme symbole de sécurité en laboratoire sur des emballages chimiques, ou encore sur des drapeaux où figurent ce type de croix (anglais, écossais etc.).

Deux frères encore s'ajoutent aux précédents : le miraculé de Compostelle, Jacques, fils de Zébédée, Zabdi en hébreu,. Le nom de Jacques se dit Ya’cob en hébreu. Il signifie “Dieu a soutenu”. Jacques est frère de Jean. Jésus les appelle les “fils du tonnerre” (1). Jacques est pêcheur au Lac. Sa mort se situe une douzaine d’années après Jésus, après sa condamnantion par Hérode Agrippa 1er. Hérode Agrippa succède à son oncle Antipas. Il  est promu roi de Galilée par l’empereur Claude, père de Bérénice, laquelle s’entichera quelques temps de Titus, frère de Domitien et futur empereur. Herode Agrippa fut un des premiers persécuteurs de l’Église naissante. C’est lui qui fit arrêter Jacques lors de la Pâque de 42, à Jérusalem. Jacques, premier mort martyr de la bande des apôtres, a été décapité en 44, et déposé à Compostelle dans des conditions qu’on a toujours ignorées qui relèvent du miracle.

C’est lui que l’Église a toujours appelé “Jacques le Majeur”, pour le distinguer de “Jacques le Minieur” qui ne fut pas apôtre de Jésus, mais premier évêque de Jérusalem et auteur de l’épître qui porte son nom, écrite entre 80 et 90. C’est d’un autre Jacques encore qu’il est question dans l’Évangile, fils d’Alphée, appelé “l’un des douze”.

L’homme que Jésus aimait, c'est Jean, de Yohanân en hébreu, qui signifie “Dieu fait grâce”. Jean est le frère de Jacques, et pêcheur lui aussi. C’est probablement de lui qu’il est question quand dans son évangile Jean a la pudeur de citer “celui que Jésus aimait”. Après la mort de Jésus il s’est retiré dans l’île grecque de Patmos. C’est là que Jean aurait eu la vision qu’il relate dans son Livre de l’Apocalypse, écrit à la toute fin du Ier siècle, sous le règne de Domitien. On a dit aussi que Jean s’était établi à Éphèse, ayant emmené avec lui Marie, la mère de Jésus. Patmos ? Éphèse ? Peut-être Jean a t-il tout simplement séjourné en ces deux endroits, ce qui n’est pas impossible. C’est en tout cas à Éphèse que l’on peut visiter la sépulture de Jean, ce prolixe disciple qui a écrit non seulement le quatrième évangile, mais aussi des lettres aux Églises (trois) et le Livre de l’Apocaypse.

Pierre, Jacques et Jean constituent le noyau proche de Jésus.

L’homme qui parlait aux chevaux, Philippe, est originaire de Bethsaïde, tout près du Lac, comme Pierre. Son nom, Philippos, signifie en grec “qui aime les chevaux”. On pense qu’il est d’origine grecque. Contrairement à beaucoup de jeunes gens qui habitent en bordure du Jourdain ou du Lac, Philippe n’est pas pêcheur, mais charretier. D’après l’apôtre Jean, Philippe aurait été, de tous les apôtres, le premier appelé par Jésus. Son terrain de mission fut la Phrygie, en plein cœur de l’Asie mineure, au sud de la Cappadoce, puis Hiérapolis, aujourd’hui en Turquie. C'est là qu'il aurait terminé sa vie, crucifié la tête en bas, sous le règne infernal de Domitien.

L’éclopé (?) Barthélémy, forme latinisée de Bartholomée, est d’origine araméenne. Son nom, Bar Tholmaï, signifie “Fils de Brisé”. Sachant que l’expression “fils de” ne désigne pas nécessairement une filiation mais aussi l’appartenance au groupe désigné par le mot qui suit, tel “fils de charpentier” pour désigner un membre de cette corporation, Barthélémy devait être d’une famille d’éclopés, ou bien handicapé lui-même. Après la résurrection il a opté pour l’annonce de l’Évangile en Arabie. Y est-il resté ? S’est-il, comme le supposent certaines hypothèses, dirigé vers l’Inde ? On n’est assuré de rien, et les traditions ne nous éclairent guère sur la fin de Barthélémy qui, pour les uns, serait mort écorché vif, pour d’autres aurait été jeté à la mer.

Le globe trotter des apôtres c'est Thomas. Tôma, on le sait, veut dire “jumeau”, l’équivalent de Didymos en grec, ou Didyme. Jumeau de qui ? Bien malin celui qui pourrait le dire. Cet homme dut avoir la bougeote. Après avoir exercé le métier de charpentier —corporation considérée pour sa grande culture religieuse—, Thomas s’en alla évangéliser aux quatre coins de l’Orient, chez les Parthes qui succédaient aux séleucides de Macédoine, en Perse, en Éthiopie, au Yemen, en Inde. C’est là que quatre soldats le plantèrent au poteau d’exécution où le condamné succomba sous leurs flèches.

Ce Thomas serait-il l’auteur de l’évangile apocryphe qu’on lui attribue ? Peut-être...

Le publicain Matthieu, Mattai ou Mattatyaho est affublé d’un nom qui devait beaucoup surprendre les contribuables. On sait avec quelle légèreté les collecteurs d’impôts accomplissaient leur œuvre. Or, Mattai signifie “Don de Dieu”. Allez surnommer ainsi un percepteur ! On l’aurait parfois appelé Lévi. Matthieu a collecté l’impôt pour le compte de l’autorité romaine. Il a la réputation, partagée avec ses collègues de fonction, de prendre au passage sa commission. On imagine les largesses que s’accorde Matthieu. Soudain sa vie change radicalement à la faveur de la rencontre de Jésus. Il abandonne tout pour suivre Jésus. C’est à lui qu’on attribue le premier des quatre évangiles. Restant quelques temps en Palestine pour prêcher après la mort de Jésus, il finit par rejoindre, comme Thomas, l’Éthiopie.

Le fils d’Alphée, Jacques, est “l’un des douze”. C’est ainsi qu’on le désigne, sans plus de détails. Autant dire qu'on ne sait rien de lui, sinon, peut-être, qu’il serait mort martyr, lapidé.

Un autre araméen fait partie de la bande. C'est Thaddée, Thaddaï. Drôle de prénom quand on sait que thaddaï désigne le sein. Mais c’est du sein qui nourrit qu’il s’agit. Était-il commis de ferme, préposé à la traite des bêtes ? Allez savoir. C’est en Syrie que Thadée est allé évangéliser, à Édesse, où mourra Saint Ephrem trois siècles plus tard. Thadée terminera ses jours dans la partie iraquienne actuelle de la Mésopotamie.

Le zêlé Simôn, porte un surnom : le Kananios, ou le zélote, ce qui l’assimilerait au mouvement des résistants luttant contre l’occupation romaine en Palestine. De lui aussi on sait peu de choses. Comme Thadée il finira sa prédication en Mésopotamie, après avoir évangélisé en Égypte.

De tous ces disciples il en est un dont la révolte se retournera contre lui. Judas n’a pas supporté que Jésus ne débarrassa pas Israël du joug romain. Judas, Yehûdah, est appelé l’Iscariote, l’homme de Kerioth, à moins que l’iscariote renvoie au mot araméen qui désigne le trâitre. Son nom signifie “celui qui rend gloire à Yahvé”. On sait, en dépit de l’adhésion fervente de Judas à Jésus, ce qu’il advint de lui après avoir vendu son maître à ses ennemis. Rongé par le remords il se pendit. Dans le champ du potier racheté par les grands prêtres qui le dénommèrent “Champ du sang”.

 

 G. LEROY, le 27 juin 2008

 

  • (1) On connaît depuis une vingtaine d’années la pièce qu’avait écrite Jean-Paul Sartre à l’occasion de Noël 1940 pour ses camarades prisonniers avec lui au stalag de Trèves. Cette pièce s’intitule Bariona, comme Pierre et André, et s’adjoint un sous-titre : “ou les fils du tonnerre”, qui ne sont ni plus ni moins, dans l’Évangile, que Jacques et Jean.