Pour Marie, 

Les voyageurs occidentaux qui ont redécouvert ses rives désertées au XIXe siècle n'ont pas été surpris par ce nom de Mer morte qui la qualifiait. Aucun bruit. Aucune vie. Chauffée par un soleil torride elle ne cesse de s’évaporer, et donc de se vider. Le niveau de sa surface est à 400m sous le niveau moyen des océans. Ses eaux sont connues pour être les plus salées de toutes les mers.

 Dans l’Antiquité, les rabbins avaient jugé impures ses rives nauséabondes et voyaient dans ses sources brûlantes une des bouches de l’enfer. Et jusqu’au milieu du XXe s. des savants crurent que les oiseaux qui s’aventuraient trop bas s’étouffaient !

 Les recherches archéologiques qui se sont déployées à partir des années 60 ont révélé des signes de vie abondants sur les deux rives. On a en effet découvert des villages, des cimetières, des domaines agricoles, des résidences de plaisance. La région avait été longtemps habitée, prisée. Les dynasties hasmonéennes et hérodiennes (IIe s. av.-1er s.ap. J.-C.) comptaient une vingtaine de sites répartis autour de ce grand bassin, tandis que le désert de Judée, au cours de la période byzantine (VIe-VIIIe s.) se couvrait de monastères.

 Les eaux thermales sulfureuses attiraient les malades, surtout les lépreux, mais aussi les personnes venues déjouer les sorts qui en étaient la cause. Hérode le Grand, souffrant atrocement, est venu vers la fin de sa vie chercher la guérison aux eaux de Callirrhoé, aujourd’hui appelée ‘Ein ez-Zara.

 C’est au nord-ouest de ce bassin que s’étaient développées les régions de Qumrân.

 La découverte des manuscrits de Qumrân

Tout commence une fin d’après-midi de 1947, tout près de la Mer Morte. Un jeune berger se met à la recherche d’une de ses chèvres égarée. Il se lasse, s’assied, lance quelques cailloux vers une cavité de la paroi rocheuse. Au bruit qu’il entend il croit avoir cassé de la vaisselle ! Inquiet, Mohammed ed-Dhib va quérir un sien cousin. Tous deux s’engouffrent dans la grotte. Il n’y a pas de quoi être effrayé : seules quelques jarres jonchent le sol. Vides. Sauf une, qui contient trois rouleaux de cuir, avec des gribouillages. Que faire de ces vieilleries, tout justes bonnes à remplacer des courroies de  sandales, pense Mohammed. Nos compères sont tout de même intrigués, et reviennent le lendemain sur les lieux. Ils découvrent encore d’autres rouleaux, qu’ils portent au cordonnier de Bethléem. La trouvaille intéresse. Le cordonnier remet les rouleaux à un métropolite de Jérusalem. L’Université hébraïque se préoccupe de négocier l’achat des rouleaux. Les archéologues se mobilisent. L’affaire sentant le pactole, des bédouins s’installent aux abords de la rive occidentale de la mer Morte et se font chasseurs d’antiquités.

 Le R.P. Roland de Vaux, dominicain, alors Directeur de l’École biblique et archéologique de Jérusalem, dirige les fouilles entre 1947 et 1956 et découvre des grottes ayant été habitées quatre mille ans plus tôt par une société d’économie mixte de cueilleurs-chasseurs. Pour le P. de Vaux, la production des manuscrits trouvés est entièrement le fait des esséniens. Ces textes révèlent des sensibilités religieuses diverses
 et aussi un site moins isolé qu’on avait pu le penser à première vue. Tous les textes ne sont pas bibliques. Ainsi dispose-t-on dès les premières découvertes de La Règle de la Communauté, dont il existe 12 exemplaires.

 Des savants archéologues de l’American School of Oriental Research, ainsi que des Français, offrent leur collaboration au P. de Vaux assisté du directeur du Département des antiquités de Jérusalem. On entreprend la fouille systématique de la falaise abrupte, sur plus de huit kilomètres. Quarante grottes sont explorées, avec l’aide du matériel de l’armée. Tout est mis en œuvre pour assurer le succès de ces missions difficiles, voire dangereuses.

Un riche butin vient récompenser les efforts des chercheurs.

 Les grottes livrent une à une leurs fragments de manuscrits : la règle de la communauté qui résidait là depuis plus d’un siècle av J.-C., un commentaire araméen des quinze premiers chapitres de la Genèse, un manuscrit d’Ézéchiel, un rouleau des Psaumes, un commentaire araméen du livre de Job, et surtout un long rouleau d’Isaïe, bande de plus de 7 mètres de long, parfaitement conservée selon les spécialistes. S’ajoutent à cela le rouleau du Temple, présentant une description du Temple de Jérusalem, les règles de pureté rituelle à Qumrân, les offrandes à l’occasion des fêtes, et les statuts du roi et de l’armée. Quelle manne !

 Les plus anciens éléments découverts à Qumrân datent du IIe siècle av. J.-C. Tous ces textes, dont la rédaction s'étale sur deux siècles, sont très utiles pour connaître le contexte politique, culturel, juridique de cette période troublée par l’occupation romaine en prise avec un pouvoir religieux peu docile, un judaïsme très diversifié, auquel il faut ajouter les divers mouvements religieux rencontrés à l’époque de Jésus.

Parmi ces mouvements on retient d’abord le groupe des sadducéens. Ceux-ci viennent de la riche aristocratie et constituent la caste privilégiée de notables. Ils sont liés aux Grands Prêtres, qui dirigent et administrent le Temple de Jérusalem. Ils n’ont pas la sympathie du peuple parce qu’ils acceptent la domination et l’occupation romaines. Ces conservateurs qui lisent l’Écriture à la lettre en se gardant bien d’en déceler l’esprit, sont en quelque sorte les fondamentalistes de l’époque.

Suivent les Pharisiens, groupe d’égale importance, qui constituent l’élite cultivée. Leur nom signifie “séparés”. Ce sont des gens issus de classes moyennes, séparés du pouvoir, et montrant du mépris pour le petit peuple ignorant. Ce sont les champions de la Loi. Ils se distinguent des sadducéens qui ne veulent pas entendre parler d’immortalité de l’âme, de résurrection ou de jugement final, au contraire des pharisiens qui attendent, eux, un Messie (1) , et l’annoncent au peuple dans les synagogues.

Quant aux scribes, souvent d’obédience pharisienne, ce sont des purs, obéissant très scrupuleusement à la Loi de Moïse et respectant les règles parfois compliquées de pureté rituelle. Les scribes pharisiens pensent que les prescriptions légales doivent s’enraciner dans l’Écriture et dans la “tradition des Anciens”. Dès lors les prêtres perdent une part de leur rôle juridique au profit des scribes, selon lesquels le Droit devrait désormais surgir de l’éxégèse pharisienne des textes de Moïse.

Enfin ces gens, les Esséniens, qu’on a localisés à Qumrân, marginaux pieux, baptisant tous les jours, mettant en commun leurs biens, et vivant selon un idéal de perfection morale appliquant les règles strictes que s’est fixée la Communauté (2) .

Les Esséniens ont très vité été associés aux écrits bibliques trouvés dans les grottes de Qumrân. Les recherches archéologiques dans cette région se sont développées, et ont permis de mieux connaître cette secte juive qu’on n’ignorait pas.

Philon d’Alexandrie les avait évoqué avec assez de précision : “ Ils habitent ensemble en confréries... Il n’y a qu’une seule caisse pour tous et les dépenses sont communes; communs sont les vêtemets et communs les aliments; ils ont en effet adopté l’usage des repas en commun. Un tel usage du même toit, du même genre de vie et de la même table, on le chercherait en vain ailleurs.” (Quod omnis probus, 85) (3).

Pline l’Ancien y est allé de son observation, commençant par localiser la communauté. Il écrit, en 77 : “Sur le rivage occidental de la Mer morte, hors de portée de l’influence nocive de ses eaux, sont établis les Ésseniens. Peuple solitaire et le plus extraordinaire qui soit, sans femmes, sans amour, sans argent, et vivant dans la société des palmiers...[...]  Au-dessous des Ésseniens s’élevait la ville d’Engaddi qui ne le cédait qu’à Jéricho pour la fertilité et pour ses palmeraies.” (4)

Leur piété et leur rigueur morale avaient fait l’admiration de leurs contemporains. Leur communauté était très hiérarchisée, vivait à l’écart de la société juive et fonctionnait sous l’autorité d’un “Maître de justice”. Leur pratique religieuse, indépendante du Temple de Jérusalem, respectait le sabbat, les rituels d’ablution etc.

L’état de la recherche

Si les premières traductions ont été unanimement appréciées comme excellentes, le glossaire des notes a dû être soumis à la révision.

Pour répondre à un public intéressé par les langues bibliques, et à l’initiative d’André Paul, un spécialiste du judaïsme ancien, les éditions du Cerf ont demandé à une équipe de chercheurs francophones, dirigée par Kattel Berthelot, Thierry Legrand et André Paul, de proposer au public une édition bilingue des manuscrits. L’équipe est composée de plusieurs nationalités (France, Israël, Canada, Tchéquie...). Leur but est de rendre accessible ce trésor de la littérature antique à tous ceux que ce “monument” de l’histoire attire, biblistes évidemment, mais aussi historiens, et curieux de l’histoire du judaïsme ancien et du christianisme primitif. Le premier volume intitulé La bibliothèque de Qumrân, Torah-Genèse, couvre 640 pages et comprend le texte sur la page de gauche dans sa langue d’origine (hébreu, araméen, grec...), sa traduction sur la page de droite, une introduction et des notes. Huit autres volumes sont à paraître au cours des huit prochaines années.

 

Gérard LEROY, le 8 avril 2017

 

  • (1)  Le terme Messie tire son origine de l’hébreu Masiah, puis du grec Christos, l’un et l’autre se traduisant par “oint” ou “Messie”. Christ et Messie c’est la même chose, dit l’évangéliste Jean. C’est l’oint du Seigneur, le monarque, investi de la force divine. On attend donc un Messie, quelqu’un qui doit venir, envoyé par Dieu, et qui doit mettre fin à la crise politique insoluble, pour guider Israël vers un grand destin.
  • (2) cf. l’excellente étude de Jean Pouilly, Qumrân, Cahiers Évangile, suppl au n° 61, Cerf, 1987.
  • (3) Philon d'Alexandrie, Quod omnis probus liber sit,  Introduction, texte, traduction et notes par Madeleine Petit, Cerf, Collection « Œuvres de Philon d'Alexandrie » N° 28,  85, 1974.
  • (4) Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, Édition et traduction d'Émile Littré. Dubochet, Livre  V, 17, 4.
  • (5) La bibliothèque de Qumrân, volume 1, Torah-Genèse, sous la dir. de K. Berthelot, T. Legrand, A. Paul, Éd. du Cerf.