Pour Andrée Canovas, que j'embrasse
   Ce temps est marqué par trois choses : le goût de la profession monastique, le prestige de la chevalerie, l’attrait de la Terre Sainte. C’est dans ce climat que naît un petit groupe appelé à l’origine “Les Obligations des Pauvres Chevaliers du Christ”.

Un parent de Bernard de Clairvaux, Hugues de Payns, et sept autres barons de la région de Troyes, décident de former une communauté fraternelle, “le 13e jour du 12e mois de l'an de grâce 1117”, “faisant étape dans la plaisante cité de Narbonne” avant d’atteindre la Terre Sainte. Le chevalier doit se dévouer tout entier à Dieu, aux frères pèlerins en Terre sainte, qu’il s’engage à protéger contre les agressions. Il prononce les vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté.

Deux événements secouent la chrétienté : Saint-Jacques de Compostelle a été prise par les musulmans en 998. Douze ans plus tard, en 1010, c’est la basilique du St-Sépulcre à Jérusalem qui est détruite, par un fou. Ce fou est musulman. Alors les chrétiens déclarent la guerre aux “infidèles”. Le pape Urbain II ne cherche rien d’autre qu’à libérer le Saint-Sépulcre profané, et la Terre Sainte qu’il juge souillée.

Alors, manants, ermites, loqueteux s’en vont coudre une croix sur leurs vêtements, annonçant ainsi la couleur de leur équipe dans le conflit islamo-chrétien. Ils se font “croisés”. Et partent... et périssent bien avant leur arrivée. Combien sont-ils ? Cinq, dix, quinze mille ?

Les éclopés sont accueillis dans un hôpital fondé à Jérusalem en 1050 par un prêtre italien, un certain Gérard, qui met à profit les revenus croissants des monastères hospitaliers pour fonder, avec quelques frères, une congrégation nouvelle. C’est la congrégation des “Frères hospitaliers de St-Jean de Jérusalem”, qui accueille les croisés blessés. Les “Pauvres chevaliers du Christ”, eux, sont hébergés par le roi de Jérusalem dans son palais qui jouxte l’ancien Temple de Salomon. On les appelle alors “Pauvres chevaliers du Christ et du Temple de Salomon”. Ces Chevaliers du Temple vont devenir “Les Templiers”.

Moines ou soldats ? Moines combattants ! Le pape établit une règle propre

à leur statut de moine-soldat. Saint-Bernard fera l’éloge de ces Templiers qui obéissent à leurs supérieurs, qui vivent en commun, sans rien qui leur appartienne en propre, sans femme, jamais oisifs, rejetant le jeu, armés de foi, de courage et soutenus par la puissance de Dieu...

Désormais  légitimés par cette haute autorité spirituelle de l’Occident, Hugues de Payns et ses compagnons recrutent. L’Ordre du Temple connaît alors un succès considérable et ne cesse de se développer.

Le pape Innocent II décide que les Templiers dépendront directement de lui, et commence par leur octroyer des dîmes. La colère monte parmi les prêtres séculiers, dénonçant les privilèges accordés aux Templiers, qui disposent de leurs propres cimetières, de leurs propres églises, profitent de la générosité de leurs fidèles. Tout cela n’est pas du goût du clergé.

Les commanderies de Templiers essaiment un peu partout, non seulement en Terre Sainte, mais aussi en Bretagne, en Provence, dans les Pyrénées, puis à travers toute l’Europe. La commanderie des Templiers se présente comme une petite exploitation agricole, bénéficiant de dons substantiels qui permettent des acquisitions. Elle devient alors assez importante pour régner comme une maison-mère sur les membres de toute une région. On dénombre entre deux mille et trois mille manoirs dans toute la chrétienté, 1170 pour la France au début du XIVe siècle.

La puissance spirituelle et politique, l’opulence même de l’Ordre s’accroît et fait des jaloux dans les cours. Les seigneurs, les princes et même les rois ont recours à leurs prêts pour financer leurs croisades. L’Ordre va faire l’objet d’une véritable hostilité, nourrie peu à peu des autorités religieuses. Le roi Philippe le Bel lui-même commence à lorgner sur le trésor du Temple.

Suite à une défaite subie en 1291 contre les mameluks (1) à Saint-Jean d’Acre, les Templiers décimés évacuent leur palais de Jérusalem. Le Saint-Siège et le roi de France, avides et jaloux de la puissance militaire et financière considérable des Templiers, convoitent leurs trésors. Pape et Roi s’affrontent. Philippe le Bel a répudié sa femme. Boniface VIII excommunie le roi !

L’opinion publique, en France, accuse de tous les maux ces Templiers, qu’on dit idolâtres, proches de l’islam; on répand qu’ils crachent sur le visage du Christ dont ils refuseraient la divinité. La rumeur dit aussi qu’ils pratiquent la sodomie.

Le pape Clément V, installé à Avignon, convoque le Grand Maître du Temple, Jacques de Molay, pour négocier la fusion des Templiers avec les Frères hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Jacques de Molay refuse. Le roi Philippe le Bel fait arrêter les Templiers, en 1307, un vendredi 13 octobre. De ce vendredi 13 serait née, dit-on, la superstition (2).

Le chancelier Guillaume de Nogaret (3) dénonce avec violence les “fautes” des Templiers. Le peuple de Paris se soulève dans les jardins du Palais. Le pape enfonce le clou, et ordonne l’arrestation des Templiers et...  confisque leurs biens... !

Le sort des Templiers paraît dès lors arrêté. Il est discuté au Concile de Vienne en 1311. Le roi de France, pressé d’en finir, fait pression sur le pape. Celui-ci promulgue alors la bulle qui annonce l’abolition de l’Ordre du Temple. Qui, du roi ou du pape, a gagné la partie ? À qui iront les biens considérables de l’Ordre des Templiers ? Ni au Saint-Siège ni au roi, mais à l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem !

Deux ans plus tard, le 18 mars 1314, la foule des grands jours s’est rassemblée non loin de l’échafaud dressé sur la pointe ouest de l’île de la Cité, qu’on dénommait alors “l’Île aux joncs”.  Les quatre grands dignitaires de l’Ordre des Templiers sont amenés là, revêtus de leur manteau blanc. Les badauds s’attendent à les voir humiliés, invoquant le pardon de la foule. C’est leur innocence qu’ils clameront : “Je jure, crie le Grand Maître, à la face du Ciel et de la terre, que tout ce qu’on a dit des crimes et de l’impiété des Templiers, est une horrible calomnie. C’est un Ordre saint, juste, orthodoxe.” Sur le bûcher allumé, le même Grand Maître Jacques de Molay lance un dernier cri : “Pape Clément, roi Philippe, Messire de Nogaret, je vous cite au tribunal de Dieu avant un an”.

Le chancelier Guillaume de Nogaret meurt quelques jours plus tard. Le pape décède le 20 avril, à Roquemore, dans le Gard, et le roi succombe à une apoplexie au cours d’une chasse, le 29 novembre de la même année.

Voilà bien un événement qui interpella le bon peuple...

 

Gérard LEROY, le 21 juin 2012

 

  1. membres d’une milice d’esclaves affranchis au service des califes abbassides, puis ottomans
  2. ce n'est qu'une des hypothèses
  3. Le Garde des Sceaux en quelque sorte