Pour Jean-Marie Lebouc, avec mon amitié

 

   L’aube du IVe siècle se lève sur un embrouillamini théologique. De quoi se préoccupe-t-on ?  

- de sauvegarder la transcendance de Dieu le Père

- d’affirmer l’existence distincte et la divinité du Fils

- de fonder théologiquement la divinisation de l’homme

 

Les opinions courantes de l’époque sont rapportées par Eusèbe de Césarée, qui montre que l’approche théologique élargit démesurément le fossé qui sépare le Fils du Père. En effet, le Fils est réduit à la fonction de participer, et seulement de participer, à l’œuvre du Père. Que dit Eusèbe ?

 

“L’oracle compare à cette image de l’huile (ndlr : versée par Moïse sur ceux qui étaient consacrés) la puissance très haute du Dieu, chef suprême et roi universel, et il appelle “Christ” et “oint” celui qui, le premier et le seul a été oint de la totalité de cette huile, celui qui a participé à cette bonne odeur paternelle à laquelle personne ne peut avoir part, celui qui, seul, a été engendré de lui comme Dieu Verbe, celui qui a été manifesté comme Dieu issu de Dieu par participation à l’Inengendré qui l’a engendré, cet Inengendré qui est le premier et qui est le plus grand.” (1)

 

Cette Démonstration évangélique tend à expliquer le Christ en recourant à l’Ancien Testament. L’approche d’Eusèbe de la Trinité s’exprime encore plus clairement dans sa Préparation Évangélique :

 

Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des astres, dit le divin apôtre. L’astre diffère de l’astre par son éclat (1 Co 15, 41).

 

C’est d’après de semblables comparaisons que nous pouvons —imparfaitement— concevoir le monde des substances incorporelles et noétiques : ce sont, premièrement, la puissance du Dieu sublime de l’univers, puissance ineffable et incommensurable avec le reste; puis vient en second lieu, après le Père, la puissance démiurgique et illuminatrice du Verbe divin, que les Hébreux ont coutume d’appeler la “lumière véritable” et le “soleil de Justice”; en troisième position, après la deuxième substance, vient la troisième substance, le Saint Esprit qui, dans la comparaison, correspond à la lune [...]. 

Ce dernier (l’Esprit Saint), qui occupe le troisième rang, fournit à ceux qui lui sont soumis quelque chose des puissances excellentes qu’il contient, non sans les avoir au préalable reçues lui même du Dieu Verbe, lequel, à son tour, est second, disions-nous, par rapport à Dieu, le roi universel...” (2).

 

La situation était confuse, bien avant qu’Arius vienne ajouter une zizanie dont la chrétienté se serait bien passée mais qui, in fine, l’a convoquée à une intelligence de la foi et l’a obligée à se réfléchir et se positionner. Si l’on n’éprouvait guère de trouble à adorer un Dieu Père, un Dieu Fils et le Saint-Esprit on peut bien imaginer que certains martyrs ne se sont guère posé le problème théologique de la Trinité. On vivait sa foi. Quant à la penser, c’était risquer l’entorse des neurones en concluant à la fois à une éventuelle  hiérarchie entre le Père et le Fils, et donc à une préséance du Père dommageable pour le Verbe. 

 

Pourtant, au IIe siècle déjà, un Libyen nommé Sabellius s’en était allé prêcher que le Père et le Fils sont identifiés, précisant même que Dieu s’est manifesté comme Père dans l’Ancien Testament, comme Fils dans l’incarnation, et comme Esprit à la Pentecôte. Trois temps, trois phénomènes, trois manifestations distinctes. Voilà le sabellianisme inauguré, qui se manifestera encore à la fin du IVe siècle.

 

 

Cette identification du Père et du Fils soulève une question chez Arius sur laquelle nous allons revenir, après qu’on l’ait présenté.

 

Arius est né vers 250 et fut ordonné prêtre en 312. C’est un berbère, Libyen lui aussi puisque né en Cyrénaïque, au beau milieu du IIIe siècle. Arius est un théologien, doublé d’un ascète, portant toujours le même demi-manteau par dessus une tunique courte sans manches. Ses contemporains le décrivent comme un homme de haute stature, séducteur, flatteur, parlant avec douceur. Rufin d’Aquilée, historien condisciple de Jérôme, appose un bémol aux descriptions avantageuses, disant d’Arius que cet homme pieux l’est davantage par son allure extérieure que par sa vertu, l’homme étant de surcroît avide de gloire et de louanges.

 

Soit. Mais cet Arius va surtout poser un problème théologique qui ne va pas se résoudre en une tourne-main.

 

Partout en ville on ne parle que du statut du Fils, qui tient de son Père une existence qui, pour les uns ne peut être éternelle, ce que d’autres contestent. Grégoire de Nysse, rappelons-le, disait bien qu’on peut toujours essayer de demander l’heure à quelqu’un, il faut s’attendre à recevoir une dissertation sur l’Engendré, sur l’Inengendré etc. Tout le reste passe au second plan, le cours de la monnaie, le prix du pain et le reste. 

 

Arius, qui avait été disciple d’un certain Lucien d’Antioche, tout comme Eusèbe de Césarée et Eusèbe de Nicomédie, a par ailleurs montré quelque talent de parolier-compositeur. Arius s’en va en effet composer comme un slogan une rengaine théologique que tout le monde, les dockers, les marins ou les tisserands, s’en va chanter en défilant dans les rues. C'est dire son influence...

 

 

Gérard LEROY, le 28 juin 2013  

 

  1. Eusèbe de Césarée, Démonstration évangélique, IV, 15, 15-16.  
  2. Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, Livre VII, 15, 4-6.