Pour Roland Covarel, en hommage amical

   L’opinion publique a cette capacité étonnante à enterrer en un tour de main ceux ou celles qu’elle a adulés. Messier, l’emblème de la réussite du monde du business, Kerviel de la finance, Burgaud de la justice, Strauss-Khan de l’économie politique, Armstrong du sport cycliste... Leurs frasques ou leurs négligences les ont fait quitter le temple des “personnalités respectables” pour devenir des symboles mêmes de l’escroquerie, emportant nos illusions. Voilà ce qui arrive quand on attribue d’emblée des responsabilités à ces gens qu’on voudrait puissants et qui n’usent bien souvent de puissance qu’au service d’eux-mêmes. Quand le dérapage survient, la surprise est de taille !

Et il semble que, en France du moins, on ait oublié Alan Greenspan, référence des économistes pendant des années. Ce républicain, qui a soutenu Richard Nixon avant d’être nommé par Ronald Reagan président du Conseil de la Réserve fédérale des États-Unis, jouissait d’une aura incomparable —les bourses du monde entier guettaient ses commentaires dès qu’un bilan était rendu—, faisait la pluie et le beau temps des marchés, préconisant  une politique de crédit facile qui a conduit à la catastrophe que l’on sait et surtout que l’on subit.

Suite à la crise des subprimes, dès octobre 2008, Alan Greespan a reconnu publiquement devant le Congrès avoir trouvé un défaut dans son système consistant à faire du marché libre le meilleur moyen d'organiser l'économie.

Dès 2007, sept millions de familles américaines étaient expulsées de leur logement, dont l’acquisition par leur banquier malhonnête était à prévoir dès la signature d’un prêt à des emprunteurs que le prêteur savait insolvables.

Quand en septembre 2008, l’ancien dirigeant de la Banque Goldman Sachs, nommé secrétaire d’État aux finances en 2006, a laissé couler la banque Lehman Brothers, rivale de sa grande banque Goldman Sachs, tandis qu’il sauvait un autre groupe dans lequel sa propre banque avait de gros intérêts, il se faisait le pilote d’un bateau mondial qui allait au naufrage.

Le journaliste politique Alfred Grosser révélait il y a peu dans le quotidien La Croix, que le téléfilm sur cette affaire n’avait pas été réfuté.

Pour peu que l’on se retourne pour établir l’étiologie de la crise économique on découvre ça et là, non pas des anomalies, ou des accrocs, mais des scandales, tels que celui de la London Interbank Offered Rate (LIBOR), dont le comportement de certains protagonistes ayant manipulé ses taux entre 2005 et 2009, a sapé la confiance dans l’une des pierres angulaires du système financier mondial dont le montant des produits financiers dépasse notre imagination puisqu’il s’élève à 350 000 milliards de dollars ! Alfred Grosser ne manque pas de dénoncer d’autres banques aux manquement inqualifiables. C’est le cas de la Barclays, de la Deutsche Bank, ou de la “respectable” Union des banques suisses UBS.

Le Crédit agricole, tout comme la banque Dexia, aujourd’hui rachetée par la Royal Bank of Canada, et qui devait soutenir les projets municipaux et départementaux, ont risqué leurs fonds dans de gigantesques spéculations. Au point que Dexia aurait vendu des produits très risqués à des clients désormais affreusement endettés, tandis que son principal dirigeant parti la veille de la tempête coulerait des jours tranquilles avec une retraite correspondant à la somme des retraites de cinquante professeurs ! A. Grosser note que “le risque des manipulateurs est pratiquement nul.” En versant une grosse somme qui n’altère guère sa santé financière, la banque se préserve des poursuites judiciaires que pourraient encourir ses responsables.

Qui comble les gouffres creusés par les manipulateurs ? D’après vous ? Les contribuables bien entendu ! Qui a fait les frais des malversations dans l’affaire du Crédit Lyonnais ? Les contribuables. Où sont les contrôles et la répression des tricheries favorisant l’évasion fiscale ?

La revue Commentaire (1), revue intellectuelle trimestrielle fondée voilà plus de trente ans par Raymond Aron dans le but de suivre le mouvement des idées en France, en Europe et dans le monde, cite Guy de Maupassant :
L’immense catastrophe financière de ces temps derniers (cet écrit date des années 1880 !) vient de prouver de façon définitive que la probité est en train de disparaître... Voler dix sous est toujours voler, mais faire disparaître cent millions n’est point voler. Des directeurs de vastes entreprises financières font chaque jour des opérations que tout leur interdit, depuis les règlements de leurs sociétés jusqu’à la plus vulgaire bonne foi; ils ne s’en considèrent pas moins comme parfaitement honorables.

L’informatique a permis qu’en un tour de main, en appuyant tout simplement sur la touche “enter”, des traders fassent gagner des fortunes à leurs banque ou à leur groupe. On vend, on achète une usine comme on achète sa baguette. C’est plus facile que de patienter dans l’attente d’un retour sur investissement. Alors, à quoi bon investir ? Les seuls à devoir patienter longtemps, très longtemps, sont les salariés qui n’ont pour se contenter que l’annonce des bons résultats de leur entreprise, ce qui leur permet, tout au plus, d’espérer le maintien de leur poste...

Les responsables politiques, plutôt que de se chamailler sur des thèmes futiles jusqu’à amuser la galerie, ne devraient-il pas prendre à bras-le-corps ces phénomènes à l’origine de l’actuelle crise ? Tant qu’on reste dans l’attente de ce débat on doit aussi s’attendre à de nouvelles crises.

Gérard LEROY, le 23 novembre 2012

  1. revue dans laquelle s’impliquent des universitaires, comme l’allemand Michaël Stürmer, des historiens comme l’italien Sergio Romano, des intellectuels français tels que Emmanuel Leroy Ladurie, Jean-François Poncet , ou encore des hommes politiques comme François Bayrou et V. Giscard d’Estaing.