Pour Andrée Canovas, en hommage amical

La politique religieuse des Carolingiens rencontre des difficultés qu’il faut évoquer si l’on veut dégager les lignes de force de la renaissance spirituelle de ce temps.

Des saints authentiques fournissent à la dynastie carolingienne l’aura religieuse nécessaire à son prestige. Charles Martel, habile politique et d’une foi reconnue comme solide, accorde sa protection militaire aux missionnaires, fait progresser l’influence franque avec le christianisme qui devient aussi un levier politique.

En revanche, ce qui n’est pas sans surprendre un regard moderne, ce défenseur de la foi offre des évêchés à des laïcs, à Mayence, à Reims ou à Trèves, et procède à des nominations de laïcs à la tête de grands monastères. Ce procédé est connu sous le nom de simonie. Le terme désigne la vente d’investitures ecclésiastiques par les patrons d’églises privées, et le trafic des charges épiscopales. Ces charges épiscopales sont achetées à l’archevêque par les autorités laïques —le roi ne s’en prive pas— pour placer un protégé. De la même manière, les ordinations de prêtres ou les consécrations de diacres sont achetées à l’évêque. Chemin faisant l’Église franque se désorganise. On gardera néanmoins de ce Charles Martel le service rendu à la chrétienté en repoussant les hordes de musulmans conquérants, un siècle seulement après la mort de Mahomet.

Pépin, fait passer les problèmes religieux au premier plan. Il entretient des relations personnelles avec le pape et développe une vraie politique religieuse dans trois domaines : la réparation des spoliations de son père; la réforme de l’Église franque; l’expansion missionnaire.

L’initiative d’introduire des réformes dans l’Église franque revient au frère de Charles Martel, un certain Carloman, qui se préoccupe de l’influence du christianisme en même temps qu’il fait progresser l’autorité franque. Pépin achève la reconquête de la Septimanie, entamée par son père, et réduit à néant la présence musulmane en Gaule en reprenant Narbonne aux arabo-musulmans qui l’occupaient depuis quarante ans.

Charlemagne nous est connu grâce à la Vita Karoli de son biographe Eginhard disant de son empereur qu’ “il pratiqua scrupuleusement et avec la plus grande ferveur la religion chrétienne, dont il avait été imbu dès sa plus tendre enfance.” Le prince lit chaque jour les heures canoniales, autrement dit l’opus dei, prière que les monastères bénédictins célèbrent à chaque office (Matines, des Laudes etc.). À ces offices les moines chantent quelques psaumes. À table, Charlemagne se fait faire la lecture. Comme les moines dans certaines abbayes aujourd’hui. Charlemagne apprécie Augustin et particulièrement La Cité de Dieu. Il multiplie les fondations, les aumônes, envoie des subsides en Terre Sainte et sur son Testament il lègue les deux tiers de son Trésor entre les vingt et une Églises de son Empire.

En revanche il lui est reproché une vie qu’aujourd’hui on dénoncerait non sans véhémence. Car en effet Charlemagne prend successivement trois femmes, puis quatre concubines à la mort de sa dernière épouse. Mais rappelons que Charlemagne vit selon la tradition germanique. S’il n’a jamais conclu de mariage avec bénédiction du prêtre, il est en cela conforme à l’usage des siens.

Charlemagne identifie totalement la société civile et la société religieuse. Il gouverne à la fois l’Empire et l’Église. “Notre tâche est de protéger, les armes à la main, avec le secours de la grâce divine, la sainte Église du Christ de l’invasion des païens et de la dévastation des infidèles [...]. Votre tâche, très saint Père, par la prière [...] est d’aider notre armée jusqu’à ce que, par votre intercession [...] le peuple chrétien ait toujours la victoire sur les ennemis de son Saint Nom et que le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ soit glorifié dans le monde entier.” Les rôles sont répartis; au pape le rôle sacerdotal. Jamais, en Occident, après la disparition de l’Empire, la papauté ne fut aussi soumise à l’autorité monarchique.

Une expédition menée en 778 en Espagne par Charlemagne aboutit à l’occupation en Catalogne de la province de Urgel. En 801 le futur empereur Louis organise la défense du territoire où affluent bon nombre de chrétiens espagnols désireux de se soustraire au joug musulman. Les Asturies (au nord) et la Marche d’Espagne constituaient alors les deux bastions chrétiens.

Sous le règne de Charlemagne se sont tenues de nombreuses assemblées conciliaires, condamnant entre autres l’adoptianisme, résurgence tardive de l’arianisme (Charles a présidé lui-même l’assemblée de Francfort en 794, en présence de quelques légats du pape).

C’est lui qui décide de faire vérifier l’application des décision conciliaires, par des missi dominici, des envoyés spéciaux. Il exige des fidèles qu’ils apprennent  le Notre Père et le Credo. On raconte qu’un jour, lors de la célébration d’un baptême collectif, dans le diocèse de Liège, Charles demanda à un groupe de parrains de réciter ces prières. Devant leur ignorance il est pris de colère et ordonne l’annulation immédiate de la cérémonie et commande une enquête sur les conditions dans lesquelles le baptême est donné dans tout l’Empire.

C’est lui encore qui tranche le contentieux sur la procession du Saint-Esprit. Les Grecs affirmaient que le Saint-Esprit procédait du Père par le Fils, les Latins qu’il procédait du Père et du Fils. Charlemagne convoque le concile d’Aix-la-Chapelle, en 809, qui ratifie la doctrine occidentale. Charlemagne ordonne alors l’insertion, dans le Credo, du “Filioque procedit”.

Comme cette mention ne figurait pas dans le symbole de Nicée-Constantinople, les Orientaux la considérèrent non comme un dogme, mais comme une addition.

En dépit de l’obligation du baptême pour tous, les pratiques païennes se maintiennent.

Les Juifs conservent leur religion. Leur présence est d’ailleurs attestée à la cour de Charlemagne. Les colonies juives sont importantes dans le Midi de la France, et à Lyon. Il semble qu’au temps des carolingiens juifs et chrétiens aient vécu en bons termes dans l’empire, en tout cas bien mieux que deux siècles plus tard.

Charles a rétabli l’ordre dans les Églises de ses États, régularisé la vie des monastères, généralisé les connaissances religieuses élémentaires. Il s’est comporté en chef de l’Église. La réaction cléricale ne va pas tarder.

Elle se développe sous le règne de Louis le Pieux, qui a le souci d’exercer la prérogative impériale sur la papauté. Louis exige que l’élection pontificale soit ratifiée par l’empereur. Pas moins ! Il reconnaît cependant aux évêques un droit de contrôle moral sur la conduite des affaires.

Avec son ami Benoît d’Aniane Louis met fin à la remise en ordre monastique décidée au concile d’Aix-la-Chapelle (817).

Mais, trop scrupuleux et rempli de culpabilité, Louis fait pénitence par des gestes publics d’humiliation. Son autorité en est gravement affectée.

Les conflits entre les fils de Louis le Pieux effritèrent la dynastie carolingienne et permirent aux papes du IXè siècle de reprendre le flambeau de l’autorité chancelante de souverains. 

La prédication en Europe du Nord se poursuit. En 826, le roi Harold, chassé du Danemark, demande le baptême. Ce baptême marque un tournant. Les Normands, autrement dit les Danois et les scandinaves de Norvège, viennent razzier le nord de l’empire franc, en remontant les rivières (ainsi fut pris Paris en 861, et pour la troisième fois). Ces envahisseurs, réputés pour être de farouches païens, voient quelques uns des leurs se convertir vers 870. Tout comme l’avait fait un chef des Huns, en 795, qui avait demandé pour lui et les siens le baptême. La conversion définitive des Normands s’opère à partir de 912.

En conclusion, on mesure le chemin parcouru tout au long de ce IXè siècle. Les Germains ont reçu le baptême; une quinzaine de diocèses nouveaux ont été érigés; les Scandinaves et les Slaves ont été christianisés; les terres de la chrétienté unifiées, sous l’autorité du nouvel Empire, connaissent alors la paix religieuse.

Dans ce temps où l’islam arrachait au catholicisme l’Afrique et le bassin méditerranéen, les missionnaires carolingiens ouvraient de nouveaux champs de chrétienté. Une nouvelle société chrétienne s’élaborait dans la pensée des clercs et s’établissait dans la pratique de la vie quotidienne.

Gérard LEROY, le 23 avril 2012