Entre "tuer" et "libérer" une porte à ouvrir ?

 

Aux Pr Samir Hamamah et Gérard LÉVY, en hommage amical

 

Merci aux Professeurs Hamamah et Lévy pour la confiance qu'ils me témoignent en me demandant de participer à un décryptage éthique difficile, qui exige humilité et prudence. L'approche du problème qui nous convoque, encombrée par nos préjugés sociaux, nos atavismes moraux, religieux, est effectivement jonchée de difficultés. "Ce n'est pas le chemin qui est impossible, disait Kirkegaard, c'est l'impossible qui est le chemin." Allons-y.

Je commencerai par une observation. Depuis plusieurs années de nombreux spécialistes de diverses disciplines sont conviés à réfléchir à cette question : "doit-on, ou pas, ou peut-on, ou pas, intervenir  —et si oui, de quelle façon— sur la vie d'un être dont la douleur ou l'hideuse ou préjudiciable malformation justifie qu'il vaille mieux pour cet être qu'il soit mort ?"

La sagesse des acteurs sur ce sujet est louable. C'est même à l'honneur de notre société que de craindre et de ne vouloir pas brader ni l'homme, ni la vie. C'est même rassurant. On peut se réjouir qu'il reste à notre société assez de sérieux et de courage pour accepter de se colleter avec ce genre de problème, plus complexe en effet que les aventures du géant Tintinabule !

Sur quelle logique, sociale, morale, éthique peut-on fonder une réponse «au face-à-face» ultime ? Est-il même nécessaire de l'établir ?

D'emblée je m'écarte de ce que l'on appelle l'exception d'euthanasie en France, préférant à ce montage compliqué et peu sûr, ouvrir une piste dans une autre direction que celle caractérisée par l'approche binaire qui perçoit le praticien soit comme meurtrier, soit comme bienfaiteur. Autrement dit je propose de dégager la réflexion emprisonnée par deux termes à connotation morale opposés —"tuer" et "libérer"—, qui rangent les acteurs soit dans la catégorie des assassins, soit dans celle des gens auxquels on attribue le courage de prendre la liberté de soulager un patient qui n'est que douleur, à l'encontre de la pratique sociale et des interdits imposés par la juridiction en vigueur.

Entre le verbe "tuer" qui relève de l'interdit imposé par le droit, et le verbe "libérer", qui se place dans la perpective de la vie bonne, n'y a-t-il pas une autre voie qui nous délivrerait de l' impasse ?  Comme ils n'appartiennent pas à la même catégorie. Ceci m'amène :
- à m'appuyer sur la distinction nécessaire entre morale et éthique, dans la perspective d'en tirer avantage pour notre réflexion sur l'éthique clinique comme éthique en situation concrète;
- je tenterai ensuite de mieux comprendre ce débat que je perçois confus et passionnel sur l'illicite meurtre, que d'aucuns voudraient légitimer, tandis que d'autres appellent à suspendre les poursuites judiciaires d'un geste mû par compassion pour un sujet dont l'état est désespéré.
En conclusion j'essaierai de montrer la nécessité de la réciprocité dans la relation entre morale et éthique, entre droit et conscience individuelle.

a) Faut-il distinguer entre morale et éthique ? À vrai dire rien, dans l'étymologie, n'impose la distinction : l'un vient du latin (mores), l'autre du grec (ethos), et les deux renvoient à l'idée de mœurs.

Cependant l'on s'accorde, aujourd'hui, pour distinguer d'une part les comportements individuels et sociaux en regard des normes qui les autorisent ou les interdisent, et d'autre part les actes autorisés, spécifiés par la motion du désir ou par la raison, qui s'accomplissent sous le signe d'actions estimées bonnes. Les balises de l'interdit font qu'un acte est moral ou pas, selon qu'il s'inscrit à l'intérieur de ces normes. Ce qui, de ce point de vue, donne à la morale sa caractéristique obligatoire, marquée par des règles, des obligations, des interdictions. Ainsi la morale est-elle caractérisée par deux choses à la fois : elle doit pouvoir s'adresser à tout le monde, c'est son exigence d'universalité, et tout le monde ne peut pas faire n'importe quoi, c'est sa caractéristique d'effet de contrainte.

Alors qu'on range les actes qui s'accomplissent dans la perspective des actions estimées bonnes, dans la catégorie de l’éthique. L'éthique c'est la visée dynamique d'une vie accomplie sous le signe d'actions estimées bonnes.

Mais bonnes pour qui, dans le cadre qui nous préoccupe ? Parce qu'elles seraient conformes à un concept de l'homme ? À un principe ontologique dont la morale fait son objet, séparé de la violence de l'histoire ? Ou pour les personnes confrontées à l'instant critique ? La question exige qu'on n'en reste pas là.

La distinction entre éthique et morale aura pour avantage de libérer l’herméneutique de l’enfermement des contraintes du devoir. Elle marque l'opposition entre deux héritages : l’héritage kantien, où la morale est définie par le caractère d'obligation de la loi, et l’héritage aristotélicien, où l'éthique est caractérisée par sa finalité. Cette séparation conceptuelle de la morale et de l'éthique permet la différenciation entre l'obéissance aux normes, d'une part, et la visée de la vie bonne, d'autre part.

Il reste à la visée éthique, de passer nos actes au crible de la norme. Parce que si libre qu'on soit d'agir en vue d'un bien on tient tout de même cette liberté du droit qui nous l'autorise, lequel droit trouve son fondement dans le souhait de vivre bien, avec et pour les autres, ce qui implique que la visée du vivre bien enveloppe de quelque manière le sens de la justice, i.e. la notion même de l'autre.  L’éthique se pose donc en amont de la morale —ainsi que l'a montré Paul Ricœur —, mais aussi en aval en restant sous la surveillance de la norme qui préserve des dérives que la visée éthique, au principe de la norme, veut éviter, en vue de la vie bonne, universellement. 

On aura repéré les premiers signes de réciprocité qui s'instaurent dans la relation entre éthique et morale.

 

b) L'éthique clinique, comme éthique en situation concrète, ne peut ignorer les valeurs de la société. Elle a donc en ce sens une portée sociale qu'il convient de reconnaître si l'on ne veut pas transformer le médecin en prestataire de service, au service du corps social. L'éthique clinique est une éthique en situation concrète où il ne s'agit pas de trancher entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire. Décider c’est trancher. Parfois dans un contexte d’incertitude, c'est le cas dans les services de réa néonatale : l’après n’est jamais maîtrisé totalement. Décider c’est donc aussi accepter d’être acteur d’une transformation de l’histoire que nous ne maîtrisons pas totalement. L’éthique est un lieu de construction du monde. L'homme, dans cette construction, a un allié : les sciences et les techniques, dans leur dimension d’humanisation potentielle. L’homme, c’est d’abord de l’incarnation.

Précisément, l'un des enjeux de l'éthique médicale est de reconnaître l’écart entre la technique, qui échappe à l'ontologie, et la culture. Le regard éthique n’est plus porté à partir d’un argument ontologique, autrement dit à partir d'une science de l'être en général, débouchant sur un concept générant des valeurs, mais à partir d’une situation contingente, à laquelle on est confronté et qui fait penser. Comme science des signes, l'éthique médicale établit un  diagnostic, pour esquisser un pronostic et tenter de trouver des stratégies de thérapeutisation du réel. L'éthique médicale est une clinique du réel.

Jadis, le démiurge platonicien pétrissait la pâte du monde en imitant des idées. La raison moderne n’imite plus un modèle. La raison moderne a ses propres normes. Elle essaye ses hypothèses, prudemment, certes, parfois en tâtonnant. Le réel est toujours à faire, plus que déjà fait.

Et le sens est toujours à chercher. Dans le tréfonds de son être, l'homme sait en permanence qu'il chemine vers la mort. Il conçoit ce destin attaché à sa nature dès lors que sa temporalité est conçue comme finie. Le temps est l'horizon de compréhension de l'homme. "Il nous faut penser le sens de la mort, disait Lévinas, non pour la rendre offensive ni la justifier, ni promettre la vie éternelle, mais pour montrer le sens qu'elle confère à l'aventure humaine". Le jeu complexe avec la mort, avec sa propre fin, constitue, à mon avis, un déterminant essentiel de l'aventure du vivant. L'homme est par nature, "un être pour la mort", disait Heidegger. Il se perçoit à tout moment de sa vie à distance de cette mort inéluctable. La distance est d'abord telle qu'il n'imagine même pas son sort, qui lui est rappelé quand la proximité de la fin s'impose.

À cause même de ce destin inéluctable, tout au long de son existence l'homme est titillé par la quête du sens. La quête du sens de l'homme, reconnaissons-le, est sous-jacente à la quête du sens de sa propre histoire. Si l'on est en quête du sens de l'homme c'est bien parce que chacun veut échapper à l'absurde, non ? Quand s’approche le soir d’une histoire humaine, et que les conditions de la fin de vie s'aggravent, c'est une tranche de vie qui, au premier abord, semble perdre son sens. Et qui se démarque du vécu auquel on donnait sens. Et si ça n'a plus de sens, si l'instant est dépourvu de toute espérance, de joie, de répit, de quiétude, à quoi bon vivre?...

D’où, me semble-t-il, la demande croissante de l’euthanasie. Une certaine banalisation de cette demande semble se faire jour, avec du même coup la reconnaissance d'une humanisation du "bien mourir". Si l'éthique est la quête du bien vivre, nous tentons désormais d'intégrer à l'éthique la quête du "bien mourir".

Nous sommes entrés dans une nouvelle période. D'un côté, la critique de l'acharnement thérapeutique et de l'autre le développement des soins palliatifs, ont donné place à l'accompagnement des personnes en fin de vie. Il en est résulté à bien des égards une approche du mourir beaucoup plus humaine, une approche qu'on voudrait normaliser.

Ce qui crée des tensions actuellement, à mon observation, c'est que l'éventualité d'une modification de la loi risque de contredire l'arrangement fondamental de notre société de ne pas tuer.

Ceux qui envisagent l’acte illicite, soit le meurtre, d’un point de vue moral, en vue d’une impunité exceptionnelle que justifierait la demande d'un patient, quelles qu'en soient les circonstances, ceux-là présentent une proposition audacieuse qui part de la considération de la situation exceptionnelle du meurtre par compassion dans un cas désespéré.

Ceux qui envisagent ce même acte, illicite, d’un point de vue éthique, le considèrent avant tout comme un acte libérateur; ceux-là attendent une  légitimité éthique exceptionnelle d'une transgression de l'interdit de tuer.

Renoncer à poursuivre un tel acte, exige des conditions strictes qui doivent être garanties : la maladie doit être avérée incurable, le décès doit être imminent, les souffrances se révéler insupportables etc.  Rien de plus incertain et donc rien de plus discutables que ces observations dont la part subjective des observateurs n’est pas absente. Sur quels critères un comité d’experts serait-il désigné pour trancher ?

Entre la dépénalisation pure et simple et l'interdiction sans ambages, on a envisagé (en Belgique ?) une régulation procédurale a posteriori, ou au contraire une régulation procédurale a priori. On peut parier sur une belle empoignade entre sensibilités opposées et sur un durcissement de la discussion publique.

Deux questions se dégagent cependant : celle de la légalisation et celle de la dépénalisation éventuelle et partielle.

Relevons d’abord l’ambiguïté de l'expression même de légalisation. Veut-on désigner par là la solution juridique d'une difficulté, ou bien la légitimation d'une pratique censée devenir monnaie courante, à l'instar de l'excision ou de l'infibulation dans certaines régions ? Dans notre pays les coutumes n'ont pas force de loi et nous devons ici opter en faveur de la légalisation comprise comme réponse juridique, puisque c'est ainsi qu'elle est réclamée. Il est en effet tout à fait naturel que nos sociétés cherchent à délimiter le cadre juridique dans lequel certaines exceptions seraient éventuellement acceptables (n'en est-il pas ainsi de la légitime défense ?). Or cela nous oriente en direction d'une forme de dépénalisation exceptionnelle.

L'objectif visé par une approche morale, entendue je le rappelle comme norme à caractère universel, n'est pas la dépénalisation exceptionnelle de l'homicide par compassion, mais la légalisation globale de l'euthanasie active directe, en toutes circonstances. Et tant que la loi désigne illicite la mort donnée, l’accomplissement de l’acte même conçu comme réponse compatissante à la demande d'un patient, est compris comme une transgression.

La transgression est à l'opposé du statut de la morale. On n'opte pas dans le même temps pour le respect de la loi et pour le mépris de la loi. Pourtant, dans son caractère exceptionnel, la transgression représente une possibilité courageuse. Et le courage est une valeur éthique qui peut se réclamer à bien des titres de l'esprit de l'Évangile. À ce propos, les théologiens catholiques participent activement à la discussion, tandis que les protestants, conformes à leur sensibilité et à leur tradition,  s'orientent vers l'accompagnement de l'exercice de la responsabilité des laïcs – médecins et soignants, en l'occurrence – plutôt que d'assigner de l'extérieur une attitude objective, fondée sur un magistère ou sur la loi positive. Il existe un décalage à propos de l'euthanasie entre l'approche catholique, balisée par des interventions répétées du magistère romain, et l'approche protestante, moins normative, séduisant parfois les catholiques. On voit bien des officiers d'active qui se réservent et des officiers de réserve qui s'activent !

La mort donnée, interdite, reste, quelles que soient les circonstances et les justifications, une transgression. Les arrêts de vie et de réanimation conduisent à assumer le paradoxe d'une transgression de ce qu'on considère comme un principe intransgressable. Que signifie cette transgression de l'intransgressable, sinon un passage à la limite, un geste dont le caractère éthique ne relève en rien d'une évidence claire ?

Le respect de la vie, garant de l'égalité entre tous, établit la relation. Donner la mort est incontestablement de ce point de vue une transgression sociale. La reconnaissance de la sacralité de la vie est en soi l'affirmation, non pas tant que la vie est le bien le plus précieux, mais que l'autre ne saurait être réduit à un objet.  Pourtant les circonstances conduisent parfois à s'interroger sur la pertinence de transgresser au regard des situations singulières. La transgression ne vaut-elle pas mieux que le respect sans conscience de l'interdit, de la loi ou de la norme ? L'éthique comme interrogation au cœur d'un conflit de contraintes impose, non pas le recours immédiat à la transgression, mais d'abord de penser le recours à la transgression comme un possible.

On peut alors se demander si ce geste, loin de devoir s'inscrire dans une logique de légalisation juridique, ne devrait pas demeurer une exception strictement éthique, basée sur la seule hypothèse existentielle de la transgression de l'intransgressable. Si cela est, l’impunité d'un médecin ou d'un soignant ne peut être envisagée qu'en reconnaissant la présence d'une brèche ouverte à l'éthique au cœur de l'ordre juridique, au cœur de la morale. Jamais l'aval donné à cette brèche ne devrait prendre la forme d'une pseudo-évidence juridique, qui ne ferait à son tour que masquer le caractère singulier, exceptionnel, et fondamentalement non évident du courage éthique de transgresser l'intransgressable.

Tel est, me semble-t-il, le paradoxe auquel nous conduit cette réflexion : une légalisation pure et simple, même assortie de conditions très restrictives, fait le lit de la confusion de l'éthique avec le droit. Une non pénalisation, de son côté, ne peut se justifier que si un point de vue éthique, celui de la licéité morale de la transgression, l'emporte sur la rigueur du droit. Mais il faut bien reconnaître que la radicalité éthique fait imploser la logique juridique. Voilà pourquoi on en arrive à se demander, en fin de compte, s'il ne faut pas renoncer à toute légalisation et à toute dépénalisation par la voie du droit.

 

Conclusion

Ne pas légiférer, ni dans un sens permissif, ni dans un sens restrictif, ne serait-ce pas admettre que la permission morale de la transgression n'est susceptible d'aucune prévision juridique. Mais reconnaissons que cette possibilité de transgresser doit peser d'une charge trop lourde sur la conscience des médecins et des soignants confrontée à l'indécidable, conscience que les praticiens aimeraient bien soulager. Ne faut-il pas alors accepter que la responsabilité de l'éthique doive se conquérir, dans les cas – limites—, sur un vide juridique ? Autrement dit, ne doit-on pas aller vers une morale qui laisse une place contrôlée à l'examen au cas par cas.

Contrôlée pourquoi ? D'abord parce que l'exclusive de la morale risque d'exclure les cas que le législateur n'a pas prévu. Le texte voté à l’unanimité répondrait à 95 % des cas. Que fait-on pour les 5% qui échappent à ce texte ? En présence d'un nouveau-né, par exemple, difforme, encéphalopathe, anoxique, sans futur cérébral, c'est aujourd'hui tout un groupe composé de médecins et soignants, de membres de la famille, de la société civile qui prennent de concert la décision qui malgré tout évite le pire.

Si la loi établit une liste de catégories d’états qui ne valent pas la peine d’être vécus, le cyclope à naître, le tétraplégique, ou la chose difforme cubiste, insupportable même à imaginer, il faut dresser la liste de ceux qu'on écarte de l'homologation des catégories d’existences. Je crains qu’il y ait là la menace d'une dérive inéluctable. On irait acheter son kit d'injectables à la pharmacie du "Bien mourir" !

L'exclusive de la morale risque d'imposer un cadre, limité, insuffisant, de doter par exemple l'existant-fœtus de "non réalité", au prétexte qu'il ne serait pas "dans" la loi, d'abandonner la réanimation parce qu'il pèse à peine moins de 500g et qu'il est né la veille de la 22ème semaine limite ? N'est-ce pas favoriser des dérapages sociaux possibles, voire un eugénisme latent ? Mieux vaut se poser la question "avec ce qu'il a, qu'est-ce qu'il va devenir ?"

Il convient aussi, à l'inverse, d'aller vers une éthique surveillée, contrôlée (par le droit) pour éviter une liberté de manœuvre perverse. L'exclusive de l'éthique risque en effet que la décision soit déléguée à un groupe qui n'aurait de compte à rendre qu'à lui-même. L'exclusive de l'éthique s'appuie sur la présupposition hâtive, et même naïve, que les décideurs sont animés d'une sagesse immunisée contre les intentions perverses ou vénales. Garde fous à instaurer.

D'où la nécessité de ne pas tenir l'un sans l'autre, l'éthique sans la morale et vice versa, et ouvrir les possibilités d'une sorte de subsidiarité réciproque. La subsidiarité permet à tout groupe humain, de la famille jusqu'à l'empire, de gérer ses affaires à la mesure de ses moyens, et ne transmettre le pouvoir à une autorité supérieure que pour les questions que ce groupe humain ne peut gérer lui-même. Ce qui revient à dire, en appliquant à la relation entre éthique et morale ce principe adapté aux systèmes fédéraux, qu'on s'en remet au droit en cas d'insuffisance d'une délibération éthique, et réciproquement on remet à la décision d'un groupe constitué pour prendre cette décision, ce que la visée universelle du droit n'a pas couvert.

On en vient alors à flirter avec la distinction augustinienne entre “le droit de” (mourir) et “le droit de" ne pas être empêché (de mourir), donc entre la légalisation et autre chose qui ne s'appelle pas la dépénalisation, qui renverrait encore au droit, et qui se présente comme un acte placé sous le signe de la conscience individuelle responsable.

Les codifications, avec leurs interdictions et leurs autorisations, sont probablement rassurantes. Mais elles n'honoreront jamais la singularité des situations. Voilà pourquoi je ne vois pas d’autre solution face à une décision à prendre, que de donner le primat au contexte. C'est la situation concrète qui légitime l'exercice éthique. L’éthique clinique, en acceptant de se porter sur une réalité qu’elle rencontre, cas après cas, diffère de la morale déontologique traditionnelle. Ce qui ne veut pas dire que l'éthique se rendrait indépendante de la morale, mais qu'elle ne peut se contenter de l'approche universelle de la morale qui serait passée à côté de situations particulières. En disant cela, je veux souligner que :
il y a prévalence de la situation, il y a prévalence du contexte, il y a prévalence de la réalité.

La fonction de l’éthique médicale étant l’humanisation elle ne peut faire comme si il n’y avait pas contextualité. “Un enfant dans une réa n’est pas un enfant, c’est cet enfant-là.”

La reconnaissance d'une légitimité éthique en fonction de la situation ne justifie pas le geste de donner la mort, mais seulement le fait d'une mort donnée dans un contexte singulier, non généralisable.

La distinction que j'ai tenté de faire, entre une légitimité de droit positif, et la conquête d'une légitimité en situation concrète, conduit à rejeter la globalisation.

Il s'agit d'effectuer le passage d'une déontologie à une décision concrète, prise en conscience, qui relaie la morale dont la visée, par essence universaliste, ne peut pourtant pas tenir compte de toutes les situations, de toutes les composantes de la réalité, et qui doit considérer que certaines lui échappent.