Le souvenir vivant de Jésus constitue bien l’essentiel et l’originalité du christianisme, mais, avec l’accumulation des préoccupations idéologiques, éthiques et théologiques, les oppositions et les divisions se multiplient. Phénomène ancien, qui a commencé lorsque les premiers croyants, fascinés par la perspective du retour imminent du Christ dans sa gloire, se sont trouvés incapables de découvrir, au-delà du merveilleux dont les traditions populaires sur Jésus correspondaient trop bien à leur religiosité atavique, le caractère extraordinaire de la vie de Jésus, et surtout  de l’évolution intime que lui avaient inspiré, au long de son histoire, sa foi et sa fidélité. 

 

L’impuissance des hommes à être conscients de ce cheminement de Jésus,  du Judaïsme traditionnel, hautement spirituel, à une religion filiale, intériorisée, missionnée, compte sans doute parmi les causes de la multiplication des divisions entre chrétiens.

 

Les réunions d’experts ne sont pas inutiles pour démanteler les barbelés dont les Eglises se sont entourées pour légitimer leur existence propre. Mais, pour que le travail de rapprochement soit solide, il faut nettoyer les fondations et que dans chaque camp, les théologiens critiquent les origines, les développements, les avatars qu’ont connus les doctrines propres à leur Église. Il n’est pas sûr que ce travail d’intelligence soit actuellement possible, tellement le peuple chrétien est mal préparé à accueillir les conclusions sévères auxquelles les spécialistes sont conduits en conscience. Pour que soit possible une union en vérité, nos Églises auront à passer par la porte étroite d’une conversion douloureuse, avec une phase d’agonie qui leur permettra enfin  de comprendre ce que Jésus a vécu dans ses derniers instants, puisque c’est sur le même chemin qu’elles se trouveront engagées….

 

Rien n’est gagné, car nos Églises, préférant ce qui est objectif, enseignable, cultuel et collectif,  refusent sa juste place à l’intériorité et ne répondent pas à l’attente des hommes d’aujourd’hui. Ceux-ci vont alors chercher ailleurs les voies d’une vie personnelle libre d’être soi, singulière dans sa vérité vécue, capable de communion avec autrui au-delà de toute uniformité.

 

 

En conclusion sur ce point, il importe de distinguer :

- l’Église dont parle Paul dans ses lettres, invisible et universelle, intemporelle et sans frontières, où l’Esprit est à l’œuvre "sans qu’on sache d’où il vient ni où il va"

- les Églises empiriques qui, bien que s’inscrivant dans l’histoire, ont tendance à se parer de mystère et à se diviniser de manière indue.

 

La première Église est toujours en construction, sans doute jusqu’à la fin des temps. Les deuxièmes devraient être en constante évolution. Pour que la marche vers l’unité n’aboutisse pas seulement à la constitution d’un corps d’abord social et politique, il faut que les Églises se peuplent de disciples de Jésus qui, à la manière de son comportement en Israël, vivent au milieu d’elles et agissent en dépit de leurs résistances et de leurs condamnations. Peut-être faudra-t-il que ces disciples connaissent le même échec que Jésus pour préparer ce qu’ils ne verront sans doute pas, mais dont l’approche est nécessaire pour donner sens au présent. Et ceux qui, sentant le terrain céder sous leurs pas, s’efforceront de retourner en arrière, perpétueront, à travers les siècles, le drame de la trahison de Judas.

 

Commentaire

Je voudrais évoquer la porte étroite de la conversion douloureuse des Églises, surtout pour notre Église catholique qui devra renoncer à sa prétention utopique à l’universalité, thème approfondi par Claude Geffré.

 

Cela suppose en effet que les autorités de l’Église romaine qui, à bien des égards, constituent une caste de prêtres coupée du peuple, semblable à celle que Jésus n’a pas cessé de dénoncer, laissent la nostalgie du passé à la sacristie,  d’un esprit sincère, sans arrière-pensées, et donc :

- renoncent à l’idéal, au mythe d’une union de l’Église et du monde sous l’unique royauté du Christ

- ne prétendent pas pour l’Église à une unicité exclusive, qui n’appartient qu’à Dieu, et qui s’apparenterait à une idolâtrie

- admettent  l’autonomie de l’histoire des hommes par rapport à l’Histoire sainte

- reconnaissent que la mission prioritaire de l’Église n’est pas son extension quantitative, avec la tentation de la puissance autosuffisante, mais la promotion du Royaume de Dieu avec tous les hommes de bonne volonté

- acceptent, dans ce but, de distinguer au sein du message chrétien les éléments fondamentaux et  les éléments contingents, liés à la culture occidentale à laquelle il s’est trouvé historiquement associé. N’est-ce pas cette distinction qui a permis de condamner l’esclavage, la torture ou la peine de mort et de prôner la liberté religieuse après avoir soutenu le contraire pendant des siècles ? Et, comme le souligne audacieusement Claude Geffré, une Parole de Dieu qui n’est plus contemporaine n’est déjà plus la Parole de Dieu. Toute la question est alors de savoir si c’est l’Évangile, lui-même, qui est refusé par certains, ou bien le scandale d’un véhicule culturel complètement étranger aux hommes d’aujourd’hui.

- reconnaissent que le pouvoir absolu corrompt absolument, et introduisent à son sommet une séparation des pouvoirs, avec obligation de transparence, y compris en matière financière.

- proclament que la libération des nombreuses oppressions et aliénations dont souffrent les hommes est partie intégrante du salut. 

 

Prenant en considération le thème de la théologie de la libération, j’observe que l’Église romaine était plutôt adepte de l’anti-libération, puisqu’elle s’est accommodée de toutes les dictatures du XXème siècle, dès lors qu’elles protégeaient les droits  de l’Église.

 

Attardons-nous un peu sur le redoutable problème sous jacent. Nul ne peut contester que l’Église catholique puisse faire état d’un bilan multiséculaire de secours aux pauvres (au sens le plus large),  sans égal. Le fait qu’elle n’ait pas un palmarès équivalent dans la recherche des moyens de prévenir cette pauvreté peut-il lui être reprochée alors que son fondateur, s’il a beaucoup parlé de pauvreté, n’a guère évoqué la façon d’y remédier ? Faut-il conclure que l’Église a raison de condamner le secours lorsqu’il n’est pas le support, le corollaire de l’annonce explicite de la parole de Dieu ? À l’exemple de la Bienheureuse Sabine Petrilli, proposée à l’édification des lecteurs de Magnificat et qui affirme : "Celui qui ne peut pas donner Dieu ne doit rien donner à son prochain". Ou à celui des évêques philippins qui nient que la natalité incontrôlée soit un facteur de pauvreté. Le récent Motu proprio de Benoit XVI sur l’obligation pour les organismes charitables qui se disent catholiques de n’utiliser que des collaborateurs catholiques ou, à la rigueur qui respectent les principes catholiques, est un raidissement dont on peut seulement espérer qu’il n’aboutira pas, comme chez les intégristes, à réserver les secours aux seuls fidèles. Rappelons aussi que la condamnation de la théologie de la libération, même si elle a été théoriquement levée, quoique du bout des lèvres, reste présente chez nombre d’évêques nommés par le pape en Amérique latine, peut-être en raison même de leur rejet de cette théologie.

 

 Pour ma part, je soutiens que la présence de catholiques au sein d’organisation non-confessionnelles porte un témoignage plus fort que dans celles qui s’affichent catholiques.

 

 

Xavier Larère, le 7 juin 2013