Pour Bernard Kouchner, en signe d’amitié

   Pas une journée ne s’écoulait sans que Sabine Zlatin nous offrit sa visite. En dépit de la discrétion qu’elle cultivait quand elle poussait la porte de notre commerce, on ne manquait pas de remarquer sa présence, soit qu’on savait qui était cette dame, soit qu’on était frappé par sa stature que le temps ne ternissait pas. “Vous savez...”. C’est ainsi qu’elle commençait chaque phrase. Et ce qu’elle avait à nous dire portait immanquablement, non pas sur sa santé qui aurait pu justifier sa démarche, mais sur les “Grands travaux” du Président de la République, la réalisation de l’un de ses vœux personnels. Car le Président Mitterrand avait opté pour la construction de la Bibliothèque nationale et... l’ouverture du “Musée-mémorial des enfants d’Izieu”. 

Sabine Zlatin était venue s’installer dans cette maison avec son époux, en mai 1943, où le couple avait décidé d’accueillir des enfants juifs des camps d’internement du sud de la France. « Ici, vous serez tranquilles » lui avait dit le sous-préfet de Belley quand il accueillit les Zlatin en ce début de printemps. Izieu est alors en zone d’occupation italienne, temporairement à l’abri des persécutions antisémites.

La colonie d’enfants n’est pas clandestine. “Nous sommes arrivés en camion, pas en autocar, en camion ; et je me rappelle toujours, dira Sabine Zlatin, vous savez, Reifman, il a sauté du camion et a dit :Quel paradis !″ 

Le quotidien s’organise ; les occupants prennent alors leurs repères tout naturellement, au point que rapidement se tissent des liens avec la population et les institutions locales. On croirait vivre dans un havre de paix, loin des tensions, même des persécutions auxquelles on ne veut pas croire. Les plus petits souffrent cependant de la séparation brutale d’avec leurs parents.

Mais voilà que le 8 septembre 1943, l’Italie capitule et l’armée allemande occupe la zone. Les persécutions antisémites s’y intensifient. Sabine Zlatin est convaincue de la nécessité de disperser les enfants de la colonie. Les faits qui vont se succéder lui donnent raison. Elle repart début avril 1944 à Montpellier, pour tenter de trouver un refuge plus sûr pour les enfants. C’est alors que le jeudi 6 avril 1944, au petit matin, un détachement de la Wehrmacht et une voiture de la Gestapo de Lyon font irruption devant la maison sur ordre de Klaus Barbie. Quarante-quatre enfants sont embarqués, ainsi que les sept adultes qui les encadraient. Sur les tables du réfectoire les bols du petit-déjeuner fument encore. 

Aucun d’eux ne reviendra d’Auschwitz.

Le 24 avril 1994, la campagne verdoyante de Bugey accueille une foule de gens entourant Sabine Zlatin, au côté du Président Mitterrand. Sabine a 87 ans. Elle passe lentement, silencieuse et digne, devant chacune des quarante-quatre plaques commémoratives indiquant le nom de chacun des enfants qu’elle avait accueillis et que Barbie avait fait envoyer à Auschwitz. Ces plaques, elles bordent le chemin aboutissant à une fermette toute simple, sise sur les renforts de Bugey. 

Depuis, des jeunes gens de France et de tous horizons viennent visiter la salle de classe, soigneusement maintenue telle qu’elle était, les dortoirs, le réfectoire. Tout le monde s’attarde, les yeux embués, devant les dessins d’enfants affichés. 

Izieu est devenu un lieu de mémoire. Ce qu’a voulu Sabine Zlatin, qui repose aujourd’hui au petit cimetière Montparnasse, depuis le 26 septembre 1996, voilà 20 ans.

 

Gérard LEROY, le 24 septembre 2016