Veuillez trouver ci-dessous le troisième et dernier extrait de la conférence donnée par l'abbé Georges RIEUX le 4e dimanche de Carême. 

Vérité de l’aveu et réalisme de la Croix

   La Croix porte en elle-même l’extrême du péché des hommes et l’extrême du Pardon divin. Il y a donc loin, entre le constat indolore de l’affirmation “je suis pécheur” et l’aveu humiliant “j’ai commis tel péché”. Sur la Croix nos péchés sont devenus bien réels, comme nous le chantons avec les mots de la lettre de Pierre (1 P 2, 24) : “Sur le bois,le Christ a porté lui-même nos fautes dans son corps.” Ce n’est pas une image poétique mais la réalité de la Rédemption. Donc, par-delà toute considération psychologique —par exemple, l’aspect libérateur de l’aveu, d’un point de vue théologal, un aveu édulcoré n’est pas conforme au réalisme de la Passion du Sauveur. La Croix, donne sa réalité à notre péché.

Prendre au sérieux le fait que Dieu est miséricordieux nous amène au pied de la Croix, avec une crainte révérencielle, avec espérance et amour pour Celui qui a mis avec tristesse son cœur dans le nôtre, pour que nous trouvions la joie du pardon dans le sien. Seule la reconnaissance humble et courageuse de notre péché nous fait échapper au danger d’une miséricorde galvaudée. Cette vérité nous rend libres et nous introduit dans la compassion divine. Dieu et l’homme sont alors présents l’un à l’autre : la faute du pécheur et la douleur du Sauveur.

La Croix dévoile la Miséricorde, ni comme un laxisme décevant ni comme un juridisme écrasant, mais comme action divine, l’Absolu d’un Amour infini, au-delà des logiques humaines.

Ultimement, nous sommes conduits à reconnaître que la Croix révèle la Trinité, sous mode de finitude humaine. L’auteur de l’Épitre aux Hébreux l’a pressenti en évoquant “le sang du Christ qui s’est offert au Père dans un Esprit éternel” (He 9, 14). Si telle est la source du Pardon, nul doute que le pécheur pardonné ne devienne à son tour comme le sacrement vivant de la Miséricorde divine.

S’éloignant des manuels jansénistes, rigoristes et scrupuleux, le Curé d’Ars aidera cependant les âmes qui lui seront confiées à sortir de leur cécité spirituelle. Avec une pédagogie aimante il conduire le pénitent jusqu’au bout de l’aveu, s’exclamant “moi aussi” quand la faute commise était trop lourde. Puis il prenait sur lui une part de la juste pénitence qu’il donnait. Il a fait se rencontrer justesse, justice et miséricorde sur fond de patience et de passion divines. La sainteté d’un curé de campagne a rejoint la plus haute théologie de la Croix et de la Rédemption.

Dans sa méditation de l’Hymne aux Philippiens, Simone Weil écrivait : “La Trinité et la Croix sont les deux pôles du christianisme, les deux vérités essentielles, l’une joie parfaite, l’autre parfait malheur. La connaissance de l’une et de l’autre et de leur mystérieuse unité est indispensable. Ici-bas, la Croix est notre patrie.”

Joie de Pâques : la blessure devient source. 

Conclusion

Elle est en toi l’Eau vive” aimaient à répéter les Pères de l’Église, en évoquant l’Esprit de nos baptêmes, redonné tant que durera la route pour une grâce appropriée.

Dans leur sillage, les poètes et les spirituels ont invité à “désobstruer les puits bouchés” où se sont accumulés les gravats pour qu’à nouveau jaillisse l’Eau vive donnée par Jésus, sur la Croix, le soir de Pâques et à la Pentecôte. Trois donations sans réserve de l’Esprit qui est Seigneur et qui donne la vie.

La métaphore de l’Eau vive nous conduit à panser la Réconciliation comme une nouvelle immersion baptismale. Les larmes de la Pénitence sont pu être appelées un “second baptême” pour que notre unique baptême porte tous ses fruits. Et si les prêtres que Dieu vous donne étaient comme “des sorciers de la metanoia”, pour cette nécessaire conversion à Dieu, jamais achevée, toujours à reprendre ? Quelle grâce si, l’an prochain, nos chers catéchumènes devenus néophytes, se préparent, dans un contexte de récollection, à recevoir solennellement avec nous, les vieux baptisés, le sacrement de la Réconciliation, éternel aujourd’hui de la Miséricorde divine, pour repartir à neuf !

Bienheureux ceux qui, comme Pierre, pleurent sur leur péché, le Consolateur par excellence, l’Esprit-Saint leur sera donné en surabondance”  (Mt, 5, 4), traduction possible de du texte grec : “Heureux ceux qui confessent et leur péché et l’amour sauveur”. Le Paraclet, le Défenseur, les couvrira de son ombre, par une création nouvelle. Que le Seigneur aie pitié de nous.

 

Abbé Georges Rieu, le 9 avril 2016