Pour Patrice Chican, en hommage amical

   À la fin du XIIe siècle on assiste à la fois à un déclin général des monastères, et à la naissance de deux grands ordres mendiants, ceux des Frères Mineurs, dans le sillage du poveretto François, d’Assise, et celui des Prêcheurs, fondé par saint Dominique.

François force la sympathie de tous et dans toutes les époques depuis le XIIIe siècle. Né d’une famille de riches négociants vers 1181 François d’Assise a une jeunesse facile jusqu’à sa conversion soudaine à l’âge de 25 ans. Il quitte alors sa famille, se fait ermite, mène une vie de pénitence, secourt les pauvres et les lépreux, restaure les chapelles. Tout cela irrite son drapier de père qui le chasse et le déshérite. François adopte un genre de vie totalement dépouillé, partagé entre la prière, la mendicité et la prédication. Une fraternité se constitue autour de lui. Tous prennent modèle de la vie apostolique.

Une rupture radicale s’introduit dans l’espace ecclésial. François d’Assise se passe de Règle, déclarant au pape qu’il “n’en n'a point d’autre que l’Évangile”. Le moine franciscain est itinérant. Il sort donc de son monastère. François d’Assise fait éclater la clôture du monastère. Le cloître, c’est le monde.

François transmet la conduite de son Ordre à l’un de ses Frères, et consacre les dernières années de sa vie à la méditation.

   En 1224, sur le Mont Alverne, en Toscane, le Christ apparaît à François et lui imprime les stigmates de sa Passion. Deux ans plus tard, le 3 octobre 1226, François d’Assise meurt, “en chantant” dira son biographe. Deux ans plus tard il est canonisé par Grégoire IX.

   Au cours de cette même période, Dominique, lui, s’installe à Toulouse, en 1215. Il a été curé de Fanjeaux l’année précédente. Il fonde une communauté consacrée à la prédication de la foi et de la morale, à la lutte contre les erreurs doctrinales, en pratiquant l’imitation de la vie des apôtres, c’est-à-dire l’itinérance et la mendicité.

Le pape Innocent III reconnaît en 1215 la création de ce nouvel Ordre appelé, selon le vœu de Dominique, l’Ordre des Prêcheurs. Les sujets recrutés par cet Ordre font de sérieuses études dogmatiques. Les dominicains sont des savants docteurs dans la doctrine, ce qui leur prodiguera une prestigieuse réputation de prédicateurs.

La pauvreté est un moyen, non une fin, aux yeux de Dominique. Les livres sont une arme, le couvent un refuge.
La fondation féminine de Prouille en 1207 précède la création de la première communauté masculine à Toulouse. La seconde maison féminine établie à Rome en 1221, se consacre au reclassement des prostituées converties.

Les dominicains sont cause d’une rupture forte. Avant eux, ceux qui prêchent sont les évêques et les prêtres. Pas les moines. Les moines prient. Les frères mineurs ont en quelque sorte “volé” aux séculiers leur charge propre. Dominique, lui, a l’intuition, non de la pauvreté, mais de la parole (2). Albert le Grand est converti par le premier secrétaire de Dominique. Il est celui qui va introduire Aristote dans la théologie (3).

Les Ordres mendiants contrarient la volonté papale de préserver les richesses du clergé. Des ecclésiastiques craignent, pour leur part, que la popularité de François d’Assise menace leurs biens. Aussi les autorités de l’Église en arrivent-elles à soupçonner d’hérésie le mouvement franciscain et à contraindre ses adeptes les plus radicaux.

En dépit de ces critiques, en 1223, le pape approuve la règle des Frères Mineurs.

 

Gérard LEROY, le 9 août 2012

  1. cf. Jacques Paul, Histoire intellectuelle de l'Occident médiéval, Ed. A. Colin, 1998, pp. 339-347
  2. Le conflit entre franciscains et dominicains a porté sur le rapport entre philosophie et théologie.
  3. Les textes parvenus à Albert ont été traduits de l’arabe en latin après que le texte grec ait été traduit en arabe. Si bien qu’on trouve des notions dans le texte latin qui sont introduites par l’intermédiaire arabe, ainsi en est-il de l’  “analogie de l’être”, expression absente chez Aristote.