Pour Maryline Lugosi, que j'embrasse

   Beaucoup pensent qu’il faut avoir le sens du sacré pour pouvoir un jour s’intéresser à l’Évangile. Il est probable que les tenants de cette hypothèse se situent dans l’espace religieux de la peur, de l’exorcisme, de l’utilité d’un Dieu porte-bonheur qu’on va chercher à capter pour l’utiliser à des fins personnelles. Rien ne peut davantage tourner le dos à l’Évangile. Les gens qui sont trop préoccupés d’eux-mêmes comme les gens qui sont pleins de religiosité ne sont guère aptes à accueillir l’Évangile. Les courants critiques du XIXe siècle qui ont éclairé de leur analyse la religiosité ont rendu de grands services à la compréhension de la foi, qui s’en distingue. L’Évangile ne se présente pas comme la morphine des victimes infantiles de la religion. On va de l’Évangile à la foi et de la foi à l’Évangile. Quand l’Évangile entre dans l’existence il n’arrête pas de témoigner que le relatif, la mort, le désespoir n’auront plus le dernier mot. 

Il arrive aux chrétiens d’être parfois dépassés quand il s’agit d’évangéliser. Même avec de la stratégie, de bonnes méthodes, n’allons pas croire que nous allons susciter l’événement de la foi. À la différence de certains groupes qui sont à la hauteur de leur message jusqu’à pouvoir le manipuler et le vendre tous azimuts, les groupes évangélisateurs se perçoivent toujours en état d’infériorité par rapport à l’Événement-Évangile qui fonde la réalité chrétienne. 

Il faut prendre son parti, dans le temps où nous sommes, que les philosophies et les sciences humaines, qui sont les produits culturels dans lesquels l’homme tend à s’interpréter totalement, ne sont pas, de nature, des partenaires d’un témoignage chrétien.

Aux croyants de ne pas céder au défaitisme. Il leur revient de proclamer qu’il y a dans l’homme des espaces disponibles pour l’Évangile, et d’en décoincer l’ouverture. Et d’ajouter que si les sciences humaines ne peuvent témoigner des possibilités de dépassement dans le sens de la transcendance, cela ne contrarie en rien le témoignage que les croyants peuvent porter à partir de leur expérience. Emmanuel Kant avait limité la raison pour faire place à la foi. Nous sommes moins à contre-courant de la production des sciences de l’homme que nous ne sommes mêlés aux tâches philosophiques qui s’imposent à nous dans la conjoncture culturelle. Il ne s’agit surtout pas de nous retirer des débats philosophiques quand partout les hommes s’interprètent. Certes il ne s’agit pas de sonner le rassemblement en criant : “Levez-vous, croyants philosophes !”. Il s’agit de se pencher avec sérieux sur les propos anthropologiques contemporains qui affirmeraient que l’Évangile n’est pas affaire d’homme mais un produit à ranger parmi les tranquillisants. Il nous faut repérer les absences dans l’exploration de l’humain et témoigner de notre propre expérience. La philosophie et les sciences humaines sont le lieu où les croyants trouvent les matériaux qui ne sont pas négligeables pour donner corps à leur statut, s’expliquer, dialoguer de façon intelligible avec la culture de leur temps. À partir de là il nous est possible de rendre compte de la rencontre de l’Évangile et de l’homme comme étant

L’Évangile est un défi. Qui invite à déceler un certain nombre d’obstacles qui font de l’existence humaine une existence figée, sans perspective. L’Évangile ne peut pas intéresser des gens qui baignent dans un univers de scepticisme. Il y a des cultures et des philosophies qui sécrètent le scepticisme et façonnent les mentalités sur ce moule. L’Évangile suscite une décision. Il faut, pour l’accueillir, avoir déjà décidé de quelque chose dans sa vie. La décision pour l’Évangile me paraît difficilement la première des décisions. Parce que l’Évangile nous propose la plus grande des responsabilités, celle d’engager la totalité de sa vie dans une direction, sans reprise. 

On ne s’engage pas en disant : “je fais comme les grands-parents ont toujours fait”, “je fais comme tout le monde”, “je suis de mon temps” etc. Ce manque d’autonomie n’est pas que le résultat d’une bonne dose de fainéantise, c’est aussi la marque de l’irresponsabilité. L’Évangile n’entre pas dans les édredons.

 

 

Gérard LEROY, le 7 août 2015