Pour Sophie Guerlin, voyageuse du Moyen-Orient, avec mon amitié

Approche historique

La Bible présente le peuple juif comme l’union de douze tribus issues des douze fils de Jacob. Après la mort de Salomon (931) dix d’entre elles, celles du Nord, plus vastes et plus prospères que celles du sud, se séparent et décident, c’était à Sichem (nord de Jérusalem), de former le royaume d’Israël en se donnant un roi. Deux d’entre elles, Siméon et Juda, formeront le royaume de Juda, au Sud.

Le Nord, Israël, entretient des relations avec les phéniciens de Tyr (aujourd’hui Sour) et les Araméens de Damas, favorisant ainsi l’essor économique et les échanges culturels et religieux.

La situation politique est loin d’être stable. Elle est en effet fort troublée par une succession fréquente des rois, que relate le second Livre des Rois au chapitre 15. Leur politique penche en faveur du suzerain assyrien ou bien s’y oppose, ce qui vaut alors bien des déboires au Royaume d’Israël.

Après avoir régné quarante ans sur le Royaume du Nord  et favorisé la prospérité économique du pays, Jéroboam II meurt en 743. La situation se dégrade alors très rapidement. Le fils de Jéroboam II lui succède selon le principe dynastique de l’époque. Le règne dure six mois ! Zacharie est en effet victime d’une conspiration organisée par celui qui va lui succéder, Schallum, qui subira le même sort un mois plus tard pour laisser place à Menahem, installé en 743, quelques mois seulement après la mort de Jéroboam II ! On imagine les frictions entre tribus. Vassal de l’Assyrie, Menahem doit payer un lourd tribu à cet empire, mille talents annonce le Livre des Rois. Menahem impose alors à chaque notable 50 sicles d’argent, ce qui laisse supposer que le Trésor royal était vide (2R15,17-22). Comme un talent équivaut à 3000 sicles, Menahem aurait profité du soutien de soixante mille notables dans le Royaume du Nord. L’empereur qui réclame ce tribut à Israël, c’est Teglat-Phalassar III, futur roi de Babylone en 729. À la mort de Menahem en 737, son fils lui succède et conduit, comme son père, une politique pro-assyrienne, avant d’être assassiné à son tour, par son écuyer Péqah après deux ans de règne (2R 15,23-26). Péqah conserve le trône à Samarie. Sa politique, nettement anti-assyrienne, s’oppose à celle de ses prédécesseurs.

Péqah s’associe avec le roi de Damas, et propose au roi de Juda, Achaz, de marcher avec lui. Achaz refuse. Damas et Israël se retournent contre Jérusalem. C'est la guerre syro-éphraïmite. Achaz, acculé à Jérusalem, appelle Teglat-Phalassar III au secours. Ce dernier revient en Syrie, attaque Tyr, Gaza, Damas (2 R 15,27-31) et réduit le territoire d’Israël en transformant en provinces assyriennes la Galilée, et la plaine fertile d’Yzréel au nord, là où les rois avaient leur résidence d’été. Nous sommes en 732.

Teglat Phalassar III pilote vraisemblablement en sous-main l'assassinat de Péqah. Le futur roi Osée, qui n’a aucun lien avec notre prophète, organise le complot. Péqah meurt. Osée lui succède (2R 15, 30).

Le roi Osée est opportuniste. Il mène une politique pro-assyrienne jusqu’à la mort de Teglat-Phalassar III, en 727, auquel succède Salmanazar V, qui impose un tribu annuel au roi Osée (2R 17, 3). Osée refuse, pensant recevoir un secours de l'Égypte. Salmanassar le fait prisonnier et met le siège devant Samarie. La capitale d'Israël va tenir 3 ans. On est en 724.

En 721, Samarie est prise par les Assyriens. Une partie de la population du pays est déportée en Mésopotamie. C'est la fin du royaume du Nord.

Le prophète Osée, qui a connu le règne de son homonyme de roi, ne dit rien de la chute de Samarie, et pour cause, Samarie va tomber aux mains des assyriens en 721. Osée a cessé sa prédication, pense-t-on, en 724.

Fondée en 880, capitale du royaume du Nord jusqu’à sa destruction, Samarie révèle aux archéologues qui la fouillent depuis un siècle et demi la richesse d’Israël à cette époque. De magnifiques objets en ivoire, finement sculptés, gravés avec précision, servaient à décorer les chaises, les lits, les tables, les coffrets et les miroirs. La pauvreté n’est cependant pas exclue. Les fouilles de Tell el Farah, au sud de Naplouse (en Cisjordanie actuelle), exhument les maisons des riches et les maisons des pauvres qui témoignent de fortes inégalités sociales, d’injustices dénoncées par les prophètes.  

Toute cette histoire montre le contexte politique auquel eut affaire le prophète, et permet de mieux comprendre son attitude à l’égard de la royauté, à l’égard des alliances politiques, enfin à l’égard de la dégradation morale et religieuse d’une grande partie du peuple.

 Le personnage

Osée est un homme de la terre, qui en vit, qui en parle. Il habite le royaume du Nord, en connaît bien l’histoire. Sa prédication commence vers la fin du règne de Jéroboam II, en 750, et se poursuit au-delà, jusqu’en 724 avons-nous dit.

La Bible Osty-Trinquet décrit Osée comme une “âme fine et profonde, passionnée, à la fois tendre et violente”. Osée est originaire du royaume du Nord. Il fréquente quelques groupes sacerdotaux en exercice auxquels il reproche véhémentement le manque de “connaissance de Dieu”, expression qui revient souvent chez lui. Ses amis sont des lévites, descendants d’un des fils de Jacob, évincés des fonctions cultuelles au moment du schisme et qui gardent fidèlement en eux cette “connaissance de Yahvé”.

Osée est marié. Il fait une expérience conjugale tourmentée déconcertante. C’est Osée lui-même qui en témoigne. Le drame conjugal dont il est le malheureux héros est raconté en deux récits, aux  chapitres 1 et 3. On y apprend que Osée se marie sur l’ordre de Dieu avec une “femme de prostitution” (1, 2-3). Celle-ci met au monde trois enfants, auxquels le prophète donne des noms symboliques.

Ces chapitres résonnent d’un ton pathétique, en tout cas humain. L’interprétation qu’on en fait a tendance à délaisser cette vérité humaine au profit d’allégories séduisantes. L’explication allégorique, fréquemment proposée autrefois pour des raisons de vraisemblance ou de moralité, tient bon. Un midrash haggadique (1 ) ancien, procédait à cette comparaison : la femme adultère est à son mari légitime, ce que Israël est à Yahvé.

On a cependant affaire à des détails qu’on ne peut allègrement allégoriser, à commencer par les noms propres, celui de Gomer fille de Divlaïm, ou le détail du prix d’achat de la femme (3, 2-3).

Le prophète s’est-il marié deux fois ? En effet, on apprend qu’il s’est marié avec Gomer, puis qu’il a procédé à un second mariage avec une femme dont on dit qu’elle est “aimée de son conjoint et pourtant adultère”. Ne serait-ce pas la même ? Mais pourquoi alors payer l’achat ? À qui pouvait donc appartenir cette “femme de prostitution” ? La femme que Osée a prise pour épouse, Gomer, est coupable d’un adultère renouvelé. Choisie par le prophète (3, 1-4), malgré ses antécédents, elle continue de se livrer à la prostitution, de la même façon qu’avant son mariage. Le chap. 3 dit alors comment Osée n’en continue pas moins de l’aimer pour finalement l’amener à une nouvelle vie. La législation lui permet de la répudier, mais il accepte de payer pour elle. Amour et miséricorde ont les mêmes racines en hébreu.

Parmi toutes les hypothèses qu’on a pu faire expliquant ce mystérieux rachat, la plus sûre est que la femme se soit adonnée à la prostitution... parce qu’elle était fonctionnaire ! Oui, Gomer était sans nul doute fonctionnaire du culte, et plus précisément hiérodule, autrement dit prostituée sacrée.

Dans l’Ancien Orient, la pratique cultuelle comportait en effet des rites sexuels, qui avaient leur importance, du moins était-elle donnée par la croyance qui la motivait. La déesse du Temple, telle Ishtar à Babylone, était dotée de la puissance de la fertilité qu’elle pouvait transférer au Roi, lequel était garant aux yeux du peuple de la fertilité du pays et de son peuple, et en général de la prospérité et du bien-être du royaume. Cette transfusion de la déesse au Roi s’opérait grâce à des médiateurs, ou plus exactement des médiatrices, fonctionnaires du Temple, prostituées sacrées, des hiérodules, celles par qui passe la puissance de fertilité. 

Comment s’opérait cette transmission ? Chaque année au nouvel an, au cours d’un cérémonial établi, le souverain était tenu « d’épouser » l’une des prêtresses d’ Ishtar, afin d’assurer la fertilité du sol et la fécondité des femmes. Le rite sacré du mariage du roi et de la hiérodule consistait essentiellement en un rapport sexuel public entre le roi et la prêtresse à la tête des hiérodules du temple. L’objectif de la relation sexuelle n’était pas la procréation, mais l’assurance de récoltes abondantes et l’approbation du pouvoir du roi par la déesse.

Le premier document légal qui mentionne les prostituées sacrées, ou hiérodules, est le Code de Hammurapi, qui date de 1730 av. J.-C. Le code mentionne les fonctionnaires du culte d’Ishtar, les hiérodules qui se livraient à la prostitution sacrée, à Babylone (2).

Au XIe siècle av J.-C., le roi assyrien Teglat-Phalassar 1er, demande que la prostituée du temple soit voilée, à l’imitation de la déesse Ishtar. Cette pratique, étendue dans le Proche Orient, est donc toujours en cours à l’époque d’Osée.
 

 Le message d’Osée

Celui-ci découle d’une triple expérience. D’abord de l’expérience d’une société qui s’enferme dans un style de vie incompatible avec la foi en Yahvé; ensuite de sa fréquentation des Lévites; enfin de l’expérience conjugale du prophète, qui l’amène à mieux saisir et à mieux prêcher l’attitude que Dieu adopte vis-à-vis de son peuple.

Le Livre est organisé en deux parties. La première est couverte par les chapitres 1 à 3, constitués de deux récits en alternance avec 3 oracles, relatifs à l’épouse et à 2 enfants, ainsi qu’à l’infidélité, au châtiment, et à la réhabilitation de l’épouse

Les chapitres 4 à 14 composent la seconde partie. On y retrouve les turbulences de l’histoire que nous apprenait le second Livre des Rois, à savoir la fin du règne de Jéroboam (4,1-5,7), la dégradation politique, la guerre syro-ephraïmite et le climat anarchique qui se développe à l’ intérieur du Royaume (7, 2-7; 8,4; 10, 1-7), la vassalité assyrienne sous Menahem (5, 13-14) et la demande de soutien du roi Osée à l’Égypte, pour finir par une méditation sur l’histoire d’Israël, et sur les causes de ses maux. 

Les oracles de ces chapitres nous apprennent que Osée prophétisait avant son mariage, mais que cet événement a donné une valeur particulière à son message sans être à l’origine de sa fonction prophétique.

   Analyse socio-politique du message
Osée s’en prend aux mœurs politiques. Il censure la férocité, les putschs. La passage du chapitre 7, versets 1 à 7, décrit la situation. Les successions sont le fruit de manœuvres indifférentes au principe du choix divin authentifié par le prophète (cf. 1S 9-12, 1R 11, 29-40; 2R 9).

Osée critique l’inconscience, la versatilité, la folie d’une politique qui recherche, auprès des nations étrangères des alliances ruineuses (7, 8-11). Toute l’activité diplomatique du roi est considérée comme inutile par le prophète, car l’essentiel a été oublié : la crainte de Yahvé. En 12, 2, Ephraïm est une tribu puissante comparée à un berger qui fait paître le vent d’est, celui qui amène la sécheresse et les sauterelles ! Ici le vent est le symbole du mensonge et de la vanité (Comme on dit aujourd'hui de certaines villes, notamment aux USA, dont les candidats aux élections abandonnent leurs promesses dès qu’ils sont élus, qu’elles sont “windy”). La comparaison évoque la stupidité des hommes d’Ephraïm qui passent leur temps à poursuivre des chimères et qui concluent une alliance avec l’Assyrie —dont les cultes sont païens—. Cette politique ne peut aboutir si on oublie Dieu.

Osée critique encore la séparation du Royaume du Nord. Il ne voit d’issue que dans le rassemblement des deux royaumes, et en cela il fait écho à Amos.
 

L’analyse d’Osée dépasse la condamnation de la caste princière : il fait une critique globale de la société. Il censure le goût matérialiste de certains, la convoitise, l’attrait grandissant pour l’abondance (qui créé l’injustice) qui conduit le peuple à l’autosatisfaction vaniteuse, à l’affadissement de la foi et à “l’oubli de Yahvé” (13, 6).

Osée entretient la conviction qu’Israël devra être “reconduit” au désert (2, 16), “habiter de nouveau sous ses tentes” (12, 10), pour revenir à Yahvé.
 

   Connaissance et reconnaissance de Dieu

Osée est influencé par les Lévites, ces prêtres descendants du fils de Jacob, évincés lors du schisme, qui ont, eux, la “connaissance de Dieu”. Cette connaissance ne procède pas d’une spéculation abstraite. Elle a pour objet les commandements que Dieu a donnés (4, 6).

Osée insiste aussi sur la reconnaissance des hauts faits accomplis par Dieu dans l’histoire de son peuple dont le plus important est la sortie d’Égypte (2, 17; 11, 1; 13, 4). Dieu est d’abord celui qui a fait sortir Israël du pays d’Égypte. Cet acte de Dieu ouvre une relation avec Israël. C’est même l’acte de naissance d’Israël, considéré comme fils de Yahvé depuis sa sortie d’Égypte. Cette histoire d’Israël comporte aussi, fondamentalement, l’élection dans le désert et la protection fidèle (9, 10 et 13, 14-6), jusqu’au don des récoltes (2, 10).

Cette connaissance devrait amener Israël à comprendre les liens que Dieu veut établir avec son peuple. Osée parle d’une “véritable alliance” (6, 7; 8, 1), à portée théologique, qui ferait d’Israël le peuple de Dieu, “mon peuple”, et l’amènerait à juger dérisoire toute autre alliance (12, 2), à se désintéresser de tout “salut” (13, 10) qui ne viendrait pas de Yahvé (6, 1-3), à refuser enfin d’être assimilé aux autres peuples, à ces gens qui attribuent l’abondance des récoltes à des divinités païennes. Les Israélites influencés, en étaient venus à croire que Baal était un dieu de la fécondité. De fait, le culte combattu par Osée, c’est celui des Baals, comme les veaux de Bethel, qu’un syncrétisme associe à Yahvé. Osée veut rappeler que Dieu a été fidèle et bon à l’égard d’Israël et que chacun pourrait avoir à l’égard de son frère la même attitude. Or, au contraire, chacun se laisse aller à un comportement emprunt de mensonge, de tromperie, de violence (4, 2).
 

L’histoire est un support important dans le message du prophète, aussi bien chez Osée que chez Amos. L’histoire contribue à la conversion du peuple en lui montrant les origines lointaines de son péché (12, 3-15).

 

La connaissance de Dieu au principe de la hesed

De la connaissance de Dieu découle la hesed, l'assistance réciproque que l’on se doit entre membres d'un même groupe. La hesed est au coeur de la relation d'alliance entre Dieu et Israël et doit imprégner les relations d’Israël avec Dieu, mais aussi la hesed établit la solidarité entre les membres du peuple de Dieu (cf. 10, 12 et 12, 7).

Le refus de la connaissance de Dieu, en revanche, entraîne la détérioration des relations humaines. Les enfants d’Israël se laissent guider par un “esprit de prostitution” (i.e. d’adoration d’un dieu païen, cf Os 5, 4). Ils ont échangé Dieu contre un dieu, et se sont adonnés à des liturgies païennes, qui comportent précisément des scènes de prostitution.

Le prophète s’appuie sur son expérience, sur son histoire la plus intime, au profit du message qu’il doit porter. La femme qu’il aimait l’a abandonné. Elle s’est prostituée. Osée n’a pas cessé de l’aimer. Cette expérience permet de saisir l’amour obstiné d’un Dieu que ne déconcerte pas l’infidélité et qui offre une amitié fidèle et éternelle, à la façon du père qui accueille à son retour son fils prodigue.

 

Gérard LEROY, le 5 décembre 2009

 

  1. cf. Des matriarches et de quelques prophètes de l'Ancien Testament, L'Harmattan, 2013, p. 55.
  2. Les midrashim (pluriel de midrah) sont des commentaires de textes sacrés en vue d’une actualisation, la haggada étant une  exhortation du midrash dans l’ordre moral, tandis que la halakha  se rapporte à l’ordre juridique.
  3. Code de Hammurapi, § 181 à 183, ed. du Cerf, 1973, pp. 105-106.