Pour Céline Berna, en hommage amical

   Pour Maître Eckhart, la vocation chrétienne est de " devenir fils dans le Fils "; Maître Eckart va jusqu'à dire: "Nous sommes tous un seul Fils unique". Sa pensée rejoint celle de saint Paul, qui montre que le bonheur et la grandeur de l'homme, c'est de devenir fils de Dieu par adoption. Selon saint Paul, en effet, seul Jésus, le Christ, dans sa nature divine, est Fils par nature, de toute éternité, en Dieu ; quant à nous, pour recevoir en toute vérité ce nom de " Fils de Dieu ", nous devons être assimilés au Fils, recevoir la forme du Fils, de façon que le Père reconnaisse en nous et ses fils, et son Fils. Ce qui doit advenir grâce à l'action transformante et sanctifiante de l'Esprit. Tel est le destin de l'homme auquel il est appelé. 

Cet homme, créé à l'image de Dieu, est appelé à la réalisation la plus parfaite de ce qu’est la personne ; la révélation trinitaire éclaire l'existence humaine en ce qu’elle fournit la clef d'interprétation des aspirations les plus profondes de l’homme : son besoin d'altérité et dans le même temps son besoin de communion.

La notion de personne doit être distincte de la notion d'individu. Les trois personnes divines ne sont pas trois individus. En Dieu la personne est purement et simplement relation. Nous découvrons que «la relation est une force originelle de l’être au même titre que la substance», écrivait Joseph Ratzinger, avant son pontificat. Cette triple altérité relationnelle est évidemment indémontrable. Mais elle ouvre une piste énorme sur la compréhension de l’amour. La théologie de l'amour transcende la philosophie de l'être. Dire “Dieu est amour", c’est sans doute la meilleure des expressions pour rendre compte de Dieu. C'est en Dieu que cette vie de relation est parfaite, où conjuguent la distinction réelle des personnes et l'unicité de l'être divin pour fonder la perfection de la communion.

La saisie du Dieu-Amour fonde une anthropologie. Nous sommes ici en présence du démenti le plus flagrant à tout personnalisme individualiste ; que Dieu soit Dieu-Amour atteste de l'aspect çommunautaire de la personne : en Dieu, les personnes ne sont pas d'abord un tout en elles-mêmes avant de s'ouvrir aux autres. Elles se constituent dans leurs relations mutuelles : aucun " je " ne précède sa relation à autrui : il surgit comme relation. Ce qui signifie que la communauté n'est pas conséquente à un rassemblement de personnes ; elle s 'établit en même temps que les personnes.

Chaque personne humaine n'existe pas d'abord dans son quant-à-soi, pour entrer ensuite en relation avec les autres, et former avec elles une communauté. Communauté et personnes se fondent et se confondent ensemble. Une personne n'existe que comme relation avec les autres personnes. Sa réalité est celle d'un être relationnel.

L'amour est à l’aune de l'Ultime. L'amour s’ordonne à la fin. L'être relationnel n'implique donc pas relativité au sens cosmologique, et donc limitation: c'est bien là le mystère que nous sommes invités à vivre. Dans l’existence, l'amour apparaît comme la valeur suprême. Quel sens aurait une existence sans amour. Quelle raison de vivre aurait un être vivant sans amour ? 

Dieu est Dieu-Amour. Mais Dieu ne peut être amour que s'Il a éternellement quelqu'un à aimer. L'existence de l'amour en Dieu suppose éternellement en Dieu une distinction de personnes. L'hypothèse que Dieu, étant amour et n'ayant rien à aimer, a créé le monde pour avoir quelque chose à aimer, apparaît contradictoire, car il y aurait eu un temps où Dieu n'ayant rien à aimer manquait de quelque chose d'essentiel. Et un être qui manque de quelque chose d'essentiel ne peut être Dieu.

On touche ici la révélation suprême de la Trinité pour des humains en quête de compréhension de leur existence.

 

Gérard LEROY, le 4 novembre 2015