Préparer les Églises de demain

 

   Confondant les sociétés religieuses empiriques qu’elles sont avec l’Église de Paul « Épouse du Christ », nos Églises ont revendiquées l’élection et l’alliance divines, la vérité détenue sans erreur, l’investiture pour publier le Message et le défendre contre toute déviation, en recourant au besoin à toutes les armes permises par l’époque.

La vie spirituelle d’aujourd’hui a besoin qu’on lui enseigne la véritable histoire des Églises, sans omettre les errements et les fautes du passé, qui doivent être reconnus comme tels, ne serait-ce que pour éviter leur répétition. Avoir deux mille ans comporte une exigence particulière de mémoire. A l’heure de la nouvelle évangélisation, il y a là un moyen de redonner intérêt et vigueur aux homélies. On peut faire mieux que de former l’homme du dehors, principalement en morale et en éthique, sans l’appeler à une véritable intériorité.

 

La question fondamentale : aujourd’hui, qu’est-ce qui, dans les structures de l’Église, est indispensable pour la fécondité de la mission, développement de celle de Jésus, s’adressant à tout homme, pour accéder à une universalité dont on ne pouvait, il y a vingt siècles, concevoir les dimensions extrêmes. 

 

L’autorité de fonction, aussi légitime qu’indispensable, n’est guère en mesure d’assurer un tel rôle d’éveil auprès des fidèles. L’obéissance aveugle que requiert une telle autorité est considérée aujourd’hui comme une passivité indigne d’un être libre. Une voie possible serait de la doubler d’une autorité de mission qui s’impose uniquement par le rayonnement personnel et aurait comme objectif de transformer en appel et en fidélité ce qui se présente encore comme commandement et obéissance. 

 

Dans le domaine politique et social, il convient que les Églises soient bien conscientes que c’est précisément la reconnaissance des errements passés qui rendra audible et crédible leurs prises de position publiques. En attendant, elles n’ont le choix qu’entre le silence et des propos modestes et prudents. En effet, affirmer ce qui est juste d’une manière générale et absolue, sans indiquer aucune manière de le réaliser ou, au moins, d’y contribuer efficacement (contrôle des naissances aux Philippines) ne peut paraitre que verbiage pieux à ceux qui sont dans l’action.

 

 

Commentaire

 

L’idée de Marcel Légaut de distinguer l’autorité de fonction et l’autorité de mission est intéressante à condition que la ‘’mission’’ soit première et donc qu’elle soit exercée par le  pape. En effet, comme le suggère Claude Geffré, ce n’est pas l’Église  qui définit la mission, c’est la mission qui détermine le visage de l’Église, afin qu’elle soit le signe du Royaume de Dieu. C’est dire  l’importance cruciale du choix du Pape. Ce qui compte, ce n’est pas sa nationalité, ni sa culture, c’est son expérience humaine, sa connaissance des hommes, la variété des ministères exercés, sa proximité avec le terrain, avec la base, sa rencontre avec la vraie misère des hommes, des femmes, des familles.

 

 

Prenons deux papes italiens récents. Pie XII, diplomate et juriste, sans aucune expérience pastorale de terrain, très réservé sur les droits de l’homme, s’est montré beaucoup plus préoccupé de l’Église-Institution que par le peuple des fidèles. Et si les péchés d’omission sont parmi les plus graves (Mt 25, 31-46), les  multiples silences de ce pape, sur la conquête de l’Éthiopie et de l’Albanie par Mussolini, sur l’attaque sauvage de la Pologne catholique par Hitler sans oublier celui sur la Shoah, devraient interdire toute canonisation.

 

Si Jean XXIII est apparu comme une lumière, un espoir, c’est qu’il n’était pas issu de cette sorte de noblesse d’Église qui a fourni tant de pontifes, qu’il n’avait pas vécu de palais en palais et que, au grand scandale de la Curie qui fit tout pour l’en dissuader, il aimait les contacts directs avec les fidèles. Peut-être prenait-il au mot Jésus disant que pour sauver l’homme, il faut arpenter les rues et inviter les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux (Mt 14, 13 et 21). C’était un fils de paysans pauvres, repéré par un curé perspicace, envoyé dans des postes difficiles en Bulgarie et en Turquie où il sauva des milliers de juifs, avec des engagements généreux sur le terrain mais si peu appréciés des bureaux du Vatican,  qu’il écrira : « Je suis évêque depuis 20 mois. Comme il m’était facile de le prévoir, mon ministère devait m’apporter beaucoup de tribulations. Mais celles-ci ne viennent pas des Bulgares pour lesquels je travaille, mais bien des organes centraux de l’administration ecclésiastique. C’est une forme de mortification et d’humiliation à laquelle je ne m’attendais pas ».

 

Puisse l’Esprit Saint insuffler au prochain conclave une redéfinition du profil requis pour ce poste de Vicaire du Christ qui commencera son pontificat, j’en suis persuadé,  par lutter contre la papolâtrie qui recommence à sévir après la trop courte parenthèse de l’inoubliable Jean XXIII  et qui aura même le courage d’abandonner le projet de béatification de Jean-Paul II,  qui s’inscrit, plus ou moins consciemment, dans la tradition des empereurs romains qui s’empressaient de diviniser leur prédécesseur.

 

Puisse aussi l’Esprit Saint faire que le Vatican, malgré ses ors et ses splendeurs, soit l’État le plus accueillant au monde, le plus ouvert aux pauvres, aux immigrés, le plus transparent et le plus miséricordieux dans son administration, comme dans sa justice.

 

Et, au terme de cette réflexion, la question implicite de Marcel Légaut, d’Hans Kung et de Claude Geffré ne serait-elle pas celle-ci : quand il reviendra dans la gloire, Jésus trouvera-t-il de la foi à la tête de l’Église, de cette foi qui n’a pas besoin d’être défendue à coup de décrets, de surveillance, de condamnations, parce qu’elle se traduit en amour et service du prochain.

 

 

Xavier Larère, le 2 août 2013