Pour Pierre et Annette Jany, en hommage amical

On distingue deux groupes de prophètes dans la Bible : les premiers prophètes, dont les biographies illustrent les livres de Josué, de Samuel et des Rois, et les “derniers prophètes”, ceux du VIIIe au Ve s. répartis en deux groupes : les “grands” Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, et les douze “petits” dont Amos, Joël, Osée, Michée, Malachie, Habaquq etc.

Bien que les écrits prophétiques occupent une place de choix dans la Bible, le prophétisme n’est pas un phénomène propre à Israël, ce que révèlent d’ailleurs les découvertes épigraphiques (sciences des inscriptions). Les archéologues ont retrouvé des oracles écrits sur des tablettes transmises au roi. Les tablettes de Mari et d'Assur, les stèles des rois de Syrie et de Transjordanie témoignent du rôle capital des prophètes et de leurs oracles dans la vie politique et religieuse du Proche-Orient ancien.

Un mot, pour les situer dans l’histoire, sur Mari et sur Assur. Mari, au sud-est de la Syrie, sur l’Euphrate, regarde la Mésopotamie, l’ “entre deux fleuves”, au-delà de l’autre rive. Mari c’est l’unique voie de passage entre l’Égypte et la Mésopotamie. Ce sont des Sumériens qui ont fondé Mari, en 2600 av. J.C., à l’abri des crues dévastatrices de l’Euphrate. À partir de 1933, le P. André Parrot a mené une mission archéologique dont quelques beaux livres rendent compte. Quant à Assur, cette ville a été capitale de l’Empire assyrien au VIIIe siècle, avant de s’appeler Ninive. Située sur la rive Est du Tigre, elle s’entourait de remparts de brique sur une longueur de douze kilomètres. Les ruines de ces remparts sont aujourd'hui enfouies sous les nouvelles banlieues de Mossoul, en Irak. Assur est l'une des plus anciennes cités de Mésopotamie, capitale d’un Empire assyrien qui englobait la Syrie, la Turquie, l’Iran et l’Irak.

Que révèlent les tablettes découvertes à Marie et à Assur ? Les ostraca paléo-hébreux font le récit des interventions des prophètes auprès des rois d'Israël. Les ostracas sont des tessons de poterie, ou des fragments d’ardoise, tels qu’on les trouve jetés dans un cratère près des pyramides du Caire. Sur chaque ostracon les chefs de chantiers égyptiens des temples ou des pyramides inscrivaient le travail de la journée qu’ils assignaient à chaque ouvrier. Après la tâche accomplie et vérifiée en fin de journée par l’ouvrier, les ostracas étaient jetés. Ceux que l’on a découverts à Mari ou à Assur décrivent aussi  la manière dont les oracles ont été mis par écrit, rassemblés et transmis, au sein d'une tradition littéraire. Ils ont été écrits en paléo-hébreu, c’est-à-dire dans une langue utilisée entre le Xe et le Ve siècle, héritée des phéniciens et précédant l’araméen duquel procède l’hébreu classique.

Les prophètes se présentent comme les porte-parole d’une divinité, ou même de Dieu, derrière lequel ils s’effacent. Etymologiquement le mot “prophète” se rattache à une racine archaïque qu’on translitère par les lettres nb’, ce qui signifie “sourdre (ou jaillir) avec bruit”, “bouillonner intérieurement”; le nabî, le “parleur”, serait donc celui qui parle avec véhémence et sous l’influence d’une puissance supérieure pour annoncer des choses inaccessibles aux mortels. Ses actes, ses proclamations et ses écrits ont profondément marqué la vie du peuple hébreu. Sans le prophète, l’histoire se serait déroulée autrement ; sans lui, la Bible n'existerait probablement pas.

Au XIe siècle la Palestine traverse une période de crise. La Palestine, c’est le territoire de ce peuple d’origine crétoise installé sur la bande de Gaza au XIIe siècle, qu’on appele les “Philistins” du nom duquel est dérivé, sous sa forme latine, le nom de “Palestine”. De Salomon jusqu’à César, Canaan, compris entre la Mer Méditerranée et le Jourdain,  s’est ainsi appelé “Palestine”.

Au XIe siècle on se chamaille entre tribus. Les Philistins, grands ennemis de l’Égypte font étalage de leur puissance qui sera détruite par les Assyriens en 732. Mais au XIe s. les Philistins menacent. Des groupes de nabîs s’élèvent alors et opposent une véritable résistance à tout ce qui pourrait désintégrer la nation ou la couper de ses racines. Les nabîs montrent des surexitations étranges, ils acclament, chantent, dansent, gesticulent, se dénudent même. Tout cela qui prépare, pense-t-on, à l’irruption d’un esprit venant de Yahvé. Au premier livre de Samuel le prophète dit que le phénomène est contagieux ! Amos a pris ses distances avec ces groupes prophétiques qui cultivaient l’extase.

Où exercent les prophètes et que font-ils ? Il y a des prophètes dans l’entourage du roi (cf 1 R 22). Ce sont des membres éminents de la Cour. Ainsi Natan et Gad auprès de David. Leur fonction est similaire à celle d’un Directeur de Cabinet dans un Ministère. Ils sont à la fois conseillers religieux, et guides dans les affaires de l’État. Avec le développement de l’écriture, à partir du VIIe siècle, leurs oracles sont conservés dans des recueils qui vont devenir plus tard le Livre des Prophètes. Ils n’orientent pas seulement les décisions, ils prêchent aussi. Mais le peuple se méfie d’eux, parfois jusqu’à les pourchasser, voire les tuer (1 R 18, 13). Et pourquoi ? Parce qu’on leur reproche de n’échanger avec le roi que contre rémunération, et de donner parfois de fausses promesses, de bonheur, de félicité, d’abondance, de paix (1 R 22; Jr 6, 13ss;  Ez 13, 10ss). En fait, on se méfie surtout des charlatans.

Le prophétisme n’a pas qu’un seul visage. On note en effet l’existence de plusieurs catégories de prophètes : il y a des prophètes de Cour attachés à la personne du Roi; il y a  ceux qui vont devenir prophètes-écrivains, comme Amos, ou Osée. Il y a surtout à distinguer les faux prophètes des vrais prophètes. Le prophète, le vrai, s’adresse au Roi en tant que le Roi est responsable du peuple devant Dieu. Il est avant tout l’homme de la Parole de Dieu. Le prophète, le vrai, incarne le message que Dieu lui met dans sa bouche. Immanquablement, le prophète communiquant un oracle commence par dire : “Ainsi parle Yahvé”...

Aussi bien pour le peuple que pour le Roi, la question qui se pose est celle du discernement. Comment discerner les inspirés par Dieu et les prophètes qui se disent inspirés et qui ne le sont pas ? Le discernement a exigé du temps, et la canonisation des prophètes est le fruit de ce discernement.

Les Prophètes sont perçus comme moralistes, qui affichent une sympathie constante pour les pauvres, qu’ils défendent avec fougue (cf. Am 9, 9ss). Ils contestent en effet les comportements sociaux de leurs contemporains. Ils visent une société plus humaine, en tout cas digne du peuple de Dieu. Les droits fondamentaux de l’homme ont trouvé dans les prophètes leurs meilleurs défenseurs : le droit au salaire, à la propriété, à l’établissement d’une communauté humaine. Ils ont prôné l’égalité devant le droit, et la fraternité. Au point de vue du culte et des rites, ils ont rectifié le penchant d’Israël en faveur d’un rituel automatique et formaliste. Sur le plan politique les prophètes n’ont pas manqué de jeter un regard critique, sévère, sans concession, dénonçant avec fougue les abus.

Les prophètes ont quelque chose de révolutionnaire. Ces prédicateurs, complètement enracinés dans leur temps, ont marqué leurs contemporains en annonçant la parole divine, réconfortante ou dérangeante, insérée dans l'histoire.

Les prophètes ont été des témoins et les artisans de ce “catéchuménat de l’humanité” (Pierre Grelot). Ils ont révélé le dessein de Dieu dans l’histoire. On leur doit de mieux connaître la préhistoire de l’Église. Par-delà leurs tâtonnements les prophètes ont marché vers le Christ qu’ils ne percevaient pas encore, et préparé l’Église à mieux se comprendre. Les prophètes ont préparé au Christ. Leur vie, leur prédication, leur message ont en effet nourri la conscience d’Israël. C’est ainsi qu’un petit groupe de juifs a pu reconnaître en Jésus-Christ le Messie qu'Israël attendait.

Gérard LEROY, le 7 juillet 2017

  1. cf. G. LEROY, Des matriarches et de quelques prophètes de l'Ancien Testament, L'Harmattan, 2013, p. 43