Article que nous a communiqué Jean Pierre CHARTIER , décédé peu après, le 12 février. Jean-Pierre CHARTIER, docteur d'Etat en psychologie clinique, avait dirigé jusqu'en 2013 l'Ecole de psychologues praticiens (Paris - Lyon). 

   L’I.P.A. créée en 1910 pour fédérer et contrôler les pratiques analytiques qui se développaient dans le monde entier en vint à codifier et à légiférer loin de la pratique de Freud qui, comme l’a écrit excellemment Paul Roazen (1), n’hésitait pas à prêter ses livres aux patients en leur suggérant d’y faire bien attention, et allait jusqu’à encourager ou déconseiller un mariage.

Robert Castel, dès les années 1970, dénonça la dérive d’une psychanalyse qui serait passée « de la secte à l’église » (page 197). Certes, selon moi, Lacan, nous y reviendrons, a recréé la secte, mais l’I.P.A. est devenue en quelque sorte l’église catholique, au sens d’universel, avec ses dépenses, sa hiérarchie, du diacre (l’élève) à l’évêque (le didacticien). Comme l’écrit aussi Castel, « les psychanalystes les plus traditionnels parlent peu et écrivent peu, ce qui n’empêche pas leur pratique de peser très lourd » (p. 244).

Le résultat ? Beaucoup d’écrits théoriques et de théories sur la théorie quand ils sortent de leur silence. On ne compte plus le nombre d’essais, avec leur glose talmudique, des cas regroupés par un éditeur français sous l’appellation trompeuse de « Cinq psychanalyses », ouvrage que n’a jamais écrit Freud et qui réunit des articles écrits et publiés à plus de vingt ans d’écart. « Certains

patients acceptaient les théories de leurs analystes comme une nouvelle forme de religion. Ils se perdent dans une nouvelle idéologie cachant ainsi à eux-mêmes et aux autres qu’ils ne sont pas guéris », comme l’a aussi dénoncé Clara Thompson (page 243) (2).

Le fauteuil de l’analyste est-il alors devenu le nouveau trépied du temple d’Apollon à Delphes où se rendraient les oracles de nos collègues descendants et/ou réincarnation de la pythie ?

Cette satisfaction de notre pratique est contraire à l’esprit de son fondateur qui n’a jamais été religieux. Il suffit de relire « L’avenir d’une illusion » et « Moïse et le monothéisme ».

Comme l’a écrit Paul Sidoun (3), « la psychanalyse a relayé le déclin de la religion et la mort de Dieu quatre fois par semaine, sinon pas de salut, quarante-cinq minutes de confessionnal si l’on veut obtenir l’absolution, ne jamais accepter de montrer quoi que ce soit au non clercs ».

Peut-on continuer de « brandir le drapeau blanc de la neutralité, fut-elle bienveillante » ? Nous sommes ainsi entrés dans un no man’s land où les publicitaires ont remplacé les poètes, et les marchands du temple les penseurs, et où les psychanalystes ont souvent oublié ce que Freud écrivait à Romain Rolland : « J’ai passé une grande partie de ma vie à travailler à la déconstruction de mes propres illusions et à celles de l’humanité » (4).

Les certitudes dogmatiques et apodictiques de la valeur de l’interprétation mais surtout du silence et de la neutralité bienveillante sont à questionner, voire à récuser en fonction du type de pathologie de nos patients, nous y reviendrons.

Nous étions nombreux à cette époque épique à croire que Lacan allait sortir la psychanalyse de son ornière, malheureusement nous avons été confrontés à un choix impossible : la théologie ou le mysticisme.

 

Jean-Pierre CHARTIER, le 6 février 2015

(1) Paul Roazen, Comment Freud analysait.

(2) Clara Thompson, op. cit.

(3) Paul Sidoun, Guéris mais de quoi ?

(4) Cité par René Major, Freud.