Pour Justine Janin, en hommage amical

   Dès le livre de la Genèse, la vie n’a de sens qu’en référence à la promesse de Dieu à Abraham : il sera le père d’une “grande nation”. La vie ne vaut qu’ouverte à l’infini des générations. On comprend alors que la stérilité fait obstacle au dessein de Dieu et que les personnes qui en sont marquées ne reçoivent qu’opprobre et mépris. C’est pourtant sur ces matriarches stériles de la Bible que tombe la grâce du Seigneur Dieu.

Trois approches répondent à la question de la signification de la stérilité dans l’œuvre vétéro-testamentaire.

La première est historico-sociologique. La stérilité en Israël au XVIIIe siècle avant J.-C, est perçue comme une malédiction. Dieu récompense ici-bas les justes par une descendance nombreuse. La stérilité est même un motif de divorce ou de répudiation après dix ans de mariage. Si le problème est d’assurer une descendance, la solution consiste alors à partager la couche d’une servante. La mère porteuse n’est pas la mère, contrairement à la règle moderne selon laquelle la mère est la femme qui accouche. Ce statut revient à la femme stérile, ainsi qu’on le découvre dans le code d’Hammurapi, au XVIIIe siècle B.C., mais aussi dans le Livre de la Genèse. Sarah ne fait qu’appliquer le droit familial sumérien lorsqu’elle consent à donner Agar, sa servante égyptienne, à Abraham. 

Si, tandis qu’Agar s’apprête à accoucher, Sarah s’écrie qu’elle est elle-même enceinte, cela ne signifie rien d’autre que rien n’est impossible à Dieu (cf; Gn 18, 14 ; Gn 25, 21 ; 1 S 1, 11-20).

Quelle symbolique de la stérilité peut-on tirer ?

Au retour de l’exil, alors que Jérusalem a été humiliée, abandonnée, elle est appelée “l’épouse stérile” du Seigneur. “Toi qui n’enfante plus”, lit-on en Is 54, 1. Il faut que le Seigneur lui “redonne vie”, l’épouse.

Notons au passage que les Évangiles vont associer la stérilité à un figuier sans fruits (Lc 13, 6-9). Le figuier sans fruits est ici une métaphore désignant ceux qui ne voient pas que Jésus est Messie, à la différence de ceux qui “portent du fruit en abondance”.

L’approche théologique enfin révèle plusieurs aspects. La stérilité est un mal, une honte, qui entraîne le mépris dont Sarah est la cible. N’oublions pas ce cri de Rachel : “Donne-moi des enfants ou je meurs” (Gn 30, 1). Que lui répond Jacob ? “Suis-je à la place de Dieu ?

Contre ce mal il faut lutter, ce que prescrit le code d’Hammurapi. Sara, Léa et Rachel l’ont expérimenté puisque Abraham a partagé la couche d’Agar, que Jacob a partagé la couche de Zilpa, servante de Léa, dont il eut deux enfants, Gad et Aser, celle de Bilha, servante de Rachel, qui lui donna Dan et Nephtali.

La fécondité répond à l’appel de Dieu, en permettant la postérité d’Abraham. Dit autrement : la stérilité contrarie le dessein de Dieu. Vaincre la stérilité est l’affaire de Dieu. Le rédacteur de Gn 11, 16, 25, montre que les trois ancêtres du peuple élu, Sara, Rebecca et Rachel sont stériles, avant que ne leur soit accordée une progéniture. La longue mise en scène de la naissance d’Isaac montre l’élection et la grâce accordée. L’homme doit s’avouer impuissant.

C’est Dieu qui révèle le sens de la stérilité. Il serait erroné de considérer la stérilité comme un simple châtiment. Pourtant Dieu ordonne à Jérémie de garder le célibat, signifiant la stérilité du peuple en état de péché. Mais l’épouse entrera en grâce : “Crie de joie, stérile qui n’enfantait pas”. 

Il fallut le désastre de l’exil pour faire éclater l’estime exclusive de la fécondité. L’homme est appelé à comprendre que la fécondité physique n’est pas nécessaire à sa survie. Il découvre l’existence d’une fécondité spirituelle (cf. la reconnaissance des eunuques en Is 56, 3ss ; Sg 3, 13 ; 4, 1). Il découvre enfin que la vertu produit des œuvres, comme des fruits, comme le fruit né des entrailles de Marie, vierge féconde. 

 

Gérard LEROY, le 28 janvier  2016