Pour Constantine et Guy Lastes, avec toute mon amitié

    Athanase nous offre une précieuse exégèse du passage de l’évangile de Jean où Jésus s’adresse à son Père en lui disant : “comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous” (Jn 17, 21). Athanase éclaire ce verset par un commentaire de l’Évangile et de la première lettre de saint Jean  (1 Jn 4, 13) :

Le bienheureux Jean montrera en peu de mots, et bien mieux que nous le sens de ces textes (Jn 17), réfutera l’interprétation des impies et nous enseignera comment, d’une part, “nous devenons en Dieu” et Dieu en nous, et comment d’autre part nous devenons un en lui, tout en marquant quelle grande différence il y a entre la nature du Fils et la nôtre.

Voici donc ce qu’écrit Jean : “À ceci nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : c’est qu’il nous a donné de son Esprit (Πνεύματός του) (1 Jn 4, 13). Ainsi donc, c’est à cause de la grâce de l’Esprit qui nous est donnée que nous devenons en Dieu, et Dieu en nous (1). Et puisque cet Esprit est l’Esprit de Dieu, c’est à juste titre que, lui une fois présent en nous, on peut dire également de nous que —du fait que nous avons l’Esprit— nous devenons nous aussi en Dieu, et c’est ainsi que Dieu est présent. Ce n’est donc pas de la façon dont le Fils est “dans le Père” que nous devenons nous aussi “dans le Père” : le Fils en effet, ne reçoit aucune participation de l’Esprit, afin de devenir, par ce moyen “dans le Père”, et il ne reçoit pas non plus l’Esprit, mais c’est lui au contraire qui le communique à tous; et ce n’est pas l’Esprit qui met en contact le Verbe avec le Père, mais c’est au contraire l’Esprit qui reçoit (λαμβάνει, cf. Jn 16, 15) de la part du Verbe.

Le Fils, lui, est “dans le Père” comme son propre Verbe et comme son éclat; quant à nous, sans l’Esprit nous sommes étrangers à Dieu et loin de lui; mais par la participation à l’Esprit nous sommes mis en contact avec la divinité, de sorte que notre exister dans le Père n’est pas notre fait à nous, mais le fait de l’Esprit qui est en nous, et qui “demeure” en nous dans la mesure où nous le gardons en nous par la confession de la foi.”

 

 Discours contre les ariens, III, 24

 

L’existence de “ceux qui ne sont que de façon contingente”, s’oppose à “Celui qui est”, par nature; la vie des créatures se caractérise par la corruption (φθορά). Les créatures sont tirées du néant et tendent naturellement vers le néant. Mais leur condition naturelle d’existence a été modifiée, à l’origine par Dieu lui-même qui leur a donné, par la grâce, de participer à son incorruptibilité; une seconde fois par l’homme qui, en péchant, s’est coupé de Dieu et a perdu cette incorruptibilité; une troisième fois par le Verbe qui, en subissant la mort dans un corps uni au Verbe-vie, a définitivement absorbé la mort dans la Vie, inaugurant ainsi la résurrection (1 Co 15, 54). Le corps du Christ est ainsi le fondement de notre retour à l’incorruptibilité de Celui qui est, par  nature.

 

 

Athanase précise que la présence du chrétien ou de tout homme dans le corps du Christ n’est pas une présence locale, réelle, entitative, mais bien évidemment une présence intentionnelle.

 

L’existence du corps du Christ est “relative à moi”, en ce sens qu’il y a dans le Christ tout une part de son être qui n’existe que pour nous; sa vie est un mystère qui a été vécu en me visant personnellement. Il nous faut donc participer à l’actualisation de l’œuvre du salut pleinement réalisée dans le Christ. Là, dans cette actualisation, s’exerce la vie chrétienne.

En adhérant au Fils, l’homme est élevé au niveau-même de Dieu, parce que appelé par Dieu. Grâce à l’Esprit Saint qui nous fait être “un” dans le Verbe, nous devenons “dans le Père”, c’est-à-dire que nous sommes introduits dans la Trinité. Nous ne sommes pas divinisés par une entrée en contact avec une sorte de déité impersonnelle, comme un morceau de fer qui devient incandescent parce qu’il est plongé dans le feu de la forge. Nous sommes saisis par l’Esprit qui nous attire dans le Fils, par lequel nous sommes admis dans le Père.

Tel est bien le sens profond de la Bonne Nouvelle.

 

On remarquera qu’Athanase refuse désormais de dire du Fils qu’il est seulement semblable (ομοιος) : cela est vrai, mais ce serait insuffisant. Car il faut préciser que la similitude va jusqu’à l’unité, l’indivisibilité de substance. (La réaction s’exprime ici contre les homéens (2) qui forment le gros de l’opposition à Nicée).

 

La doctrine trinitaire ne pourra jamais exprimer adéquatement le mystère de Dieu. Elle n’en prononce pas moins des énoncés, des “indications” sur le mystère, ayant au moins un sens positif.

 

Dieu se révèlant à nous comme Père, il se donne à  nous comme “notre” Père. Il se révèle par un don. À partir de là les hommes sont appelés à se conduire sous le mode filial. Non en vertu de ce qu’ils sont au point de départ, non en vertu de ce qu’ils sont par nature, mais en vertu d’un don, d’une grâce, moyennant l’intervention du seul Fils véritable communiquant à l’homme son propre Esprit qui est l’Esprit-Saint, troisième personne de la Triade.

 

“Dieu a non seulement créé les hommes, mais il les a aussi appelés “fils” en ce sens qu’il les a engendrés. En effet le mot “fils” a la même signification que l’expression “il a engendré”, ainsi qu’il est dit par le Prophète : “J’ai engendré des fils et je les ai exaltés” (Is 1, 2). D’une façon générale, quand l’Écriture veut exprimer l’idée de “Fils”, elle ne le fait pas par l’expression “j’ai créé”, mais par l’expression “j’ai engendré”.

[...] Tel a été l’amour de Dieu pour l’homme que ceux dont il a été le créateur il en devient par la suite le Père; et il le devient lorsque les hommes, qui ont été créés, reçoivent dans leur cœur, comme le dit l’apôtre (Gal 4, 6), l’Esprit de son Fils qui crie : “Abba, Père” (Rm 8, 15). Ceux-là, ayant reçu le Verbe, ont obtenu de lui “le pouvoir de devenir enfants de Dieu” (Jn 1, 14).

 

Discours contre les ariens, II, 59

 

Ces paroles d’Athanase ne prennent tout leur sens qu’à la lumière du symbole de Nicée, qui établit une opposition radicale entre Fils et créature. Cette opposition donne à la divinisation de l’homme une signification toute différente de celle que proposait l’arianisme.

 

 

Gérard LEROY, le 9 octobre 2013

 

 

  1. en Dieu” marque le caractère particulier d’un mode d’existence propre au Fils, donc divin; γινόμαστε, “nous devenons” marque le caractère gracieux de cet état nouveau que nous ne possédons pas par nature, mais qui doit nous “advenir”.
  2. Ce courant dérive de l’arianisme strict qui exclut toute ressemblance entre le Père et le Fils, tandis que les homoousiens affirment que le Fils est semblable en nature au Père. Pour les homéens, le Fils est simplement semblable au Père, sans préciser de quoi relève cette similitude. Cette position, qui rejoint celle d’Eusèbe de Nicomédie, débouche sur l'inégalité des personnages de la Trinité.