À Sophie Guerlin, ce signe pascal d'amitié

    La tendance à aligner les hypothèses scientifiques sur les données de la Bible a privé maints archéologues du XIXè siècle de mieux pénétrer la question de l’Exode. Ainsi en a-t-il été de certains sites présentés comme la Terre de Goshen (Gn 47, 1-6) avant qu’ils ne soient identifiés au XXè siècle comme la ville de Ramsès.

Les archéologues se sont toutefois penchés sur les monuments égyptiens en quête d’une évocation du peuple opprimé. Ainsi les briquetiers du Temple de Thoutmosis III représentés sur une tombe du temple de Thèbes ont-ils été supposés comme étant ces esclaves hébreux exploités par Pharaon.

En situant Moïse au beau milieu du XIIIè siècle avant Jésus-Christ, trois pharaons viennent à l’esprit dont l’un aurait été celui qui libéra le peuple hébreu : Séthi Ier, Ramsès II et Menephta, ce dernier étant admis par beaucoup comme le pharaon cruel qui aurait eu l’audace de poursuivre Moïse après l’avoir affranchi, jusqu’à périr dans les eaux de la Mer des Roseaux.

Les sources égyptiennes dont on attendrait qu’elles nous renseignent sur la question de l’Exode sont bien minces. On sait cependant que des tribus, pendant leur migration, ont séjourné en Égypte; on est aussi assuré que des sémites se sont infiltrés dans le Delta du Nil. Mais nous n’en savons guère plus.

En revanche on a appris qu’ entre 2000 et 1700 av. J.-C, c’est-à-dire au Moyen Empire, des Asiatiques vivaient en Égypte et que certains d’entre eux servaient même à la cour, comme mercenaires (sous le règne d’Akhenaton) comme officiers, comme officiers de bouche ou comme échansons, ces deux dernières corporations formant peu après Ramsès II la plus haute classe du Royaume, avant les princes et avant l’armée.

Un papyrus conservé au British Museum (1) rapporte le journal écrit d’un officier rattaché à une forteresse, dressant la liste des noms avec leurs fonctions, de tous les messagers qui traversaient la frontière pour se rendre en Syrie. Les entrées au pays étaient également contrôlées, ce que notifie un officier de frontière à son supérieur pour l’informer de la présence d’une tribu édomite (venant du sud de la Judée), parvenue là pour abreuver ses troupeaux dans le domaine du Pharaon Menephta, près de Pithom, à l’Est des marais.

Qu’on ne s’étonne pas, dans ce contexte, que des Hébreux se soient, eux aussi, installés dans les parages et que le fait soit assez courant pour n’être pas mentionné. Le pays de Misraïm, lequel est fils de Cham et petit-fils de Noé dans la Genèse, c’est l’Égypte. Ce pays est cité 680 fois dans la Bible, alors que nous ne connaissons qu’une seule citation d’Israël, sur une stèle égyptienne relatant une victoire de Menephta sur les Libyens.

De ce mince support d’informations comment identifier le pharaon de l’exode ? D’une part nous avons reçu un récit circonstancié de la fuite des Hébreux dans le Livre de l’Exode, probablement brodé de l’emphase que justifie cet événement à l’origine de la constitution d’Israël. À cela s’oppose un silence presque total sur cette tribu semi-nomade quittant le pays après y avoir séjourné quatre siècles environ. Serait-ce un manque d’intérêt pour ces Hébreux plus ou moins appréciés, causes de la noyade  de Pharaon, ce demi-dieu garant de l’ordre universel.

Depuis la Reine Hatchepsout (milieu XVè siècle av. J.-C.) jusqu’à Ramsès II (XIIIè siècle av. J.-C.) chacun pourrait être désigné responsable de l’oppression des Hébreux. Thoutmosis III qui combattit en Asie, Amenophis II qui captura des princes Syriens pour les faire pendre à Thèbes, Akhenaton, Horemheb qui rétablit l’orthodoxie, Séthi 1er et... Ramsès II qui mourut à plus de 80 ans, ayant passé son règne à diriger de gigantesques travaux de construction. C’est son fils, précisément, Menephta, qui mentionne Israël sur la stèle triomphale.

À en croire le récit biblique, le Pharaon qui entreprit la poursuite du peuple de Moïse fut englouti avec son armée par les eaux déchaînées de la mer des Roseaux. La découverte assez récente de la momie d’Akhenaton ne porte pas de trace de noyade. De plus, rompant avec toute la tradition obligeant les rois du Nouvel Empire à se faire enterrer dans la vallée des Rois, à Thèbes, ce pharaon a fait creuser sa tombe à Tell el-Amarna, sa ville, qu’il n’a jamais quittée. On ne le voit donc guère poursuivre les Hébreux.

C’est du Delta qu’est parti l’exode, là où se situe la résidence royale de la ville de Pi-Ramsès, fondée par Ramsès Ier, lequel est mort après un an et demi de règne seulement. Aucune mention de troubles ou d’incursions étrangères ne s’inscrivent dans ce court règne.

Ce n’est pas le cas de Séthi Ier qui, lui, mena moult campagnes victorieuses en Syrie et contre les Bédouins au cours de ses quatorze années de règne. Mais sa momie est intacte et ne laisse apparaître aucune trace de blessure.

La momie de Ramsès II, soumise à tous les examens que l’on sait, ne porte pas non plus la moindre trace de meurtrissure ou de noyade. À ce pharaon, qui a régné soixante-sept ans, succède son treizième fils, Menephta.

À cause de la longueur du règne de son père Ramsès II, et surtout à cause de la mention d’Israël sur la stèle racontant sa victoire sur les Libyens vers 1220 av J.-C., Menephta a été longtemps considéré comme le pharaon de l’Exode.

Cette stèle, découverte en 1896 et qu’on peut voir au Musée du Caire, commémore la victoire de Menephta sur une coalition libyenne renforcée par des mouvements migratoires dont ces fameux Philistins appelés Peuples de la Mer. Tous ces gens avaient mis à mal les royaumes dominés par les Hittites, puis sont venus attaquer sans succès à au moins deux reprises la région du Delta sous les règnes de Menephta et de Ramsès III.

Le récit de la stèle se termine par ces mots : “Les princes sont prosternés [...]. La Libye est ravagée; l’empire hittite en paix; Canaan est dévasté; Askalon est conquis; Gezer est pris [...] Israël est désolé, sa semence n'existe plus; la Syrie est devenue une veuve pour l’Égypte; tous les pays sont pacifiés.”

Israël est donc inscrit dans le cadre parmi les peuples vaincus. Le nom d’Israël semble mentionner une tribu plus qu’un pays, les noms indicatifs d’un lieu étant déterminés par un signe hiéroglyphique. S’il s’agit d’une tribu du véritable Israël, celle-ci aurait été pourchassée par Menephta en même temps que les Libyens étaient expulsés. Et en ce cas la mort de Menephta au cours de cette bataille apparaît vraisemblable. Cependant, cette bataille se déroule en Égypte, et dans le cas d’une défaite il est probable que Menephta aurait été tué. Or, Menephta a vécu cinq ans après cet événement. Enfin aucun aspect particulier de son règne n’évoque le moindre signe pouvant se rapporter à l’Exode.

Que faut-il en conclure ? Le Pharaon de la Bible correspond-il à celui que nous nous représentons ? Le terme même, per-’aa, a d’abord désigné le palais avant de s’appliquer au Maître du Palais. Si la Bible ne nomme pas le Pharaon, alors qu’elle ne se prive pas de nommer quiconque participe à une séquence de l’histoire, c’est, suppose-t-on, qu’elle désigne l’autorité de l’État, personnifié dans l’un de ces princes ramessides aux titres évocateurs d’échansons ou de chef des armées, ou encore d’officier de frontière. Mais alors, en ce cas, il faudrait douter que Pharaon se soit réservé l’exclusivité de l’autorité de l’État. Ce qui serait pour le moins surprenant.

Toujours dans cette perspective, l’Hébreu dans l’attente impatiente de sa libération, envisage alors tous les grands représentants de l’ordre égyptien comme susceptibles d’être appelés “Pharaon” ?

Quant aux Égyptiens, cet événement que les Hébreux commémorent comme fondateur de leur histoire, ne le considèrèrent-ils  pas comme un simple incident de frontière ?

Gérard LEROY, le 23 mars 2012

(1) Papyrus Anastasi III