Pour Jacques de Saint-Exupéry, en hommage amical

   Dans son essence même, l’Église appelle à la communion. Le vœu qu’elle formule d’une Église rassemblée est un défi. Que tous ne perçoivent pas avec la même intensité. Les chrétiens prient le Seigneur pour que sa volonté s’accomplisse et qu’il aide son Église à retrouver l’unité parfaite. Comment argumenter la nécessité de l’institution qui s’appuie sur un principe d’unité ?

Comment s’y prendre de manière authentiquement œcuménique ? La stratégie consisterait, comme l’indiquait le P. Bruno Chenu, à rejeter ce qui jusqu’ici ne fonctionne pas, à cesser de partir d’une analyse des affirmations des constitutions des deux derniers conciles relatives au ministère de l’évêque de Rome (1) . Le P. Tillard recommandait de commencer par une  réflexion sur la mission et la nature de l’Église de Dieu sur terre. Cette Église est appelée à une communion. Ici et maintenant, cette communion s’effectue à deux niveaux, inséparables. La première se réalise avec le Dieu trinitaire. La seconde est manifestée, nourrie et rendue visible par une communion fraternelle qui comporte toutes les franges de la diversité humaine. Ce n’est qu’en étant en osmose que ces deux éléments constitutifs de la communion placent l’Église en fidélité à sa vocation.

L’annonce de Jésus-Christ 

Voilà qu’aujourd'hui l’Église des chrétiens se sent appelée à vérifier ce qui, pour elle, est tout à fait fondamental. L’Évangile chrétien est un Événement unique, hors série qui la fonde. Unique. Il n’y aura pas deux fois Pâques, deux fois la Pentecôte. “Tout est accompli.” L’Évangile est-il universel ? S’adresse-t-il à tous les hommes ? De tous les temps ? De toutes les cultures ? Question à vérifier en permanence par l’Église, et surtout quand elle est confrontée à la mission évangélisatrice. Que l’Église ne se laisse pas aller à douter de l’unicité de l’Évangile, au risque de

devenir une statue de bois rongée, vidée de l’intérieur par les termites. Si l’Église venait à douter du caractère indépassable et impérissable de l’Évangile, elle en viendrait à n’être plus qu’une officine où on fait de la religion, un laboratoire d’analyse du divin, ou, pourquoi pas, une association d’aide humanitaire. 

C’est une tâche permanente qui exige de chaque croyant, de chaque communauté chrétienne, de procéder à la vérification de tout cela, afin de retrouver en la ressaisissant, dans sa continuité, l’expérience de la foi des premiers chrétiens qui ont transmis leur témoignage.   

L’annonce de Jésus-Christ s’adresse à un monde à la fois sourd et en crise de sens. Ne nous voilons

pas les yeux, le christianisme en Occident est aujourd’hui en crise. Je rappelle que les chrétiens ne sont plus que 4,5% de pratiquants sur 64% de Français qui se disent catholiques. On est en crise lorsqu’une situation qu’on croyait stable, durable, est remise en question au point qu’on ne sait pas trop bien comment on va s’en sortir et retrouver un équilibre, une stabilité. Très souvent on a hâte d’en sortir par tous les moyens possibles, y compris en posant des emplâtres, en se consolant par des discours qui nous redonnent un peu de tonus. 

La crise peut être économique, certes. Elle peut aussi être vécue dans d’autres domaines. Le christianisme en France est en crise. La sécularisation, puis les athéismes humanistes de Marx, de Nietzsche, de Freud, ont fait le reste et continuent leur œuvre. Comment annoncer Jésus-Christ au monde d’aujourd’hui, allergique à tout ce qui ressemble à des bondieuseries, et qui opte péremptoirement, systématiquement, dogmatiquement pour le rejet a priori.

Il y a bien des apprentis sorciers prédicateurs qui captent le marché. Que font-ils ? Ils s’adressent abusivement à des adolescents en difficulté (à la manière adoptée par les communistes jadis), ou à des hommes et à des femmes désorientés (comme l’ont fait les apprentis totalitaires de tout poil) usant de procédés psychologiques pour déboucher sur une pseudo conversion qui résoudrait la panique collective. Et ça marche ! On a tellement envie de sortir de la crise, de se libérer de l’angoisse... 

Ce n’est pas la voie de l’Évangile. L’Évangile va à l’humain. À l’humain authentique. À cet humain qui prend sa liberté en main et qui, au lieu de pleurnicher en regrettant un passé douillet, confortable, équilibré, stable, essaye de reconstruire. En examinant son histoire, individuelle et collective, en osant quitter les conformismes, en étant animé par le vouloir-vivre. 

Nous avons à être, par-delà notre immédiateté quotidienne. Je concède volontiers que c’est difficile dans une société consumériste qui a transformé ses consommations addictives en besoins vitaux. Notre liberté s'y épuise et il lui reste parfois peu d'énergie pour se confronter à l’essentiel, au devenir humain, au sens de la vie et de la mort, au mystère de Dieu ... 

Faire fonctionner notre liberté ça demande du temps, et donc de la patience. C’est le temps qu’il faut pour déposer l’amertume, les regrets. C’est le temps qu’il faut à la réflexion pour se déployer, à la lucidité pour se convaincre soi-même, et pour qu’advienne un homme nouveau. Il faut oser l’utopie. Autrement dit il nous faut stimuler l’imagination prospective pour déceler dans le présent en crise tous les possibles ignorés, et orienter vers un avenir neuf.

La crise peut être une excellente occasion de se ré-identifier comme dynamique de liberté, pour cesser de consentir à la passivité, sans souci de notre participation nécessaire au futur. La Passion de Jésus-Christ donne du futur à sa mémoire. 

Voilà que la crise remet tout en question, le fonctionnement des machines institutionnelles, les sécurités. Les dieux que l’homme s’est fabriqué pour apaiser son angoisse —et celle de la finitude n’est pas la moindre— ces dieux bien trop fragiles continuent de fasciner les quêteurs de repères. 

Et la question ne cesse de se poser : comment les communautés chrétiennes peuvent-elles aujourd’hui faire signe, être signe et faire signe ?

 

Gérard LEROY, le 26 juin 2014

(1) Pastor Æternus, de Vatican I, et Lumen gentium de Vatican II.