Une institution ? Une force politique ? Un lieu identitaire ? Un carcan ? Qu’est-ce que l’Église ?

Le mot “Église” vient d’un mot hébreu qui désigne la convocation d’une assemblée dans le désert, par exemple pour recevoir les tables de la loi au pied du Sinaï. Les langues anglo-saxonnes emploient le mot kirche, ou church en anglais, qui étymologiquement désigne “celui ou celle qui appartient au Seigneur”, ce que reprend bien la constitution Lumen Gentium de Vatican II disant : “Ceux qui ont foi dans le Christ il a voulu les rassembler en la sainte Église préfigurée dès l’origine du monde, admirablement préparée dans l’histoire du peuple d’Israël et l’ancienne Alliance, établie en ces temps qui sont les derniers.”

Commençons par le commencement. Jésus s’adresse à Pierre pour lui dire : “Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ..." (Mt 16, 18; Ep, 5, 25). Jésus ne constitue pas son Église comme un rassemblement ordinaire. Paul ne manquera pas de demander aux Corinthiens de construire leur communauté à partir de l’Eucharistie. Ce ne sont pas la hiérarchie, la commodité, la convivialité qui font l’Église, c’est le Christ qui donne son Esprit. C’est sa volonté qui rassemble, le sang versé qui nourrit. Le reste, la convivialité, l’organisation interne, vient après, par voie de conséquence.

La fondation de l’Église
C’est une fausse conception de l’Église qui voudrait la rapatrier dans le giron de nos systèmes, qu’il soit démocratique, monarchique ou aristocratique. L’Église n’a pas été fondée par le génie de quelques bonshommes, ni l’enthousiasme d’une masse qui les aurait suivis. Personne n’a été consulté pour dire s’il lui convenait que l’Église fût. Nul n’était capable de la bâtir. Et elle ne tient debout qu’en étant animée d’un moteur à l’écart de tout système de gouvernance humain.

L’Église s’est fondée sur un triple Événement :
- l’annonce : “Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai...
- l’effusion du Saint-Esprit sur les apôtres à la Pentecôte, reçue comme le viatique indispensable à la mission de témoigner de la vérité qu’ils ont vécue;
- la promesse de la présence permanente de l'Esprit le jour de l’Ascension.
L’Église est d’abord annoncée, puis “équipée” de l’Esprit Saint, et enfin “embarquée”.

 
L’Église est temps, l’Église est lieu, l’Église est communauté.

 

L’Église est temps, elle est le Royaume du Christ dans le temps intermédiaire. Deux événements délimitent le temps dans lequel nous sommes. Les chrétiens sont pris entre l’Ascension du Christ et le retour.

Le Christ, dans ce temps, règne, et les chrétiens en témoignent dans le prolongement de l’Écriture. L’Église est donc aussi le lieu du témoignage biblique, le lieu où le Christ est prêché et écouté. “Celui qui vous écoute m’écoute” (Lc 10, 16). L’Église est localisée, elle est le lieu dans lequel se retrouve l’assemblée.

Elle désigne donc aussi la communauté de ceux qui partagent en commun la foi en Jésus-Christ pour le célébrer, le prier, écouter sa Parole et se nourrir et de sa Parole et de son corps qui fait vivre. Elle est composée d’hommes et de femmes que l’Esprit du Christ, qui illumine tous les hommes, vient éclairer.

Mission de l’Église
L’Église est le moyen d’opérer une union intime avec Dieu et l’unité de tout le genre humain” (Lumen Gentium 1). Les conditions actuelles imposent à l’Église un devoir, à accomplir avec une urgence accrue : que la communauté humaine, unifiée par de multiples liens sociaux, culturels ou techniques, puisse atteindre également sa pleine unité dans le Christ (cf. Lumen Gentium 1).

Que faire d’autre d’abord sinon exister au milieu des autres. Autrement dit éviter de se replier, éviter le ghetto. Communiquer, faire avec les autres, pour les autres. S’exprimer. Une foi muette est inféconde. La foi, comme la joie, a vocation à être partagée. Dialoguer. “Frères, dit l’apôtre, moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur; la nuit même où il fut livré le Seigneur prit du pain...”(1 Co, 11, 23). Paul témoigne.

Le témoignage est forcément missionnaire. La mission n’est pas le prosélytisme. Le dialogue doit se tenir dans le cadre du simple témoignage. "L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit", disait Paul VI. L’Église se fait parole. L’Église se fait message. L’Église se fait conversation.” (Ecclesiam suam, 67, de 1964).

Le dialogue est recommandé à tout bout de champ aujourd’hui. Soit. Mais il ne s’agit pas d’échanger des banalités. “On ne peut pas rester dans l’insignifiance, même par politesse. l’Église est lieu de dialogue. Un charabia n’est pas dialogue“ (Mgr Dubost).

L’Église est envoyée pour une mission que le Christ lui a confiée, pour prêcher la Parole et administrer les sacrements. “Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.” (Mt. 28,19-20).

L’Église est une Église qui confesse sa foi. Avec les Pères, dans leur sillage, comme eux, de façon actualisée pour que la Parole soit transmise, fidèle à l’Écriture, soucieuse de répondre aux questions contingentes de l’heure. Elle est nécessairement missionnaire. Car si les chrétiens croient que Christ est pour tous, les chrétiens sont convoqués dans le même temps par le Christ à participer au rayonnement universel de sa grâce.

L’Église est Une
Le Credo décrit cette Église comme “une, sainte, catholique et apostolique.” L’Église est une. “Elle est un peuple uni par l’unité du Père, du Fils, et de l’Esprit Saint.” (Lumen Gentium, 4) (1) . L’unité de l’Église est celle de la trinité. Elle est d’ailleurs décrite par Tertullien comme le corps des Trois. L’unité de l’Église ne s’oppose pas à la diversité des formulations de la foi.

L’Église est Sainte
L’adjectif sanctus accentue la dignité particulière de cette assemblée, le caractère béni de ce lieu et de la communauté qui l’occupe.
L’Église est sainte parce que l’Esprit qui l’anime est saint. En son sein se lèvent des hommes et des femmes qui vivent presque visiblement de la sainteté de Dieu. L’abbé Pierre, Sœur Emmanuelle, Edmond Michelet, qu’André Malraux surnommait "l'aumônier de la France", le père Kolbe et des milliers d’autres. “Quelle institution a autant de modèles à proposer ?” se demande Mgr Dubost.

L’Église est Catholique
Son existence n’est conséquence d’aucune communauté particulière. C’est ce que signifie l’adjectif “catholique”. Aucun pays, aucune culture, aucun groupe humain ne phagocyte ou ne relativise cette Église dont le caractère “catholique” a le primat sur tout ce qui s’y rattache.

L’universalité de l’Église est celle de l’Esprit Saint. Le terme catholique veut dire “universel”. L’Église est pour tous ! Depuis le jour de la Pentecôte où elle a reçu son ordre de mission universelle, depuis le jour où chacun a compris  dans sa langue propre ce qui s’adressait au monde entier.

L’Église est apostolique
Il est clair que la logique de la raison grecque et le droit latin ont marqué l’Église à sa naissance et dans sa constitution. Il est clair que le message évangélique est imprégné de culture hellénistique (2) , mais dans l’Église universelle chaque culture peut se retrouver.
À la Pentecôte, l’Esprit Saint est descendu sur les apôtres, puis par eux sur les peuples que les apôtres et leurs successeurs ont enseignés. L’Église est apostolique parce que, envoyée par le Christ, elle opère à la manière des apôtres. Tous les membres de l’Église doivent être témoins de la source et de son but, de la création, de la Pâque, de l’eschatologie. Toute l’Église est apostolique parce qu’elle s’érige sur le fondement de l’expérience des apôtres.

L’Église fait confiance. Parce que tout ce qu’elle est elle le doit au Christ qui l’a fondée, à l’Esprit qui la guide, au Père vers qui elle va.

 

 

Gérard LEROY

 

  • 1) L’une des quatre constitutions conciliaires avec Dei Verbum (la source de l’Église), Sacrosanctum concilium (liturgie), Gaudium et Spes (au service du monde).
  • 2) cf. Jean Daniélou, Message évangélique et culture hellénistique au II e et IIIe siècle, Desclée et C°, 1961.