Le prophète Isaïe avait annoncé "la voix de celui qui crie dans le désert.". Et dans le livre de Malachie (3,1) on entend Yawhé proclamer: "voici que j'envoie mon ange qui préparera les voies devant ma face".

Jean, dit "le baptiste" est plus qu'un prophète. Son cousin Jésus lui-même l'a dit (Lc 7,26). C'est en effet un précurseur, celui qui marche devant, mais qui fait déjà partie du cortège, qui fait déjà partie des événements eschatologiques annoncés par les prophètes, ceux qui avaient prédit que la venue de Dieu serait préparée par un "Envoyé".

Le caractère exceptionnel de Jean-Baptiste est apparu très vite à ses contemporains qui hésitaient à le définir. Les juifs se sont demandé s'il n'était pas le Messie en personne. N'était-ce pas, en effet, le Bar-ha-Nash (le Fils de l'Homme), le Messie transcendant annoncé par le prophète Daniel (Dan 7,13) ? N'était-ce pas Élie, ainsi que s'en inquiéta Hérode auprès de Jésus (Lc 9,8). N'était-ce pas le prêtre, pourvu du rôle eschatologique qu'en attendaient les esséniens de Qumrân ? N'était-ce pas un ange ? La question fut au centre des débats chez les Pères de l'Eglise, et l'on sait que le plus répandu des attributs de Jean-Baptiste dans l'iconologie orientale, ce sont les ailes. D'ailleurs, Origène aura sa réponse là-dessus. Pour lui, chez Jean-Baptiste, la nature angélique se trouve conjointe à la nature humaine (1). Etait-ce enfin l'apôtre lui-même ? Un gnostique de l'époque, Héracléon, associe dans la même personne Jean l'évangéliste et Jean le Baptiste, l'apôtre et le prophète, (2).

Pour saisir la cause de toutes ces spéculations mystérieuses, il nous faut considérer l'influence de la situation politique troublée de ce temps. L'historien juif de l'époque, Flavius Josephe, capturé par Vespasien et passé ensuite dans le camp romain, montre bien dans ses Antiquités Juives combien la Judée attendait l'avénement d'un Messie, dont  l'un des signes manifestes serait le renversement du pouvoir romain. Or, Jean-Baptiste viendra dire: "Je ne suis pas celui que vous attendez !"

Il reste que pour ses contemporains, Jean-Baptiste est une grande figure religieuse du judaïsme. D'ailleurs, les pharisiens et les sadducéens n'allaient-ils pas se faire baptiser par Jean ? Au cours de l'histoire, et selon les régions et les religions, Jean-Baptiste sera vénéré ou oublié. Le judaïsme le redécouvre depuis une cinquantaine d'années, sous l'influence de l'exégète David Flusser, et aussi parce que les événements ont permis aux juifs de modifier leur attitude vis-à-vis des faits racontés dans l'Evangile. Aujourd'hui, pour les étudiants en théologie rabbinique de Jérusalem, l'enseignement de l'Evangile fait partie de la culture universitaire, les Évangiles constituant un élément important pour la connaissance de cette période de l'histoire.

Les Syriens aussi sont particulièrement attachés à Jean-Baptiste, et pour cause. C'est dans la forteresse de Machéronte où Jean-Baptiste avait été incarcéré par Hérode que les gardes ont eu mission de le décapiter. La tête de Jean-Bapiste est aujourd'hui déposée dans un mausolée qu'abrite la grande salle de la Mosquée des Omeyyades à Damas. Les Syriens parlent  de Jean-Baptiste comme d'un ascète d'une exceptionnelle sainteté, comme d'un prophète aussi, qui appelle les hommes à l'adoration d'Allah, et dont la mort est entourée de circonstances merveilleuses.

La branche du christianisme où Jean-Baptiste tient la plus grande place mystique, c'est l'orthodoxie. Pour la théologie orthodoxe, Jean-Baptiste appartient à un ordre de grâce absolument autre que celui de l'humanité commune. Il partage le même privilège que Marie d'être sanctifié dès le sein de sa mère, ce que le P. Boulgakof rapproche d'une sorte d'Immaculée Conception. Voilà pourquoi Jean-Baptiste  occupe une place privilégiée dans l' orthodoxie. Sur les icônes, qui s'intégrent à la célébration liturgique, Jean Baptiste est situé sur le même plan que Marie, à côté de Jésus, comme une sorte de présence du monde invisible dans le monde sensible. Avant les saints. Avant les anges. Cela reflète une vision théologique fondamentale.

Deux vocations majeures de Jean Baptiste sont à retenir, qui font de lui le précurseur et le missionnaire.

Le précurseur d'abord. Celui qui précède Jésus dans sa vie terrestre et son ministère public. Celui qui précède Jésus dans le monde des morts, là où Adam, Abraham, David attendent la délivrance, ce monde immense de l'Avent. Ce monde des âmes auquel Jean Baptiste annonce la délivrance imminente est d'une richesse que notre cécité ne peut apercevoir. Le regard contemplatif découvre des abîmes là où nos regards courts restent à la surface. Les dimensions de l'être dépassent cet univers misérablement retréci qu'a façonné le positivisme moderne. Que Jean ait eu une mission dans cet univers des morts n'est pas étonnant.

Jean est aussi celui qui prépare —non plus au désert mais en l'homme, dans l'intimité de l'être—, les voies du Seigneur. C'est son aspect missionnaire, son aspect d'Avent. La rencontre avec Dieu doit en effet être préparée. Pour cela il faut que toute colline soit abaissée et que toute vallée soit comblée; pour cela il faut aplanir bien des montagnes échaffaudées par notre monde contemporain : nos vanités, nos mythes, nos idoles. Car il n'y a rien qui nous éloigne plus des sentiers qui vont à Dieu que nos idolâtries. Il faut aussi que les manques d'espérance soient comblés et les hauteurs d'orgueil abaissés. Désespoir et orgueil sont en effet deux obstacles fondamentaux à la foi. Il y a des gens qui sont encombrés d'eux mêmes, et cela leur bouche Dieu. Il y a des gens qui n'ont pas assez d'espoir, et cela les retient d'aller à la rencontre de Dieu. Il faut donc abaisser les montagnes et exalter les vallées, boucher les trous et démolir les murs. Telle a été la mission de Jean-Baptiste.

 

Gérard LEROY, le 17 décembre 2013

 

  • (1) Origène, Commentaire sur Saint Jean , Éd du Cerf, T1, p. 303.
  • (2) id., T2, p.139.